Une place inattendue réservée à l’entreprise dans le dispositif IFI
Annoncé lors de la campagne présidentielle, le remplacement de l’ISF par l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI) a vocation à libérer et à favoriser l’investissement dans l’économie productive et les entreprises. Si l’objectif de ce nouvel impôt est clair -imposer en principe exclusivement la détention de l’immobilier non affecté à une activité économique- la volonté de soumettre à l’IFI toutes les formes de détention immobilière patrimoniale rend sa mise en œuvre éminemment complexe. Potentielle première victime : l’entreprise.
Le remplacement de l’ISF par l’IFI, inscrit dans le projet de loi de finances pour 2018 en cours d’adoption, réduit significativement l’assiette des actifs soumis à une imposition du patrimoine : seule serait désormais concernée la valeur nette des actifs et droits immobiliers détenus par les redevables au 1er janvier de chaque année.
Appréhender tous les modes de détention des actifs immobiliers
Seraient naturellement compris dans l’assiette imposable de ce nouvel impôt les droits et biens de nature immobilière détenus directement par les redevables. De même, afin d’éviter tout risque de contournement, l’IFI viserait également les titres de sociétés ou organismes, à hauteur de leur valeur représentative de biens ou droits immobiliers détenus directement ou indirectement par ces entités.
Selon la même logique que pour l’ISF, les résidents français seraient soumis à l’IFI au titre de l’ensemble des biens immobiliers détenus, en France et hors de France, directement ou indirectement, par l’intermédiaire d’entités établies en France ou à l’étranger.
En revanche, les non-résidents ne seraient assujettis à l’IFI qu’à raison des biens immobiliers situés en France détenus directement ou indirectement, par l’intermédiaire d’entités quel que soit leur lieu d’établissement.
Exonérer les biens immobiliers affectés à une activité opérationnelle
Le projet de texte prévoit l’exonération de certains biens immobiliers, dès lors qu’ils sont affectés à une activité opérationnelle, c’est-à -dire industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, à l’exclusion de toute activité patrimoniale (location nue par exemple).
De manière similaire à l’exonération des biens professionnels en matière d’ISF, sont exclus de l’assiette de l’IFI les biens immobiliers détenus par un redevable et affectés à son activité principale opérationnelle ainsi que, sous certaines conditions, à l’activité opérationnelle d’une société dans laquelle le redevable exercerait ses fonctions.
Parallèlement, pour les biens détenus par l’intermédiaire d’une entité, le projet de texte permet d’exonérer la valeur des titres représentative du bien immobilier que l’entité détient lorsque le bien immobilier est affecté :
- à sa propre activité opérationnelle ;
- à l’activité opérationnelle d’une société du même groupe, à condition que l’activité de l’entité dans laquelle le redevable détient ses titres soit elle-même opérationnelle.
Enfin, et de manière plus générale, serait exonérée d’IFI la valeur des titres d’entités ayant une activité opérationnelle dont le redevable détient, directement ou indirectement, moins de 10% du capital, et ce, indépendamment de la consistance de l’actif de cette entité, même s’il comprend des actifs immobiliers non affectés à une activité opérationnelle.
Appréhender l’immobilier patrimonial, où qu’il se trouve dans la chaîne de détention
L’objet de la réforme consiste en principe à soumettre à l’IFI les seuls biens immobiliers non affectés à une activité opérationnelle. Autrement dit, la détention patrimoniale de l’immobilier doit être soumise à l’IFI, que ces actifs soient détenus directement ou indirectement, par l’intermédiaire d’une SCI ou par l’intermédiaire d’une société opérationnelle qui détiendrait des actifs immobiliers à des fins de placement ou de rendement.
A ce titre, le projet de texte prévoit que pour déterminer la valeur de titres représentative de biens ou droits immobiliers détenus par une société, il est appliqué à la valeur de ces titres un coefficient correspondant au rapport entre d’une part la valeur vénale brute des biens ou droits immobiliers détenus par la société et d’autre part la valeur vénale brute de l’actif total de la société.
Ainsi, pour déterminer la fraction de la valeur de titres soumis à l’IFI, il convient de déterminer quelle est la proportion de son actif brut composée de biens ou droits immobiliers.
Si cet exercice se conçoit bien en cas de détention d’un immeuble par l’intermédiaire d’une société, sa mise en œuvre devient plus complexe en cas d’interposition d’un nombre important de structures entre le redevable de l’IFI et les biens immobiliers non affectés à une activité opérationnelle. Dans cette hypothèse, le texte impose, pour déterminer la fraction de la valeur des titres détenus par le redevable représentative de droits immobiliers, de considérer comme un « droit immobilier » la valeur des titres de la filiale elle-même représentative de droits immobiliers détenus directement ou indirectement. Cette démarche doit être mise en œuvre de manière itérative jusqu’à atteindre la structure propriétaire de l’immeuble.
Soit la situation d’un redevable détenant les titres d’une société A, elle-même actionnaire d’une société B dont la filiale C détient un immeuble. Pour déterminer quelle fraction de la valeur des titres A doit être soumise à l’IFI, il conviendrait :
- de déterminer la fraction de l’actif brut de la société A représentative de droits immobiliers.
La société B, filiale de la société A, détenant indirectement un immeuble, il conviendrait pour ce faire de déterminer la fraction de la valeur des titres de B détenus par la société A représentative de droits immobiliers ; - toutefois, pour déterminer la fraction de la valeur des titres de B représentative de droits immobiliers, il serait nécessaire de déterminer au préalable quelle est la fraction de la valeur des titres de C détenus par B représentative de droits immobiliers ;
- or, pour déterminer la fraction de la valeur des titres C représentative de droits immobiliers, il conviendrait avant toute autre chose de déterminer quelle est la fraction de l’actif brut de la société C représentative de la valeur de l’immeuble.
Sans rentrer dans la complexité et la variété des schémas de détention susceptibles d’exister, cet exemple illustre bien la difficulté qu’auront les futurs redevables de l’IFI pour déterminer la valeur de leurs titres à assujettir à ce nouvel impôt sur le patrimoine.
Le projet de texte instituant l’IFI semble d’ailleurs avoir anticipé le sujet puisqu’il prévoit explicitement qu’aucun rehaussement ne pourra être effectué par l’administration si le redevable peut démontrer qu’il n’est pas en mesure de disposer des informations nécessaires à l’estimation de la fraction de la valeur de ses titres représentative des biens ou droit immobiliers détenus indirectement.
Le projet de texte exclut toutefois la possibilité de se prévaloir de cette clause de sauvegarde notamment lorsque le redevable détient directement ou indirectement plus de 10% du capital ou des droits de vote de l’entité directement propriétaire du bien ou des droits immobiliers.
Si l’insertion de cette tolérance est évidemment bienvenue, son efficacité dépendra par ailleurs nécessairement des exigences de l’administration fiscale et du juge de l’impôt quant aux éléments justificatifs qui permettraient aux redevables d’apporter cette preuve négative.
Soumettre les entreprises à de nouvelles obligations déclaratives
La portée de cette clause de sauvegarde devra par ailleurs être appréciée à la lumière des obligations déclaratives qui seraient mises à la charge des sociétés détenant directement ou indirectement des biens immobiliers. En l’état actuel du projet, tel que voté par l’Assemblée Nationale en première lecture, le pouvoir réglementaire se voit attribuer la charge de fixer ces obligations déclaratives.
Bien qu’aucun projet de décret n’ait été soumis à ce stade, ces obligations devraient, selon toute vraisemblance, avoir pour finalité de permettre aux redevables de l’IFI de déterminer quelle est la fraction de la valeur de leurs titres représentative de droits immobiliers. Dans cette hypothèse, il incomberait aux sociétés de déterminer quelle est la fraction de leur actif brut représentative de droits immobiliers et de fournir cette information aux actionnaires.
A ce titre, il convient de remarquer que pour être complète, l’information à communiquer par les sociétés devrait potentiellement viser :
- la fraction de leur actif brut représentative de droits immobiliers situés en France et hors de France pour les redevables résidents ; et
- la fraction de leur actif brut représentative de droits immobiliers situés uniquement en France pour les redevables non-résidents.
Si de telles obligations déclaratives semblent nécessaires pour permettre aux redevables de l’IFI de déterminer leur assiette imposable – et constituent le meilleur moyen pour l’administration fiscale de faire obstacle à la clause de sauvegarde – elles n’en constitueront pas moins une charge supplémentaire significative pour les sociétés.
Ces nouvelles obligations déclaratives semblent aller à l’encontre de la volonté affichée du présent Gouvernement d’alléger les contraintes administratives des entreprises.
La variété des situations des redevables de l’IFI dans un contexte international
Selon la résidence des redevables ou l’Etat de situation des entités interposées, les obligations déclaratives à la charge des entreprises sont susceptibles de créer une disparité de situations entre les redevables de l’IFI.
Comme évoqué plus haut, l’assiette de l’IFI comprend les biens immobiliers -situés en France et hors de France pour les résidents, et situés uniquement en France pour les non-résidents- même lorsque ces derniers sont détenus par l’intermédiaire d’entités étrangères. A ce titre, ces dernières devraient également être soumises aux obligations déclaratives prévues par le texte.
Or, on peut douter que des structures établies à l’étranger, notamment lorsqu’elles ne sont pas contrôlées depuis la France, puissent respecter ces obligations déclaratives aussi aisément que des entités établies en France. De manière concrète, cela reviendrait à exiger d’une société étrangère qu’elle détermine la fraction de son actif brut représentative de droits immobiliers entrant dans le champ de l’IFI français, ce qui supposerait qu’elle connaisse non seulement l’existence de l’IFI mais également ses règles d’assiette et les exonérations liées à l’affectation des immeubles à une activité opérationnelle.
Dans ce contexte, les redevables détenant des actifs immobiliers par l’intermédiaire d’une ou plusieurs entités étrangères devraient rencontrer des difficultés certaines pour obtenir les informations nécessaires à la détermination de leur actif taxable. A moins qu’ils ne contrôlent lesdites sociétés étrangères, on peut légitimement penser qu’ils devraient souvent pouvoir bénéficier de la clause de sauvegarde (lorsque ses conditions d’application sont réunies) et par suite, ne pas inclure ces titres dans leur assiette imposable.
A l’inverse, les redevables détenant des actifs immobiliers par l’intermédiaire d’entités établies en France devraient plus aisément être en mesure d’obtenir de ces sociétés les informations nécessaires à la détermination de la fraction imposable de leurs titres : pour ces derniers, le recours à la clause de sauvegarde devrait être plus délicat.
Auteurs
Stéphane Bouvier, avocat en droit fiscal
Arnaud Fernandes, avocat en droit fiscal