Une glace « Champagne Sorbet » ne porte pas atteinte à la réputation de l’AOP Champagne si elle se caractérise essentiellement par son goût de champagne
L’affaire opposait le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC) à la société Aldi, le premier reprochant à la seconde de porter atteinte à la prestigieuse AOP « Champagne » en proposant à la vente en Allemagne une glace sous le nom de « Champagne Sorbet » (« Champagner Sorbet » en allemand). La société Aldi se défendait en arguant de son intérêt légitime à utiliser ladite dénomination pour un produit contenant parmi ses ingrédients 12% de Champagne.
Ayant gagné en première instance puis perdu devant la juridiction d’appel, le CIVC a formé un recours devant la Cour suprême allemande (le Bundesgerichtshof) qui a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) plusieurs questions préjudicielles en vue de trancher le litige. En substance, la Cour devait décider si la réglementation protectrice des AOP (article 118 quaterdecies du règlement no 1234/2007 du 22 octobre 2007) et l’article 103 du règlement no 1308/2013 du 17 décembre 2013 s’appliquaient au « cas dans lequel une AOP, telle que ‘Champagne’, est utilisée comme partie de la dénomination sous laquelle est vendue une denrée alimentaire, telle que ‘Champagner Sorbet’, qui ne répond pas au cahier des charges relatif à cette AOP, mais qui contient un ingrédient répondant audit cahier des charges ».
Après avoir souligné que la réglementation des AOP et IGP a un champ d’application « particulièrement large » pour permettre leur protection « contre toute utilisation visant à profiter de la réputation associée aux produits répondant aux exigences correspondantes », la Cour rappelle que l’appréciation de l’atteinte à réputation doit se faire « au vu des circonstances de chaque cas d’espèce » (CJUE, 20 décembre 2017, C-393/16).
Aux fins de cette appréciation, la Cour considère qu’ »est pertinent le critère selon lequel l’ingrédient bénéficiant de l’AOP a été ajouté en quantité suffisante pour conférer à la denrée alimentaire concernée une caractéristique essentielle », tout en reconnaissant qu’il n’est toutefois pas possible de suggérer un pourcentage minimal uniformément applicable compte tenu de l’hétérogénéité des cas de figure potentiels.
La CJUE conclut : « l’utilisation d’une AOP comme partie de la dénomination sous laquelle est vendue une denrée alimentaire qui ne répond pas au cahier des charges relatif à cette AOP, mais qui contient un ingrédient répondant audit cahier des charges, telle que ‘Champagner Sorbet’, constitue une exploitation de la réputation d’une AOP, au sens de ces dispositions, si cette denrée alimentaire n’a pas, comme caractéristique essentielle, un goût généré principalement par la présence de cet ingrédient dans sa composition. »
Ce principe posé, demeurent toutefois de nombreuses questions : comment apprécier la présence d’un « goût » Champagne ? Qui devra s’en charger : le juge lui-même, un expert, un panel de consommateurs ? A quel point le goût du Champagne doit-il prédominer sur le goût des autres ingrédients pour être considéré comme une caractéristique essentielle ? Que se passe-t-il lorsque l’ingrédient bénéficiant de l’AOP ne peut tout simplement pas être identifié dans le mélange final ? Comment s’assurer dans ce cas qu’il s’agit bien d’un vin de Champagne et non pas d’un vulgaire « sekt » (vin mousseux), tel que celui utilisé dans l’élaboration du « Champagner Sorbet » ?
Dans ce contexte, difficile de présager de la décision finale qui sera apportée par les juges allemands.
Auteurs
José Monteiro, of Counsel, droit de la propriété intellectuelle
Anaïs Arnal, avocat, droit de la propriété intellectuelle