Tout le monde s’était trompé sur la nature des contrats d’option !
Le Conseil d’Etat juge, pour les situations antérieures à l’entrée en vigueur des dispositions du règlement ANC 2015-05, que les primes d’option constituent la contrepartie de l’acquisition d’un actif et ne peuvent pas être déduites fiscalement.
L’affaire Deutsche Bank a trouvé sa conclusion[1]. Au cours de cette longue procédure où, en toile de fond, il n’a été question que de l’exercice de déduction des primes d’option, le Conseil d’Etat tranche pour leur non-déductibilité, par principe.
Peut-être faut-il commencer par rappeler les grandes étapes de ce contentieux. La société Deutsche Bank AG forme un groupe intégré avec sa filiale Deutsche Friedland SAS, laquelle exerce une activité d’arbitrage financier reposant sur la conclusion de dérivés actions de nature optionnelle, couverts par l’acquisition d’actions françaises. La détention simultanée des options et des actions sous-jacentes caractérisait des « positions symétriques » au sens du 3° de l’article 38, 6 du CGI, article qui limite le montant déductible des pertes sur positions symétriques à leur fraction excédant les gains non encore imposés sur les positions prises en sens inverse.
Un premier litige était né du calcul de la provision enregistrée au titre de l’année 2010, et du calcul du montant du « gain non encore imposé », litige au terme duquel le Conseil d’Etat a jugé que le montant des gains non encore imposés sur contrat d’option s’entend de la marge bénéficiaire qui résulterait du contrat d’option, donc sans en déduire la prime versée par l’acheteur de l’option en contrepartie de cette acquisition[2].
Restait en suspens la question de savoir au titre de quel exercice était déductible cette prime. Dans ses conclusions sous la décision du 19 décembre 2019, le Rapporteur public Romain Victor avait indiqué qu’elle devrait être déductible des résultats de l’année au titre de laquelle elle est exposée, ou de manière étalée, conformément au traitement comptable retenu. Lors de l’audience de renvoi, la société, se fondant sur le droit de compensation prévu par l’article L.205 du LPF, invoquait une surimposition au titre de l’exercice 2010 liée à la déduction des primes à l’échéance, alors qu’une telle déduction aurait dû selon elle intervenir dès l’exercice 2010 au cours duquel les primes avaient été acquittées.
La CAA de Versailles[3] a fait droit à sa demande et a jugé que la déduction de la prime pouvait être opérée dès la constatation de la dépense, conformément au principe fixé par l’article 39, 1 du CGI, selon lequel le bénéfice est établi sous déduction de toutes charges. Dans son pourvoi, l’administration invoquait que les primes devaient être déduites à l’échéance puisque le contrat d’option doit être analysé sous l’angle d’une prestation de services.
Le Conseil d’Etat ne suit ni le contribuable ni l’administration et juge que les primes d’option constituent la contrepartie de l’acquisition d’un actif financier et de ce fait, ne sont pas déductibles. Ce qui, la surprise passée, pose quelques questions.
I Un principe général : la prime d’option est la contrepartie de l’acquisition d’un actif financier
Les commentateurs des décisions Deutsche Bank ont généralement analysé le contrat d’option sous l’angle de la prestation de services, non pas pour en rattacher la déduction au dénouement de l’option, mais pour envisager leur déduction de manière étalée. L’analyse d’un contrat d’option en prestation de services n’a pourtant rien d’évident, ainsi que le démontre la position de la CAA Versailles.
Le Conseil d’Etat place pour sa part le débat sur un terrain radicalement différent et juge que « la prime acquittée pour l’acquisition d’un contrat d’option a pour objet d’attribuer à l’acheteur le droit exclusif d’exercer l’option qui lui permettra d’obtenir l’avantage économique potentiel lié aux variations de la valeur de l’instrument financier sous-jacent. La prime rémunère, pour le vendeur du contrat d’option, l’abandon irrévocable du même droit. Il suit de là que cette prime a pour contrepartie l’acquisition du droit de bénéficier de cet avantage, qui a la nature d’un actif financier, et ne saurait par suite constituer une charge déductible de l’exercice au cours duquel elle est acquittée ».
Pour justifier cette solution, le Rapporteur public Romain Victor relève que les contrats d’option ont pour objet et pour effet de transférer à l’acheteur un droit cessible et constituent de ce fait un élément identifiable du patrimoine de la personne qui l’a acquis. Ces contrats sont en outre porteurs d’avantages économiques futurs, nonobstant l’aléa lié à l’exercice de l’option. Les normes comptables internationales (IAS et IFRS), dont il conviendrait de s’inspirer, regardent d’ailleurs les options, comme des actifs financiers devant faire l’objet d’une comptabilisation au bilan[4].
Le Conseil d’Etat précise également le régime des contrats d’option : « en l’absence de règles comptables en disposant autrement, cet actif peut, pour la fraction de sa valeur qui se déprécie de manière irréversible avec le temps, donner lieu à amortissement selon un mode linéaire ou actuariel. Il peut, le cas échéant, donner lieu à la constitution de provisions. Lorsque l’option est exercée, la valeur résiduelle de la prime d’acquisition constitue, dans le cas d’une option d’achat, un élément du prix d’acquisition de l’actif sous-jacent, et vient, dans le cas d’une option de vente, en déduction du prix de cession. En l’absence d’exercice de l’option à la date de son échéance, une perte peut être constatée à concurrence de cette valeur résiduelle ».
Le principe dégagé par le Conseil d’Etat est clair : en présence d’un contrat d’option, la prime n’est pas fiscalement déductible. Mais ce principe vaut-il pour tous les contrats d’option, quelle que soit la date de conclusion des contrats ?
II Un principe général qui soulève un certain nombre de questions
Une option cotée est négociable et donc cessible. Mais qu’en est-il des options négociées de gré à gré présentant des caractéristiques particulières ? Leur caractère « cessible » pourra, selon les caractéristiques particulières des contrats, faire défaut. Cette hypothèse n’est envisagée ni par le Rapporteur public, ni par le Conseil d’Etat qui postulent qu’au cas particulier, les options étaient cessibles. Si un tel silence se comprend au stade de la cassation, on peut toutefois s’en étonner lorsque, redevenu juge du fond, le Conseil d’Etat a appliqué le principe dégagé au cas particulier.
Le régime institué par le Conseil d’Etat pose aussi question. La règle de l’incorporation de la prime au prix de revient semble peu compatible avec l’article 2 A de l’annexe III au CGI qui dispose que lorsque l’option porte sur une valeur mobilière, les titres doivent être inscrits à leur cours de marché à la date d’exercice de l’option, ce qui devrait aboutir à la déduction fiscale de la prime. D’autre part, si on comprend le traitement lorsque l’option donne lieu à la livraison physique de l’action sous-jacente, qu’en est-il lorsque l’option se dénoue par règlement en numéraire, hypothèse extrêmement fréquente ?
L’autre question qui se pose est celle de la portée de la solution au regard de l’évolution des règles comptables. Il semble que le Conseil d’Etat, en précisant un traitement « en l’absence de règles en disposant autrement », ait entendu cantonner la solution aux situations antérieures à l’entrée en vigueur du règlement ANC 2015-05 du 2 juillet 2015. L’article 628-12 du PCG dispose en effet, pour les opérations de couverture, que les primes d’option peuvent, au choix de l’entreprise, soit être étalées dans le compte de résultat sur la période de couverture, soit être constatées en résultat de manière symétrique à l’élément couvert (avec une comptabilisation dans le coût de l’actif lorsque l’élément couvert est activé). La règle posée par le Conseil d’Etat aurait ainsi potentiellement vocation à s’appliquer en dehors des situations de couverture.
On le perçoit, tout n’a sans doute pas été dit sur le traitement fiscal des primes d’options. Doit-on également se borner à la question technique, n’y a-t-il pas une question préalable, de pure procédure qui doit être posée ? L’administration avait, dans son pourvoi, placé le débat sur la nature du contrat d’option, sous l’angle d’une prestation de service. Le Rapporteur public reconnait qu’il « est nécessaire de prolonger un peu le raisonnement du pourvoi, ce qu’il vous appartient néanmoins de faire, dans le cadre de votre office de juge de cassation, dès lors que le bon moyen est bien soulevé ». A tout le moins, on peut se demander si le « prolongement » opéré pouvait valablement l’être sans communication préalable d’un moyen d’ordre public.
Article paru dans Option Finance le 14/02/2022
[1] CE, 29 novembre 2021, n° 450732, Sté Deutsche Bank.
[2] CE, 19 décembre 2019, n° 431066, Sté Deutsche Bank.
[3] CAA, Versailles, 26 janvier 2021, n°19VE04194, Sté Deutsche Bank.
[4] Aucune référence n’est faite dans les conclusions à la décision CE 21 août 1996 n° 154488, SA Sife.
Auteurs
Benoît Foucher, avocat counsel en droit fiscal
Mathilde Lenègre, avocat en droit fiscal