Le traitement social des réductions tarifaires accordées aux salariés
7 janvier 2016
Les réductions tarifaires sur les biens ou services produits par l’entreprise échappent aux cotisations sociales dans le respect de certaines conditions. Cette tolérance administrative ne s’étendrait pas aux groupes de sociétés selon une lecture stricte de la circulaire. Une autre voie existe-t-elle lors de la défense aux contrôles Urssaf ?
Avec le cas particulier des groupes de sociétés
De nombreuses entreprises accordent à leurs salariés des tarifs préférentiels sur les biens ou services qu’elles réalisent. En effet, il paraît normal, notamment pour privilégier un sentiment d’appartenance à la marque et récompenser les efforts collectifs fournis dans la production de l’entreprise, de permettre aux salariés de se procurer à des tarifs avantageux, des biens ou services auxquels ils ont apporté une contribution, dans l’exercice de leurs fonctions.
1. Une tolérance administrative
Pour qu’une telle pratique, légitime au demeurant, ne conduise pas à des abus, notamment en rémunérant en partie le salarié par des rabais sur les produits, aux fins de se soustraire au paiement d’un salaire nécessairement soumis aux charges sociales, l’administration est rapidement intervenue pour définir les conditions et les limites de cette pratique.
À ce titre, il convient de rappeler préalablement et principalement que selon l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale «sont considérées comme rémunération toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail, notamment les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le montant des retenues pour cotisations ouvrières, les indemnités, primes, gratifications et tous autres avantages en argent, les avantages en nature, ainsi que les sommes perçus directement ou par l’entremise d’un tiers à titre de pourboire» (CSS, art. L. 242-1).
En principe, les avantages en nature ou en espèce consentis par l’employeur à ses salariés, sont donc naturellement soumis aux cotisations sociales, dès le premier euro.
C’est ainsi que selon la Cour de cassation, l’avantage dont bénéficie le salarié est soumis à cotisations sociales et notamment :
- les billets d’avion à prix réduits alloués par une compagnie aérienne à ses salariés et ayants droit à raison de leur appartenance à l’entreprise (Cass. 2e civ., 18 oct. 2005, n°04-30.194) ;
- la fourniture, à ses salariés, d’un abonnement gratuit à domicile, du quotidien édité par une entreprise de presse (Cass. soc., 11 sept. 2008, n°07-18.792) ;
- la fourniture de pneus par un fabricant à ses salariés ; dans cette affaire, il avait été demandé aux salariés de monter ces pneus sur leur voiture personnelle, de communiquer à l’entreprise leurs conditions d’utilisation, de les soumettre à des contrôles périodiques et de les restituer ou de les acquérir à leur prix résiduel en cas de vente ; tous ces éléments devant démontrer qu’il ne s’agissait pas d’un avantage mais uniquement de tests réalisés par les salariés n’ont pas suffi à «masquer» la réalité de l’avantage consenti (Cass. soc., 14 déc. 1988, n°86-10.311).
Toutefois, concernant les réductions tarifaires sur les biens ou services produits par l’entreprise, l’Administration admet quant à elle, à titre de tolérance, que l’avantage consenti échappe aux cotisations sociales, mais dans le respect de certaines conditions et limites.
À cet effet, la circulaire du 7 janvier 2003 relative aux avantages en nature évoque la question du traitement social des réductions tarifaires consenties par une entreprise à ses salariés (Circ. DSS,7 janv. 2003, BOSS 4-03, cf. n°24).
Aux termes de cette circulaire, les réductions tarifaires consenties par l’entreprise à ses salariés, sur les biens ou services produits par elle, ne constituent un avantage en nature cotisable que lorsque la remise dépasse 30% du prix de vente normal (TTC) ou bien que l’avantage est consenti gratuitement.
En effet dans ces deux cas, il convient de réintégrer la totalité de l’avantage en nature dans l’assiette des cotisations sociales. Au contraire, la valeur de l’avantage consenti n’excédant pas 30% du prix de vente normal du produit est négligée et donc exonérée de cotisation sociale.
Que faut-il entendre par «prix de vente normal» ? D’après la Cour de cassation, le prix de vente normal (TTC) correspond à l’offre proposée au grand public au cours d’une année, à l’exclusion de toute offre promotionnelle, par définition limitée dans le temps ou s’adressant à un public déterminé (Cass. 2e civ., 25 juin 2009, n°08-17.156; Cass. 2e civ. 29 nov. 2012 n°11-23.919,Urssaf de la Gironde c/ Sté Pernod).
Récemment, la Haute juridiction a considéré que les réductions tarifaires que l’employeur a consenties à ses salariés et retraités en 2001 et 2002 sur les contrats d’assurance constituent un avantage en nature soumis à cotisations et ne peuvent bénéficier de la tolérance administrative en ce qu’elles excèdent 30% du prix de vente public normal, toutes taxes comprises, dès lors qu’il est relevé :
- d’abord, que l’employeur commercialise ses produits d’assurance auprès du public par l’intermédiaire d’un réseau d’agents généraux qu’il rémunère en leur versant une commission ;
- ensuite, qu’il perçoit de l’agent général le montant intégral de la prime acquittée par le client ;
- qu’enfin il rémunère son agent général en lui versant une commission dont le taux est négocié entre eux et que cette rémunération, qui entre dans les frais liés à l’opération de commercialisation de ses produits d’assurances et qui ne peut s’apparenter à la marge que réalise le détaillant, ne peut être déduite du coefficient réducteur de 0,50 mentionné au titre des contrats d’assurance en cause, sur le document intitulé «conditions tarifaires réservées aux collaborateurs de l’entreprise pour les contrats IARD» (Cass. 2e civ., 13 févr.2014 n°13-13.883, Mutuelles Du Mans (MMA) IARD c/ Urssaf des Pays de la Loire ; Cass. 2e civ.,13 févr. 2014 n°13-13.884, Sté Défense automobile et sportive (DAS) assurances mutuelles c/ Urssaf des Pays de la Loire ; Cass. 2e civ., 13 févr. 2014 n°13-13.885, Mutuelles Du Mans Assurances Vie c/Urssaf des Pays de la Loire).
Une banque, prenant en considération dans le calcul de son prix public de référence les clients bénéficiant d’un tarif même plus avantageux que celui accordé à ses salariés ainsi que les clients disposant soit de cartes bancaires gratuites, soit d’une rétrocession substantielle par rapport à leur coût standard, effectue une moyenne pondérée qui ne peut être retenue pour contester le redressement opéré par l’Urssaf sur l’avantage en nature résultant de l’offre faite par la banque à ses salariés relative aux frais minorés de carte bancaire, dans la mesure où elle ne fait pas référence au prix le plus bas pratiqué, accessible à l’ensemble de la clientèle (Cass.2e civ., 19 sept. 2013 n°12-21.755, Crédit Mutuel méditerranéen c/ Urssaf des Bouches-du-Rhône).
Quels sont les biens ou services concernés ?
D’après la circulaire, «cette tolérance concerne les biens ou services produits par l’entreprise qui emploie le salarié et exclut les produits ou services acquis par l’entreprise auprès d’un fournisseur ou d’une autre entreprise».
Ainsi, avec le développement progressif des groupes de sociétés et les fortes interactions qui peuvent exister entre sociétés du même groupe, la pratique des avantages tarifaires consentis aux salariés s’est élargie pour concerner les biens ou services produits par les entreprises du groupe. C’est ainsi que des salariés se sont vus proposer des tarifs préférentiels, dont la valeur de l’avantage n’était pas soumise aux cotisations sociales, sur des biens ou services fabriqués non pas par la société qui les emploie mais par une société du groupe auquel appartient leur employeur.
Pourtant, dans deux arrêts remarqués, la Cour de cassation a mis un coup d’arrêt à cette pratique en précisant que sont exclues de cette tolérance administrative les réductions tarifaires consenties sur les produits et services produits par une autre société du groupe.
Le premier arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 1er juillet 2010 (Cass. 2e civ., 1er juill. 2010, n°09-14.364) concerne la SAS Calor qui a fait bénéficier à ses salariés de tarifs préférentiels à la fois sur les produits fabriqués par elle (de la marque Calor) ainsi que les produits fabriqués par les autres sociétés du groupe SEB à laquelle elle appartient. Elle a ainsi fait bénéficier ses salariés de produits des marques Seb, Rowenta, Krups, Tefal, Moulinex etc.
- Pour les produits Calor fabriqués par la SAS Calor, la Cour d’appel de Lyon (CA Lyon, 17mars 2009, n°08/03619) a considéré que la valeur de l’avantage ne rentrait pas dans l’assiette des cotisations dans la mesure où la remise pratiquée était inférieure à 30% du prix de vente TTC du bien.
- En revanche, concernant les autres produits fabriqués par le Groupe, la cour d’appel a considéré que n’étant pas fabriqués par la SAS Calor, la tolérance ministérielle ne trouvait pas à s’appliquer et ils constituaient des avantages en nature devant supporter les cotisations sociales. La Cour de cassation confirmant l’arrêt d’appel a ainsi considéré : «Mais attendu qu’après avoir exactement énoncé qu’en application de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale les avantages en nature sont soumis à cotisations, la cour d’appel qui retient que la tolérance administrative dont l’Urssaf a fait application concerne les biens et services produits par l’entreprise qui emploie le salarié et exclut les produits ou services acquis par l’entreprise auprès d’un fournisseur ou d’une autre entreprise en a justement déduit, cette tolérance étant d’interprétation stricte, que les remises sur le prix des produits vendus par d’autres sociétés du groupe SEB à des salariés de la société constituaient des avantages en nature soumis à cotisations.» Dans la seconde espèce (Cass. 2e civ., 13 janv. 2011, n°10-30.565), les salariés de la société Iveco Magirus Firefighting Camiva, société appartenant au groupe Fiat, bénéficiaient de tarifs préférentiels sur les véhicules de la marque Fiat à condition d’acheter leur véhicule chez un concessionnaire Fiat. Cette réduction tarifaire (inférieure à 30%) concernait six véhicules par an et par salarié.
La Cour de cassation a une fois de plus considéré que «la société ne peut se prévaloir de la tolérance instituée par la circulaire interministérielle du 7 janvier 2003 dès lors que les conditions préférentielles d’achat accordées aux salariés ne portaient pas sur des véhicules fabriqués par elle, l’arrêt relève que les salariés de la société pouvaient acheter six voitures par an pour eux-mêmes ou leurs proches et bénéficiaient de remises spécifiques allant, selon les modèles, de 19 à 26%, auxquelles pouvaient s’ajouter des offres exceptionnelles et des remises additionnelles de fidélité de plus de 4%, calculées en fonction du nombre de véhicules achetés et que ces remises, généralisées et systématiques, étaient largement supérieures à celles que la clientèle peut, éventuellement et ponctuellement, obtenir sur le marché auprès des concessionnaires de la marque».
2. Une tolérance d’interprétation stricte notamment dans les groupes de sociétés
Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que la tolérance administrative est «d’interprétation stricte» et ne peut pas être étendue aux produits et services vendus aux salariés d’une société mais réalisés par une autre société du Groupe. Cette autre société ne peut pas être considérée comme faisant partie de «l’entreprise» au sens de la circulaire.
Actuellement, les Urssaf ont tendance à diligenter des redressements sur ce fondement. Mais il existe différentes organisations dans les groupes de société. De plus en plus, le processus d’élaboration des produits est réparti entre différentes sociétés du groupe (une société fait la R & D, une le marketing et une autre la production). Une lecture stricte de la tolérance effectuée par certaines Urssaf conduit à refuser toute exonération. Mais cela revient à nier l’organisation actuelle des groupes de sociétés avec une répartition des tâches à différentes sociétés du groupe et conférer la possibilité de bénéficier de la réduction tarifaire exonérée de cotisations aux seuls salariés de la société produisant le bien. Et si cette production est sous-traitée, aucun salarié ne pourrait en bénéficier alors qu’on ne peut nier que ceux-ci ont grandement participé à son élaboration avant la seule mise en production.
3. Une autre voie pour conforter cette pratique dans les groupes de sociétés
Nous considérons que les verbes «réaliser» ou «produire», utilisés par la circulaire ne sauraient se réduire à la simple fabrication manufacturière du bien. À notre sens, ces termes impliquent que le bien est réalisé ou produit dans l’entreprise même si la société en question ne fabrique pas le bien à échelle industrielle aux fins de commercialisation. Il faut en effet considérer que la réalisation ou la production au sens de la circulaire, et sans dénaturer le sens de celle-ci, doit conduire à considérer que la société qui imagine, conçoit, réalise le prototype du produit ou encore réalise le «marketing» du produit, doit être considérée comme réalisant le bien au même titre que la filiale ou la sœur qui fabrique le produit en quantité industrielle aux fins de mise sur le marché. Ainsi, selon nous, ce produit pourrait être proposé à tarif préférentiel au salarié, dès lors que la société participe pleinement à son processus de réalisation ou de commercialisation au sein de l’«entreprise» dépassant le cadre strict de la personne morale de la société. Le droit du travail le fait bien avec la notion d’Unité Économique et Sociale, il n’existe donc aucune raison que le droit de la sécurité sociale n’en fasse pas de même surtout concernant la notion d’«entreprise» qui n’a pas de définition légale précise1 au contraire de la notion de société. Les termes retenus par la circulaire du 7 janvier 2003 ne sont donc pas neutres à cet égard.
Comme indiqué, la pratique actuelle des Urssaf, dans le cadre de leurs contrôles est de vérifier le strict respect des conditions d’exonération posées par la circulaire, la tendance remarquée n’étant pas à une libéralisation de ces pratiques au sein des groupes de société. En cas de violation de ces limites, elle ne manquera pas de redresser la société sur la totalité de l’avantage consenti et non pas seulement sur la partie excédant 30% du prix TTC si telle est la violation observée. Pour autant, il existe de sérieux moyens de défendre la pratique du groupe afin d’éviter des redressements dont les montants peuvent s’avérer très conséquents. Par ailleurs un redressement de ce type pourrait conduire à la remise en cause au sein du groupe concerné de la réduction tarifaire en raison du coût financier engendré par l’assujettissement aux cotisations de sécurité sociale. Or, on ne peut nier les difficultés qu’une telle remise en cause engendrerait sur les relations sociales au sein de l’entreprise et du groupe.
Note
1 L’INSEE propose la définition suivante : l’entreprise est la plus petite combinaison d’unités légales qui constitue une unité organisationnelle de production de biens et de services jouissant d’une certaine autonomie de décision, notamment pour l’affectation de ses ressources courantes.
Auteur
Guillaume Bossy, avocat associé CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon spécialisé en droit du travail et droit de la protection sociale.
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