Les derniers soubresauts de la saga « Louboutin »
Ces dernières années, les emblématiques semelles rouges du créateur de souliers de luxe Christian Louboutin ont fait l’objet d’une très commentée saga judiciaire qui a connu des épisodes dans de nombreux pays, notamment en France, en Belgique et aux Etats-Unis.
En synthèse, les juridictions saisies dans ce cadre ont affirmé la nécessité de désigner au moment du dépôt la nuance précise de couleur dont la protection est recherchée (Cass. com., 30 mai 2012, n°11-20.724, M. Christian Louboutin c/ Zara France, retenant le défaut de représentation graphique de la marque française n°3067674 ne visant aucune nuance précise de rouge ; TGI Paris, 16 octobre 2014, n°13/08301, M. Christian Louboutin c/ Mme Laken Ngami, retenant à l’inverse la validité de la marque française n°3869370 visant un pantone déterminé).
L’ordonnance du 14 avril 2016, rendue par la Cour de justice de l’Union européenne s’inscrit dans la ligne de cette jurisprudence mais vient cette fois préciser les limites de la protection accordée à la couleur rouge figurant au sein d’une marque antérieure qui était opposée à M. Christian Louboutin (CJUE, 14 avril 2016, C-515/15 P, Roland SE c/ EUIPO et Christian Louboutin).
En l’espèce, la société allemande Roland SE reprochait à M. Christian Louboutin le dépôt de la marque de l’Union européenne n°8845539. Estimant que ce dépôt portait atteinte à ses droits antérieurs sur la marque internationale n°920225 désignant notamment des chaussures, elle a formé opposition à son enregistrement.
La validité de la marque n’était cette fois pas en jeu puisque, tirant les leçons de la jurisprudence antérieure, M. Christian Louboutin avait pris le soin de faire enregistrer sa marque en désignant un pantone de couleur déterminé. En revanche, il convenait d’apprécier l’existence d’un risque de confusion entre les signes.
La division d’opposition de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) ayant rejeté l’opposition dans son intégralité, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, également rejeté au motif que les signes en conflit ne présentaient aucune similitude visuelle, phonétique ou conceptuelle et qu’il n’existait, de ce fait, aucun risque de confusion au sens de l’article 8, § 1, b), du règlement 207/2009 du 26 février 2009 sur la marque communautaire.
Roland SE a alors formé un recours devant le Tribunal de l’Union européenne tendant à l’annulation de la décision litigieuse. Roland SE faisait essentiellement valoir qu’il existait une similitude visuelle entre la marque antérieure dont elle était titulaire et la marque dont l’enregistrement était demandé par M. Louboutin, dès lors que :
- la couleur rouge jouait un rôle prédominant, en tout cas non négligeable, dans chacune des marques considérées ;
- et que, en ce qui concernait la marque antérieure, ladite couleur était le seul élément visible lorsque cette marque était apposée sur une semelle de chaussure.
Le Tribunal a rejeté ces moyens, ainsi que le recours dans son ensemble.
Sur le premier point, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie à son tour, donne raison au Tribunal d’avoir considéré que « le rectangle rouge était banal sur un plan graphique et que ni sa dimension ni son positionnement, à droite du signe, en arrière-fond du mot « shoes », qui est écrit en lettres majuscules, ne permettait de considérer que ce rectangle était susceptible de dominer l’impression d’ensemble produite par le signe en cause ». Par conséquent, la seule commune présence de la couleur rouge au sein des signes en cause ne suffisait pas à créer un risque de confusion.
Sur le second point, elle rappelle qu’aux fins de la comparaison entre les signes, la marque antérieure doit être prise en compte dans la forme sous laquelle elle a été enregistrée et non dans la forme sous laquelle elle est susceptible d’être utilisée.
Auteur
Sabine Rigaud, avocat, droit de la propriété intellectuelle