Syndicats et nouvelles technologies : les changements de la loi El Khomri
22 novembre 2016
La loi Travail du 8 août 2016 fait évoluer le cadre légal des communications syndicales en ligne. Ces modifications entreront en vigueur au 1er janvier 2017.
L’utilisation des nouvelles technologies dans les relations professionnelles étant aujourd’hui omniprésente, la question de l’accès des syndicats à ces moyens de communication dans l’entreprise devient également incontournable. A l’heure d’Internet, comme l’ont exprimé certains auteurs, il est impensable que les organisations syndicales « se bornent à maintenir les actions syndicales telles qu’elles étaient pratiquées au XIXe siècle ».
La loi du 4 mai 2004 avait prudemment posé certains principes, renvoyant pour l’essentiel aux partenaires sociaux le soin de définir les conditions de communication des syndicats par le biais de l’intranet de l’entreprise et des messageries professionnelles.
Plus de 12 ans après, la loi Travail, tirant les conséquences de l’évolution de la pratique, assouplit et généralise les droits des syndicats en la matière.
Vers un élargissement du contenu et des supports de la communication syndicale électronique dans l’entreprise par voie d’accord
L’article L. 2142-6 du Code du travail, dans sa version encore en vigueur jusqu’au 31 décembre 2016, prévoyait déjà qu’un « accord d’entreprise peut autoriser la mise à disposition des publications et tracts de nature syndicale, soit sur un site syndical mis en place sur l’intranet de l’entreprise, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l’entreprise ».
A compter du 1er janvier 2017, il sera plus largement possible de négocier au sein de l’entreprise sur « les conditions et les modalités de diffusion des informations syndicales au moyen des outils numériques disponibles dans l’entreprise ».
Ainsi, là où le législateur n’envisageait auparavant que les « publications et tracts » syndicaux, il vise aujourd’hui les « informations syndicales » de manière plus générale. De même, alors que leur communication n’était envisagée que via l’intranet ou la messagerie électronique de l’entreprise, elle l’est désormais à travers l’ensemble des « outils numériques disponibles dans l’entreprise ».
La portée pratique de cet élargissement est cependant à nuancer, dans la mesure où, bien entendu, rien n’interdisait aux parties de négocier sur la communication syndicale électronique dans tous ses aspects.
Ces modifications consistent davantage, selon nous, à mettre le texte au goût du jour, afin d’appréhender plus largement des modes de communication toujours évolutifs : messagerie instantanée d’entreprise, tableau d’affichage numérique, etc…
Une généralisation de l’accès des syndicats à l’intranet, qui ne sera plus subordonné à la conclusion d’un accord collectif
Plus importantes et impactantes sont les modifications relatives aux conditions d’accès des syndicats à ces moyens de communication dans l’entreprise.
En effet, jusqu’à présent, la loi n’envisageait l’accès des syndicats aux nouvelles technologies de la communication que par la voie de l’accord d’entreprise.
A défaut d’accord d’entreprise, la jurisprudence avait également admis les communications syndicales électroniques lorsqu’elles avaient été acceptées par l’employeur, par usage ou engagement unilatéral, voire simplement tolérées.
L’assentiment de l’employeur était donc incontournable. Il ne le sera plus à compter du 1er janvier 2017. Du moins, il ne le sera plus s’agissant de l’intranet. En effet, l’article L. 2142-6 du Code du travail dans sa nouvelle version prévoit que « à défaut d’accord, les organisations syndicales (…) peuvent mettre à disposition des publications et tracts sur un site syndical accessible à partir de l’intranet de l’entreprise, lorsqu’il existe ».
Ce droit à l’intranet est offert à l’ensemble des organisations syndicales présentes dans l’entreprise et satisfaisant aux critères de respect des valeurs républicaines et d’indépendance, légalement constituées depuis au moins deux ans. Ce faisant, le législateur inscrit dans la loi le principe de non-discrimination entre syndicats représentatifs et non représentatifs à l’égard des moyens de communication.
En revanche, l’utilisation de la messagerie professionnelle restera conditionnée par l’existence d’un accord d’entreprise. Si certains auteurs considèrent que la loi remet en cause la jurisprudence antérieure et interdirait que l’accès aux courriels puisse simplement être autorisé par l’employeur, l’analyse ne nous paraît pas évidente.
Statu quo ante s’agissant des garanties de fond et des limites de la communication syndicale
De manière assez semblable à ce qui était déjà prévu pour la messagerie professionnelle, la loi nouvelle étend les règles de fond et les garanties relatives à l’utilisation par les organisations syndicales des outils numériques mis à leur disposition.
Ainsi, cette utilisation doit :
- être compatible avec les exigences de bon fonctionnement du réseau informatique de l’entreprise. Si cela allait de soi, la loi nouvelle a ajouté expressément la compatibilité avec l’exigence de sécurité du réseau ;
- ne pas avoir de conséquences préjudiciables à la bonne marche de l’entreprise. La loi nouvelle se fait ici moins précise, là où elle prévoyait auparavant que la diffusion via la messagerie professionnelle ne devait pas « entraver l’accomplissement du travail » ;
- préserver la liberté de choix des salariés d’accepter ou de refuser un message. A cet égard, comme le recommande la Cnil, l’accord pourra prévoir que l’indication du caractère syndical du message soit systématiquement mentionnée en objet.
Enfin, bien que le nouvel article ne le précise pas, le contenu des communications numériques du syndicat doit toujours avoir un objet syndical. Bien entendu, elles ne devront pas non plus excéder les limites de la liberté d’expression.
Auteurs
Raphaël Bordier, avocat associé, droit social.
Aurore Friedlander, avocat, droit social
Syndicats et nouvelles technologies : les changements de la loi El Khomri – Article paru dans Les Echos le 21 novembre 2016
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