TVA : première étape vers le régime définitif
Les premiers projets de textes portant réforme du régime des opérations transfrontalières sont rendus publics.
La Commission européenne a publié le 4 octobre 2017 un projet de directive et deux projets de règlements qui préfigureraient, à compter du 1er janvier 2019, la première étape d’une réforme en profondeur du régime des opérations transfrontalières au sein de l’Union européenne.
Il s’agit du volet le plus structurant du plan d’action pour la modernisation du système de TVA annoncé le 7 avril 2016.
1. Etat d’avancement du programme issu du Plan d’action
Ce plan prévoit plusieurs axes d’évolution concernant le commerce électronique, le régime définitif d’imposition des opérations transfrontalières, les taux, le régime des petites entreprises et la coopération entre les Etats membres, chacun de ces thèmes devant donner lieu à la présentation de propositions de textes législatifs dans un calendrier s’échelonnant de 2016 à 2018 pour une application, sous réserve de leur adoption à l’unanimité, échelonnée jusqu’en 2022.
La Commission avait précédemment publié trois séries de projets de textes, encore en discussion par les Etats membres, portant sur les règles applicables au commerce électronique, le taux de la TVA de la presse en ligne pour autoriser les Etats à faire usage d’un taux réduit et, enfin, à la demande de quelques Etats membres, la faculté de recours temporaire à un mécanisme d’autoliquidation généralisé de la TVA pour les Etats les plus exposés à la fraude. La Commission présente désormais une partie des projets de textes qui pourraient servir de socle à la mise en place du régime définitif concernant les opérations transfrontalières.
Afin de lutter contre la fraude, l’objectif de la Commission est de voir remplacées, à compter du 1er janvier 2022, pour les échanges de biens B2B, la livraison intracommunautaire (LIC) exonérée de TVA au lieu de départ et l’acquisition intracommunautaire (AIC) taxable au lieu d’arrivée par une seule opération de LIC taxable au lieu d’arrivée des biens.
La TVA serait en principe déclarée et payée par le vendeur sous déduction de la taxe d’amont dans chaque Etat membre où sont expédiés les biens. Les inconvénients administratifs en résultant seraient évités par l’extension aux LIC en B2B du guichet déjà mis en place depuis 2015 pour la collecte et le paiement de la taxe sur les services électroniques rendus en B2C. Toutefois, le recours au guichet unique ne concernerait qu’une partie des transactions puisque la taxe serait autoliquidée par l’acquéreur lorsqu’il présente un degré de fiabilité suffisant, attesté par un statut d’assujetti certifié.
A l’issue d’un bilan à établir cinq ans après l’entrée en vigueur de ce changement, la Commission laisse entrevoir une possible généralisation de la taxation au lieu de destination pour l’ensemble des transactions (livraisons de biens ou services) assortie d’un régime de déclaration et de paiement exclusivement par le guichet unique.
Ces deux étapes du projet sont encore trop embryonnaires pour être utilement présentées ici.
2. Première étape vers le régime définitif d’imposition des livraisons de biens B2B transfrontalières
Les détails de la réforme à échéance du 1er janvier 2022 ne sont pas encore tous perceptibles puisque seul un premier train de mesures vient d’être formalisé, au demeurant de manière incomplète.
Les mesures suivantes, qui combinent consolidation du régime actuel et préfiguration du régime définitif, entreraient en application dès 1er janvier 2019 sous réserve bien entendu de leur adoption à l’unanimité par les Etats membres dans un délai compatible avec cette échéance rapprochée.
- Principe d’imposition au lieu de destination des biens et des services
Serait institué comme objectif à atteindre le principe d’imposition dans l’Etat membre de destination des biens mais également des services en lieu et place du principe d’imposition dans l’Etat membre d’origine approuvé en 1977 par les Etats membres. Le nouveau principe impliquerait l’application du taux de TVA de l’Etat membre de destination, à savoir l’Etat membre dans lequel se situe l’acheteur.
- Principe de redevabilité de la TVA par le fournisseur
Le redevable de la TVA sur les opérations transfrontalières serait en principe le fournisseur. Toutefois, si l’acheteur des biens est un contribuable fiable, c’est-à -dire un assujetti certifié, c’est à lui qu’il incomberait d’acquitter la TVA due dans l’Etat membre de destination.
- Nouvelles conditions de fond pour l’exonération des livraisons intracommunautaires de biens
Afin de consolider dans l’immédiat le régime actuel, l’identification valide de l’acquéreur deviendrait une condition de fond pour bénéficier de l’exonération alors que la CJUE n’y voit qu’une condition formelle dont l’absence de respect ne peut pas en elle-même faire obstacle à l’exonération.
La mention de la LIC à l’acquéreur dans l’état récapitulatif du vendeur (en France la DEB) deviendrait également une condition de fond. Par ces deux mesures, la Commission entend répondre à une demande des Etats membres qu’ils estiment justifiée pour renforcer les moyens de lutte contre la fraude carrousel.
- Création d’un statut d’assujetti certifié
La certification d’un assujetti conditionnerait à partir de 2022 l’autoliquidation de la TVA au titre des achats de biens qu’il réaliserait auprès d’un vendeur établi dans un autre Etat membre de l’UE, évitant ainsi le portage de la TVA qui devrait suivant la nouvelle règle territoriale lui être normalement facturée par son fournisseur.
Elle serait toutefois mise en place dès 2019 et donnerait alors accès à certaines mesures de simplification.
Cette certification devrait être demandée par les assujettis communautaires aux autorités de l’Etat membre de leur siège. Pour les assujettis ayant leur siège hors de l’UE, la demande serait effectuée au lieu de leur principal établissement dans l’UE. Une fois obtenue, elle serait valable dans l’ensemble des Etats membres de l’UE, ce qui constitue une avancée positive par rapport au projet initial qui rendait nécessaire une certification dans chaque Etat d’établissement.
Les critères fixés pour la certification seraient du même type que ceux existants pour l’obtention du statut d’opérateur économique agréé en matière douanière. Une entreprise ayant le statut d’OEA serait d’ailleurs présumée avoir la qualité d’assujetti certifié pour les besoins de la TVA.
Trois critères cumulatifs sont prévus :
- l’absence d’infractions graves ou répétées en matière fiscale, douanière, pénale ou économique,
- l’existence dans l’entreprise d’un niveau de contrôle élevé sur ses opérations et mouvements de biens au moyen d’un système de gestion permettant d’exercer les contrôles fiscaux nécessaires ou d’une piste d’audit interne fiable ou certifiée,
- et, enfin, une solvabilité financière permettant à l’assujetti de s’acquitter de ses engagements.
Compte tenu des avantages qui seraient attachés au statut d’assujetti certifié, les conditions et les modalités d’attribution de ce statut devront être examinées avec la plus grande attention à la lumière notamment des précisions qui devraient figurer dans un projet de règlement dont la publication est annoncée par la Commission. Ces précisions sont d’autant plus nécessaires que la similitude de critères fiscaux et douaniers n’est actuellement pas suffisante pour déceler le niveau d’exigence attendu au plan fiscal.
- Mesures de simplification pour les assujettis certifiés
Voici enfin les mesures de simplification dont bénéficieraient les assujettis certifiés dès le 1er janvier 2019.
Tout d’abord, la certification renforcerait la sécurité juridique des opérateurs en ce qui concerne la preuve de l’expédition ou du transport des biens pour bénéficier de l’exonération des LIC.
Le vendeur bénéficierait d’une présomption d’expédition ou de transport effectif dans les trois situations suivantes : le vendeur et l’acquéreur sont tous deux des assujettis certifiés, seul le vendeur est certifié et c’est lui qui porte la responsabilité du transport ou de l’expédition ou, enfin, l’acquéreur est seul certifié et porte la responsabilité du transport ou de l’expédition.
La présomption jouerait si le vendeur détient deux éléments concordants parmi une liste fixée par le règlement d’exécution de la directive et une attestation écrite de l’acquéreur certifié si celui-ci a effectué le transport ou l’expédition.
La présomption serait toutefois réfragable si les autorités fiscales disposent « d’indications d’abus ou de fraude du vendeur ou de l’acquéreur des biens ».
La certification du vendeur et de l’acquéreur ouvrirait également accès à un régime simplifié pour le transfert de stocks sous contrat de dépôt. Cette opération ne donnerait lieu à une LIC/AIC qu’au moment du transfert de propriété sans avoir à traiter le transfert physique en amont. La DEB demeurerait toutefois exigée lors du transfert. Notons que ce régime couvrirait un champ plus restreint que celui des mesures de simplification prévues pour les stocks déportés actuellement applicables en France.
Enfin, les opérations en chaine bénéficieraient d’une simplification à la condition que le vendeur et l’intermédiaire par ou pour le compte duquel le transport est effectué soient tous deux des assujettis certifiés. Dans ce cas, la LIC serait en principe imputée à la livraison que le vendeur effectue au profit de l’intermédiaire.
Il n’est pas certain que cette mesure suffise, comme l’indique la Commission, à régler toutes les questions portant sur les transactions en chaine en particulier à la lumière de la jurisprudence récente de la CJUE.
Compte tenu de l’ampleur du projet de réforme, une évaluation précise des gains pouvant en être escomptés en termes de simplification et de sécurité juridique ne pourra être effectuée qu’une fois l’ensemble des projets de textes publiés.
Auteurs
Elisabeth Ashworth, avocat associé, responsable des questions de TVA et de taxe sur les salaires au sein de l’équipe de doctrine fiscale.
Ariane Beetschen, avocat associée en matière de TVA et autres taxes indirectes, et de taxe sur les salaires, dans tous les secteurs d’activités, avec une dominante industrielle et commerciale.