Covid-19 : cession de fonds de commerce et liquidation judiciaire
4 août 2020
L’impératif du rebond pousse le législateur à écarter l’application de l’emblématique L.1224-1 : avec la crise économique faisant suite à la crise sanitaire, une augmentation du nombre de liquidation judiciaire est redoutée. Il faut alors trouver de l’espace dans le cadre offert par ce type de procédures pour permettre le rebond de l’entreprise malgré tout.
L’article L.1224-1 du Code du travail, un frein à la reprise ?
D’expérience, le plan de cession ne trouve pas un terrain favorable en liquidation judiciaire lorsque celle-ci n’est pas assortie d’une période de poursuite de l’activité, c’est-à -dire lorsque l’entreprise débitrice n’est pas à même de financer cette période. Le principe est alors celui de la réalisation de chaque actif isolément. Lorsque le droit au bail représente un actif important ce dernier peut être cédé soit isolément (ce qui revient à placer la cession sous le bon vouloir du bailleur) soit, en fonction d’une pratique qui se développe, dans le cadre d’une cession du fonds de commerce.
Dans ce dernier cas, outre la circonspection que peut inspirer une cession de fonds de commerce, alors que l’activité a cessé depuis souvent plusieurs semaines, le risque était important pour le repreneur de se trouver confronté à l’application de l’article L.1224-1 du Code du travail et donc que les salariés licenciés à l’ouverture de la liquidation judiciaire se prévalent du transfert automatique de leur contrat de travail consécutivement à l’acquisition du fonds de commerce.
En effet, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par la vente du fonds de commerce, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise en application de l’article L.1224-1 du Code du travail et une cession sur le fondement de l’article L.642-19 du Code de commerce n’échappait pas à l’empire de ce transfert.
Par l’article 40 de la loi du 17 juin 2020 (n° 2020-734), le législateur vient d’apporter une dérogation à l’article L.1224-1 en supprimant temporairement son application aux contrats de travail rompus suite à la décision ouvrant ou prononçant la liquidation judiciaire de l’entreprise en cas de vente isolée d’un fonds de commerce dans le cadre de cette procédure de liquidation.
L’article L.1224-1 du Code du travail peut s’appliquer aux cessions d’actifs isolés
En principe, l’ouverture d’une liquidation judiciaire n’est pas exclusive de l’application de l’article L.1224-1 du Code du travail.
Ce dernier a vocation à s’appliquer en cas de transfert à un nouvel exploitant d’une entité économique autonome conservant son identité et dont l’activité est reprise ou poursuivie dès lors que ce transfert intervient hors du cadre du plan de cession (articles L.642-1 et suivants du Code de commerce). La Cour de cassation considère en effet que « lorsque le juge commissaire autorise, […], la vente de biens non compris dans le plan de cession et correspondant à un ensemble d’éléments corporels et incorporels permettant l’exercice d’une activité qui poursuit un objectif propre, cette cession emporte de plein droit le transfert des contrats de travail des salariés affectés à cette entité économique autonome » et dès lors, dans une telle hypothèse, que les licenciements des salariés affectés à l’entité prononcés par les organes de la procédure collective sont sans effet (Cass. soc. 24 octobre 2006, n° 04-45.673).
Selon les travaux parlementaires, cette jurisprudence inciterait les liquidateurs judiciaires, en quête de sécurité juridique, à licencier tous les salariés avant de procéder à la cession du fonds de commerce en l’absence de plan de cession afin d’éviter l’application de l’article L.1224-1 et favoriserait un « tout ou rien » en matière d’emplois, qui risque d’avoir des effets désastreux à l’heure actuelle. Il n’est au demeurant pas certain que cette pratique permette totalement d’atteindre le but recherché.
Dérogation temporaire à l’article L.1224-1 du Code du travail
Le législateur a ainsi décidé, dans l’article 40 de la loi du 17 juin 2020, de supprimer temporairement, en cas de vente isolée d’un fonds de commerce, intervenant dans le cadre de la liquidation judiciaire du cédant, l’application de l’article L.1224-1 du Code du travail aux contrats de travail rompus suite à la décision ouvrant ou prononçant la liquidation judiciaire de l’entreprise.
Est ainsi neutralisé temporairement le transfert obligatoire des contrats de travail des salariés licenciés par le liquidateur judiciaire pour que l’acquéreur ne soit pas dissuadé de présenter une offre d’achat. Les licenciements prononcés en application du jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire doivent être considérés comme définitifs et le repreneur n’est pas tenu de réintégrer les salariés concernés.
Cette mesure applicable jusqu’au 31 décembre 2020, y compris aux procédures en cours, a vocation à permettre de faciliter les cessions de fonds de commerce en dehors d’un plan de cession avec reprise de certains salariés.
Une mesure aux effets limités sur l’emploi
La volonté affichée du législateur d’assurer la préservation de l’emploi ne peut qu’être saluée. Toute initiative de nature à favoriser le rebond et le retournement des entreprises doit être approuvée dans la période ouverte depuis le 16 mars dernier.
Toutefois, il n’est pas certain que cette mesure incitera réellement les liquidateurs judiciaires à ne pas licencier immédiatement les salariés des sociétés qui leur sont confiées. En effet, les contraintes inhérentes au mécanisme de garantie des salaires et l’absence d’activité à compter de l’ouverture de la liquidation judiciaire ne plaident pas pour une absence de licenciement. De plus, la portée de ce texte reste floue, le repreneur pourra-t-il toujours compter dessus si les salariés sont licenciés post cession du fonds de commerce ou entre l’ordonnance du juge-commissaire autorisant la cession et l’entrée en jouissance du repreneur ?
Enfin, cette mesure ne s’appliquera probablement pas aux fonds artisanaux, libéraux ou agricoles, le texte de la loi nouvelle ne mentionnant que le fonds de commerce.
Article publié dans les Echos Executives le 04/08/2020
A lire également
Harcèlement sexuel, les juges en quête d’objectivité... 31 décembre 2015 | CMS FL
Un employeur peut-il se prévaloir d’une transaction signée entre une salariÃ... 12 octobre 2022 | Pascaline Neymond
Covid-19 : que reste-t-il des arrêts dérogatoires ?... 22 juillet 2020 | CMS FL Social
Fin du dispositif d’activité partielle pour garde d’enfants et personne... 6 juillet 2022 | Pascaline Neymond
Webinaire : What happens now ? Navigating the new Covid employment landscape in ... 7 mars 2022 | Pascaline Neymond
Télétravail et moments de convivialité : le protocole sanitaire en entreprise... 7 décembre 2021 | Pascaline Neymond
Covid-19 : comment préparer la reprise le 11 mai prochain ?... 17 avril 2020 | CMS FL Social
Covid-19 : le ministère du Travail publie un plan de déconfinement à destinat... 5 mai 2020 | CMS FL Social
Articles récents
- L’action en nullité d’un accord collectif est ouverte au CSE
- Complémentaire santé : vigilance sur la rédaction des dispenses d’adhésion
- Précisions récentes sur la portée de l’obligation de sécurité de l’employeur dans un contexte de harcèlement
- La jurisprudence pragmatique du Conseil d’Etat en matière de PSE unilatéral : Délimitation du périmètre du groupe (Partie I)
- Détachement, expatriation, pluriactivité : quelques nouveautés en matière de mobilité internationale
- Avenant de révision-extinction d’un accord collectif : « Ce que les parties ont fait, elles peuvent le défaire »
- Dialogue social et environnement : la prise en compte des enjeux environnementaux à l’occasion des négociations collectives d’entreprise
- L’accès de l’expert-comptable du CSE aux informations individuelles relatives aux salariés lors de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise
- Conférence : Sécuriser vos pratiques pour limiter les risques juridiques dans l’entreprise (risque pénal, congés payés, RPS)
- Le recours à un client mystère : une méthode de contrôle loyale à condition d’être transparente