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Titres souscrits à la suite d’une augmentation de capital

Titres souscrits à la suite d’une augmentation de capital

Dans quel cas est-il possible de considérer qu’il ne s’agit pas de titres de participation ?

A propos de Conseil d’Etat, 8 novembre 2019, n° 422377, min. c/ société Crédit Agricole.

Le litige qui oppose le Crédit Agricole à l’administration fiscale sur la nature des titres souscrits par cette société lors de l’augmentation de capital de sa filiale grecque Emporiki en 2012 a déjà donné lieu à de nombreux développements jurisprudentiels (voir notamment Cons.constit. décision n° 2015-475 QPC du 17 juillet 2015; CAA Versailles, 17 mai 2018, n°15VE04052, société Crédit Agricole et, en dernier lieu, CAA Versailles, 4 avril 2019, n° 16VE02437). Au centre de ce litige se trouve la question de savoir si ces titres ont, sur le plan comptable, la nature de titres de participation ou au contraire celle de titres de placement. Ce litige vient de connaître son épilogue avec la décision par laquelle le Conseil d’Etat a tranché en faveur du contribuable en rejetant le pourvoi formé par l’administration contre l’arrêt du 17 mai 2018 par lequel la Cour administrative d’appel de Versailles avait déjà donné raison à la société.

Rappelons que la définition de la notion de titres de participation a été fixée sur le plan fiscal par l’article 2 de la loi de finances rectificative pour 1995, codifié au 3ème alinéa du a ter du I de l’article 219 du CGI, qui prévoit que « constituent des titres de participation les parts ou actions de sociétés revêtant ce caractère sur le plan comptable ». La même définition a depuis lors été systématiquement reprise, notamment au a quinquies du I de l’article 219 du CGI et il est généralement admis que cette définition constitue la définition générale de la notion de titres de participation qu’il convient de retenir pour l’application des dispositions du CGI.

L’étroite connexion ainsi établie par le législateur entre la fiscalité et la comptabilité a logiquement conduit le Conseil d’Etat à s’inspirer très scrupuleusement des principes comptables pour définir sur le plan fiscal les titres de participation « revêtant ce caractère sur le plan comptable » au sens de ces dispositions. C’est ainsi par référence aux principes consacrés par le PCG de 1982 que le Conseil d’Etat a défini ces titres comme ceux « dont la possession durable est estimée utile à l’activité de l’entreprise, notamment parce qu’elle permet d’exercer une influence sur la société émettrice des titres ou d’en assurer le contrôle, une telle utilité pouvant notamment être caractérisée si les conditions d’achat des titres en cause révèlent l’intention de l’acquéreur d’exercer une influence sur la société émettrice et lui donnent les moyens d’exercer une telle influence » (CE 20 octobre 2010 n° 314247, Sté Alphaprim ; CE 20 octobre 2010 n° 314248, Sté Hyper Primeurs ; CE 12 mars 2012 n° 342295, EURL Alci  CE 20 mai 2016 n° 392527, Min. c/ Selarl Lemaire ; CE 26 janvier 2018 n° 408219, Sté EBM).

Les circonstances de fait de l’affaire méritent d’être rappelées en détail. En 2006, la SA Crédit agricole a acquis 100 % des titres de la banque grecque Emporiki. Début 2012, elle a engagé un processus de cession de cette filiale, dont la situation financière s’était sensiblement détériorée en raison de la crise économique grecque. Pour ce faire, et conformément aux prescriptions du fonds de recapitalisation du secteur bancaire grec, elle a procédé à une opération de recapitalisation de sa filiale : elle a ainsi augmenté le capital de cette dernière de 2,32 milliards d’euros le 19 juillet 2012 en contrepartie de l’émission de nouveaux titres inscrits dans un compte de titres de participation.

Parallèlement, elle a inscrit une provision pour dépréciation des titres d’égal montant. Cette provision n’étant pas déductible compte tenu du classement comptable ainsi retenu des nouveaux titres, la société a réintégré ces sommes dans sa déclaration relative à l’impôt sur les sociétés de 2012. Estimant cependant avoir commis une erreur comptable en inscrivant les nouveaux titres dans un compte de titres de participation, ainsi qu’en réintégrant extra-comptablement la provision sur les nouveaux titres dans la déclaration relative à l’impôt sur les sociétés au titre de l’exercice 2012, elle a réclamé à l’administration fiscale la restitution de l’impôt sur les sociétés acquitté à tort au titre de l’exercice 2012, et, à la suite du rejet de cette réclamation, porté le litige devant le juge de l’impôt.

Se prononçant sur le pourvoi formé par l’administration contre l’arrêt par lequel la CAA de Versailles avait fait droit à la demande de la société, le Conseil d’Etat vient de confirmer cette solution mais en retenant un raisonnement différent de celui de la CAA.

Alors que la CAA s’était fondée sur les principes découlant du Plan comptable général, le Conseil d’Etat fait application des règles comptables particulières applicables aux établissements de crédit qui résultent en particulier du règlement n° 90-01 du Comité de la réglementation bancaire relatif à la comptabilisation des opérations sur titres, lequel définit les dispositions applicables aux titres de l’activité de portefeuille, aux autres titres détenus à long terme, ainsi qu’aux titres de participation et parts dans les entreprises liées.

Le Conseil d’Etat déduit de ces dispositions que, dans les limites autorisées par cette réglementation comptable applicable aux seules entreprises du secteur bancaire, la qualification comptable donnée aux titres issus d’une acquisition antérieure ne fait pas par elle-même obstacle à ce que les titres de la même société émettrice acquis ultérieurement par un établissement de crédit puissent recevoir une qualification comptable différente, en fonction de l’intention de l’acquéreur à la date de leur achat ou souscription.

Il en résulte que, dès lors que la destination d’un actif à sa date d’acquisition permet de déterminer sa comptabilisation au bilan, il convenait bien, comme l’avait jugé la CAA à bon droit, de se placer à la date de la souscription à l’augmentation de capital de la société Emporiki pour définir la nature comptable des titres ainsi souscrits, indépendamment de la qualification comptable des titres de la même société émettrice acquis antérieurement.

La CAA n’ayant pas dénaturé les pièces du dossier en estimant que l’intention de la société Crédit agricole, à la date de la souscription à l’augmentation de capital, était de céder au plus vite ses participations dans la banque Emporiki, le Conseil d’Etat en conclut qu’elle avait retenu une qualification juridique exacte des faits qui lui était soumis en en déduisant que le critère de possession durable des titres ainsi acquis n’était pas rempli, de sorte que ces derniers ne constituaient pas des titres de participation sur le plan comptable.

Pour retenir cette solution, le Conseil d’Etat a, à notre connaissance pour la première fois en matière fiscale, sollicité des observations de l’Autorité des normes comptables (ANC), sur le fondement des dispositions de l’article R.625-3 du code de justice administrative (procédure dite « d’amicus curiae », qui permet à la formation chargée de l’instruction d’une affaire « d’inviter toute personne, dont la compétence ou les connaissances seraient de nature à l’éclairer utilement sur la solution à donner à un litige, à produire des observations d’ordre général sur les points qu’elle détermine »). Ces observations ne sont pas publiques mais leur contenu a été largement repris par le rapporteur public Romain Victor dans ses conclusions, et le Conseil d’Etat, ainsi que le fait apparaître les motifs de la décision, s’en est inspiré pour se prononcer sur la portée de la réglementation comptable applicable aux établissements de crédit.

L’ANC n’avait été invitée à présenter des observations que sur la portée de cette réglementation comptable spécifique et ne s’est donc pas prononcée sur l’interprétation qu’il conviendrait de retenir des dispositions du Plan comptable général. La portée de la solution est donc limitée aux établissements de crédit, la question de l’application de ce raisonnement aux autres entreprises ayant été clairement réservée par le Conseil d’Etat.

Ce n’est donc que dans la seule mesure où elle concerne la situation particulière des établissements de crédit que la décision du Conseil d’Etat peut être regardée comme infirmant la doctrine administrative BOI-BIC-PVMV-30-10 n° 98, 03-05-2017, selon laquelle « tout actif ayant vocation à être cédé à terme, un projet de cession d’une participation ne constitue pas en soi un évènement susceptible de remettre en cause l’intention ayant présidé à l’acquisition initiale. Ainsi, par exemple, en cas de recapitalisation d’une filiale afin de la céder à plus ou moins brève échéance, les titres nouvellement émis et acquis reçoivent la même nature de titres de participation que l’ensemble des titres déjà détenus au sein de la filiale. ». On rappelle que cette doctrine n’ayant été qu’infirmée (partiellement) et non annulée, elle reste en tout état de cause opposable dans le cas inverse où une société entendrait défendre la qualification de titres de participation de titres nouvellement acquis s’ajoutant à une participation initialement comptabilisée en titres de participation.

Auteur

Stéphane Austry, avocat associé en contôle, contentieux, et droit pénal fiscal.

Sarah Dardour-Attali, avocat counsel en droit fiscal

Article paru dans le magazine Option Finance le 22 décembre 2019

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