Covid-19 : les mesures d’aménagement des délais de consultation du CSE annulées par le Conseil d’Etat
28 mai 2021
Au printemps 2020 et afin de favoriser une reprise rapide de l’activité économique dans des conditions protectrices de la santé et de la sécurité des salariés, le Gouvernement avait entendu permettre aux entreprises de procéder aux consultations du comité social et économique (CSE) dans des conditions adaptées.
Sur le fondement de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, le Gouvernement avait adopté plusieurs textes prévoyant notamment, lorsque la consultation porte sur les décisions de l’employeur ayant pour objet de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid-19 (ord. n °2020-460 du 22 avril 2020, art. 9 modifiée par l’ordonnance n° 2020-507 du 2 mai 2020 et décret n° 2020-508 du 2 mai 2020) :
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- la réduction des délais légaux et conventionnels de consultation du CSE. Le CSE était réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif à l’expiration d’un délai de huit jours (au lieu d’un mois), porté à 11 jours en cas de recours à un expert et à 12 jours pour le CSE central ou en cas d’intervention d’une ou plusieurs expertises dans le cadre de consultations se déroulant à la fois au niveau du CSE central et d’un ou plusieurs CSE ;
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- l’aménagement des délais d’expertise. L’expert disposait de délais réduits pour demander à l’employeur toutes les informations complémentaires nécessaires à la réalisation de sa mission, lui notifier le coût prévisionnel, l’étendue et la durée d’expertise et d’un délai fixé à 24 heures (contre 15 jours habituellement) avant l’expiration du délai de consultation du comité pour remettre son rapport au CSE. L’employeur quant à lui, disposait de délais raccourcis pour répondre aux demandes de l’expert et éventuellement saisir le juge en cas de contestation de l’expertise.
Ces aménagements étaient applicables aux délais qui commençaient à courir entre la publication de l’ordonnance, le 3 mai 2020 et le 23 août 2020, et concernaient la procédure d’information et de consultation du CSE portant sur les décisions de l’employeur ayant pour objet de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid-19, à l’exclusion des consultations portant sur le licenciement de dix salariés ou plus dans une même période de 30 jours, les accords de performance collective et les consultations récurrentes de l’article L.2312-17 du Code du travail.
Alors que dans une première décision du 30 juin 2020, le Conseil d’Etat avait rejeté l’action en référé-suspension de plusieurs organisations syndicales visant à suspendre les textes adaptant temporairement les délais d’information et de consultation du CSE au motif que la condition d’urgence n’était pas remplie (CE, ord. réf., 30 juin 2020, n° 441032), la Haute juridiction, dans une seconde décision du 19 mai 2021 rendue cette fois-ci au fond, annule ces mêmes dispositions au motif qu’elles ne respectaient pas le cadre de l’habilitation accordée au Gouvernement pour légiférer par ordonnance (CE, 19 mai 2021, n° 441031).
Focus sur cette décision et ses conséquences pour les entreprises.
Une annulation des dispositions temporaires aménageant les délais relatifs aux procédures d’information et de consultation des CSE
Saisi par plusieurs organisations syndicales d’une demande d’annulation pour excès de pouvoir de l’article 9 de l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 modifiée, le Conseil d’Etat rappelle que « l’article 11 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnances, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la loi, des mesures relevant du domaine de la loi qu’il énumère, et en particulier, de modifier les modalités d’information et de consultation des instances représentatives du personnel, notamment du comité social et économique, pour leur permettre d’émettre les avis requis dans les délais impartis, et de suspendre les processus électoraux des comités sociaux et économiques en cours (…) ».
Il estime ainsi que les dispositions d’habilitation de la loi du 23 mars 2020 « éclairées par l’exposé des motifs du projet de loi devenu la loi du 23 mars 2020 et les travaux parlementaires en ayant précédé l’adoption, permettaient de prendre des mesures ayant pour objet d’organiser la consultation des instances représentatives du personnel par voie dématérialisée » et « d’instaurer un moratoire sur les délais qu’elles mentionnent et ainsi en reporter le terme » mais qu’aucune de ces dispositions n’habilitait le Gouvernement à réduire les délais d’information et de consultation des CSE, ni les délais applicables au déroulement des expertises décidées dans le cadre de ces procédures par les comités. Il en déduit que l’article 9 de l’ordonnance du 22 avril 2020 méconnait le champ de l’habilitation donnée au Gouvernement et annule en conséquence cette disposition et son décret d’application.
Cette censure repose sur une interprétation très restrictive de l’habilitation législative :
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- d’une part, le Conseil d’Etat considère que l’habilitation à modifier les conditions de consultation du CSE pour lui permettre d’émettre les avis requis « dans les délais impartis » renvoie aux délais prévus par le Code du travail : on aurait pu considérer que cette expression renvoyait aux délais impartis par les circonstances exceptionnelles qui ont obligé beaucoup d’entreprises à agir dans l’urgence ;
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- d’autre part, le Conseil d’Etat considère que l’habilitation n’a pour objet que « d’organiser la consultation des instances représentatives du personnel par voie dématérialisée », ce qui est une conception à la fois extrêmement restrictive et inhabituelle de l’habilitation législative.
Une annulation à portée rétroactive
En principe, l’annulation d’un acte administratif – tel qu’une ordonnance ou un décret – implique que cet acte est réputé n’être jamais intervenu.
Néanmoins, le Conseil d’Etat admet qu’il puisse être dérogé, à titre exceptionnel, à cet effet rétroactif, lorsqu’il est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison, tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur, que de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets (CE, 11 mai 2004, n° 255836, Association « Les amis d’agir ensemble contre le chômage », dite AC).
Au cas particulier, le Conseil d’Etat refuse d’user de la faculté de différer dans le temps les effets de l’annulation de ces dispositions au motif qu’ »il ne ressort pas des pièces du dossier que l’annulation des dispositions de l’ordonnance et du décret attaqués, qui n’ont été applicables que quatre mois et qui ne le sont plus à la date de la présente décision, serait susceptible d’emporter des conséquences justifiant de réputer définitifs leurs effets passés, alors, au demeurant, que la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion se borne à évoquer, sans plus de précision, qu’une telle annulation pourrait seulement donner lieu à l’engagement d’éventuelles actions indemnitaires en vue d’obtenir la réparation des préjudices susceptibles d’être causés par l’organisation de procédures passées d’information et de consultation des comités sociaux et économiques si elles devaient être regardées comme étant rétroactivement entachées d’irrégularité ou de nullité ».
Les conséquences de l’irrégularité des informations et des consultations menées sur le fondement des dispositions annulées
En application de l’article L.2312-8 du Code du travail, le CSE est consulté sur les mesures concernant les conditions d’emploi et de travail, ainsi que sur tout aménagement important modifiant l’organisation et les conditions de travail que l’employeur envisage, préalablement à leur mise en œuvre.
Au cours de la période d’application des dispositions annulées, c’est-à-dire entre le 3 mai et le 23 août 2020, de nombreuses décisions ayant pour objet de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid-19 ont pu être rapidement mises en œuvre après information ou consultation du CSE dans les délais réduits prévus par l’article 9 de l’ordonnance du 22 avril 2020 modifiée et de son décret d’application (plan de reprise, recours au télétravail, recours à l’activité partielle, fixation des dates de prises de RTT, etc.).
Or, en principe, le non-respect de l’obligation de consulter ou de la procédure de consultation expose l’employeur à des poursuites pénales pour entrave au fonctionnement du CSE pouvant être assorties d’actions en dommages-intérêts en réparation du préjudice subi. L’entreprise s’expose également à ce que soit prononcée par le juge une suspension de sa décision ainsi prise, voire à une remise en état.
Il semble peu probable que des actions pour délit d’entrave puissent prospérer devant les juridictions répressives faute d’élément intentionnel : l’employeur qui a consulté le CSE conformément aux dispositions légales alors en vigueur n’a pas eu l’intention de commettre un délit.
En revanche, une action en réparation de la part des CSE irrégulièrement consultés en vue d’obtenir des dommages-intérêts ne peut être écartée même si de telles actions devraient en pratique être peu nombreuses en raison, d’une part, de la brièveté de la période d’application des textes annulés (quatre mois) et d’autre part, des thèmes de consultation visées et enfin de la nécessité de démontrer l’existence d’un préjudice.
En tout état de cause, cette décision montre que le Conseil d’Etat n’est désormais plus disposé à retenir les circonstances exceptionnelles liées à la crise sanitaire pour admettre la validité des décisions prises par le Gouvernement.
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