TVA : « l’heure des choix »
La Commission européenne propose un vaste plan de modernisation et de consolidation.
La Commission a présenté le 7 avril 2016 un programme de réforme du système européen de la TVA à l’issue de plusieurs années d’un minutieux travail de réflexion et de concertation avec les Etats membres de l’UE et l’ensemble des parties prenantes dans le cadre de différentes instances de consultation (VAT Forum, VAT expert group, Fiscalis notamment).
Si les instances politiques de l’Union européenne en acceptent le principe, la mise en œuvre de ce plan d’action interviendrait au fil de l’adoption des actes juridiques (directive ou règlement) que la Commission présenterait suivant un calendrier prévisionnel échelonné de 2016 à 2018.
Derrière un ensemble d’apparence assez hétéroclite se dessine un subtil processus d’adaptation alliant, sous réserve des nombreuses précisions qui devront être apportées sur les conditions d’application des différentes mesures, la nécessité de consolider le système face à la fraude et le souci, si ce n’est d’alléger, au moins de ne pas aggraver les contraintes des entreprises en ce compris le coût d’adaptation induit par toute modification de la réglementation.
Le chemin tracé reste semé d’embûches
Il est vraisemblable que la Commission a tenu compte de l’acceptabilité par les Etats membres des choix qu’elle leur propose pour l’avenir. Pour autant, chacun des volets du plan devra recevoir un accord à l’unanimité pour que la cohérence d’ensemble en soit parfaitement préservée. Sans compter que certaines des propositions, et non des moindres s’agissant en particulier des moyens d’une coopération renforcée et d’une concurrence loyale, supposent que soient conclus des accords dont la portée s’étend au-delà de l’UE.
Voici les grandes lignes de ce plan d’action.
1. La généralisation du principe d’imposition au lieu de destination
Il s’agit sans aucun doute du volet le plus symbolique dans l’histoire de de la TVA.
Il serait en effet mis fin au régime «provisoire» d’imposition des livraisons intracommunautaires de biens entre assujettis (B to B) instauré en 1993 et unanimement critiqué pour sa complexité (une transaction donne lieu à au moins deux opérations du point de vue de la TVA à savoir une livraison exonérée du côté du vendeur et une acquisition taxable chez l’acquéreur) mais surtout pour sa forte exposition à la fraude carrousel.
Parmi l’ensemble des solutions examinées, la Commission européenne propose de choisir la taxation de ces ventes au lieu de destination. La TVA serait en principe déclarée et payée par le vendeur à l’Etat membre de destination à partir de l’Etat dans lequel cette entreprise est établie via un guichet unique (one-stop-shop, «OSS») c’est-à-dire sans qu’il lui soit nécessaire de s’identifier dans l’Etat où les biens sont livrés. La TVA pourrait toutefois être autoliquidée par l’acquéreur s’il est établi dans l’Etat de destination et qu’il s’agit d’une entreprise «fiable», certifiée comme telle par les autorités fiscales suivant des modalités qui ne sont pas précisées.
Le plan d’action ne précise pas le sort qui serait réservé aux actuels états récapitulatifs servis par les entreprises au titre de leur activité transfrontalière mais il est vraisemblable que cette obligation persiste en raison notamment de leur usage statistique par les Etats membres.
Le choix proposé par la Commission ne surprend pas au regard des objectifs qu’elle s’était fixés :
- il aboutit à une répartition des recettes au plus près du lieu de la consommation ;
- il s’applique déjà, pour l’essentiel, aux prestations de services transfrontalières (UE et non UE) rendues entre assujettis (B to B) et, depuis le 1er janvier 2015, à certaines de celles rendues à des non assujettis, à savoir les services électroniques et ceux de télécommunication ou de télévision ;
- associé à des modalités simplifiées de déclaration par OSS, cette solution ne présenterait pas les contraintes dirimantes pour les entreprises qui rendaient auparavant sa mise en place inenvisageable.
Reste l’hypothèque de l’adhésion par tous les Etats membres à un mécanisme qui confie aux autres la collecte d’une part significative de l’impôt qui leur revient (la TVA actuellement collectée via un mini OSS sur les services électroniques représente actuellement une part insignifiante des recettes totales de TVA pour la plupart des Etats membres).
Ce volet du programme ne serait abordé qu’à partir de 2017.
2. Des mesures adaptées au développement du e-commerce
Il s’agit du volet le plus immédiat du programme qui s’inscrira dans le cadre de la stratégie pour un marché unique numérique.
La Commission proposera dès 2016 l’extension aux ventes en ligne de biens aux particuliers (qui sont taxables dans l’Etat de consommation) du mécanisme de guichet unique pour la déclaration et le paiement de la TVA par le fournisseur, qu’il soit établi dans ou en dehors de l’UE. Parallèlement serait supprimée la franchise à l’importation qui s’applique actuellement aux petits achats effectués auprès de marchands établis en dehors de l’UE au détriment concurrentiel des vendeurs européens. Les «start up» bénéficieraient d’une franchise spécifique dont les détails ne sont toutefois pas communiqués.
Enfin, par anticipation sur le volet du programme qui concerne les taux réduits de la TVA, la Commission devrait proposer que les Etats membres puissent en autoriser l’application aux publications électroniques. Rappelons que plusieurs Etats, dont la France, ont en quelque sorte provoqué cette initiative en appliquant un taux réduit au livre et à la presse électronique sans y être autorisés par l’actuelle Directive (annexe III).
3. Une révision des modalités d’application des taux réduits par les Etats membres
La Commission proposera ensuite (2017) une réforme générale du cadre légal d’application de taux réduits. Deux options seraient proposées aux Etats membres. Suivant la première option, l’actuelle liste des biens et services pouvant être taxés à un taux réduit serait révisée pour y intégrer les dérogations historiques en application desquelles certains Etats seulement appliquent un taux réduit ou nul à certains biens et services. Une révision périodique en serait ensuite effectuée. Suivant la deuxième option au contraire, la liste serait supprimée. Autrement dit, et sous réserve d’un encadrement minimal qu’impose le respect d’une concurrence loyale pour certains biens et services particulièrement exposés (comme par exemple les biens à forte valeur dont le transport est aisé), les Etats membres deviendraient libres d’appliquer un taux réduit aux biens et services de leur choix.
De l’aveu même de la Commission européenne, cette liberté encadrée serait une façon de mettre les Etats membres face à leurs responsabilités budgétaires.
4. Un recours encadré et temporaire à l’autoliquidation généralisée pour les Etats les plus exposés à la fraude
La Commission européenne ne s’oppose pas au recours à un mécanisme d’autoliquidation généralisée de la TVA entre assujettis. Mais n’en déplaise à ceux qui persistent à y voir une solution radicale à la fraude et l’assurance d’un système plus simple pour les entreprises (dont nous ne sommes pas), la Commission expose les raisons pour lesquelles elle estime qu’il s’agit d’une fausse bonne idée et n’en suggère l’application qu’à titre ponctuel et temporaire.
L’autoliquidation généralisée devrait, selon sa proposition, être décidée par le Conseil de l’UE à l’unanimité de ses membres et uniquement si cette solution est jugée efficace pour accompagner l’Etat qui en ferait la demande et s’inscrirait dans une démarche globale de renforcement de son système de perception et de contrôle de la TVA dans l’objectif de réduire structurellement la fraude endémique subie par cet Etat.
5. Un «paquet TVA» pour les petites entreprises
Des mesures d’harmonisation et de simplification en faveur des PME seraient présentées en 2017. Le régime de franchise en base pourrait être concerné de même que le format de la déclaration de TVA bien que la Commission ait dû récemment abandonner le projet d’harmonisation qu’elle avait proposé pour ce dernier, faute de toute perspective sérieuse d’un accord entre les Etats membres.
6. D’autres mesures de consolidation du système
Plusieurs initiatives seraient enfin prises par la Commission européenne avec pour principaux objectifs :
- le renforcement de la coopération entre les Etats membres mais également avec les pays tiers pour renforcer la perception de la taxe et l’application uniforme de la taxe quelle que soit la provenance des biens et des services consommés sur le marché européen ;
- la promotion de standards de qualité communs à l’ensemble des administrations fiscales pour la collecte, la gestion et le contrôle de la TVA ;
- l’amélioration du recouvrement de l’impôt, en particulier pour les nouveaux acteurs de l’économie collaborative ;
- et la promotion du civisme fiscal.
La nature exacte des actions qui seront engagées pour atteindre ces objectifs méritera d’être précisée.
Nul ne contestera la priorité donnée par ce programme à d’ambitieuses actions de consolidation systémique même s’il laisse de côté, au moins dans l’immédiat, certains aspects plus sectoriels de la réglementation TVA pourtant identifiés comme méritant amplement une modernisation (le régime des opérations bancaires, financières et d’assurance par exemple).
La Commission sonne «l’heure des choix», aux Etats membres désormais de répondre à l’appel.
Auteur
Elisabeth Ashworth, avocat associé, responsable des questions de TVA et de taxe sur les salaires au sein de l’équipe de doctrine fiscale.