Solidarité de l’associé personne physique d’une société consentant une «garantie de passif»: faut-il apposer les mentions manuscrites?
Dans une convention de garantie, la comparution du dirigeant-associé d’une société cédant un bloc de contrôle afin de sécuriser les obligations de garanties de la société cédante peut conduire à s’interroger sur l’obligation de respecter un formalisme particulier au moment de la signature de ladite convention. Qu’en est-il en pratique ?
Il est fréquent que, pour des raisons fiscales et/ou de rationalisation patrimoniale, l’associé (généralement également dirigeant) d’une société opérationnelle détienne les actions de ladite société au travers d’une société holding. En cas de cession de la société opérationnelle, l’acquéreur n’aura donc en principe, pour seul co-contractant, que la société holding qui consentira les déclarations et garanties usuelles en la matière. Pour l’acquéreur, le risque est que la société holding « garante »ne soit plus qu’une coquille vide lorsqu’il actionnera ultérieurement la convention de garantie. Face à cet écueil, il demandera à se voir consentir une « garantie de la garantie » (séquestre, garantie bancaire à première demande, caution bancaire, etc.). Il pourra aussi se tourner vers l’associé personne physique, associé de la société holding en lui demandant par exemple (i) de comparaître à la convention de garantie en tant que codébiteur solidaire de la société garante ou bien encore (ii) de s’engager à faire en sorte que la société garante conserve un niveau d’actifs suffisant pour faire face à ses obligations d’indemnisation potentielles pendant la durée de la garantie. Dans un cas comme dans l’autre, une question se pose alors : est-il nécessaire que cette personne physique appose les mentions manuscrites imposées par le Code de la consommation en matière de cautionnement (1) et/ou par le du Code civil en matière d’engagement unilatéral de paiement d’une somme d’argent (2) ?
1. La comparution de l’associé personne physique au contrat de garantie en tant que codébiteur solidaire
1.1 La comparution de l’associé personne physique au contrat de garantie en tant que codébiteur solidaire de la société garante interpelle d’abord sur le point de savoir s’il faut respecter les exigences du Code de consommation. Celui-ci prescrit que « toute personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel » fasse précéder sa signature d’une mention manuscrite précise (C. consom., art. L. 331-1 et s.).
L’enjeu du débat est crucial puisque ces mentions sont exigées à peine de nullité du cautionnement (C. consom., art. L. 343-1).
Il parait assez clair que l’engagement ainsi contracté par cette personne physique ne s’analyse pas comme un cautionnement, c’est-à-dire l’engagement pris envers le créancier de satisfaire à une obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même (C. civ., art. 2288). En effet, le dirigeant ne s’engage pas à faire ce que le débiteur principal (la société garante) n’aurait pas fait ou mal fait. Il s’engage à indemniser le créancier (l’acquéreur) des conséquences préjudiciables pour ce créancier de la violation des déclarations et garanties consenties par la société garante. En somme, il ne s’engage pas à payer la dette d’autrui, mais à payer avec autrui, même s’il n’est pas directement intéressé à la dette.
1.2 Par ailleurs, l’obligation ainsi souscrite ne saurait s’analyser comme un engagement unilatéral de payer au sens de l’article 1376 du Code civil. Ce texte impose, à titre de règle de preuve, « la mention, écrite par [celui qui s’engage], de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres ». En effet, la Cour de cassation considère que n’est pas soumis à l’exigence d’une mention manuscrite prévue par cet article 1376 l’engagement de payer qui s’intègre à un contrat synallagmatique avec lequel il forme un tout (Cass. com., 20 sept. 2012, n°11-13.144, F-D, en ce sens que la convention de garantie, formant un tout avec l’acte synallagmatique portant cession des titres sociaux auquel elle s’intègre, n’est pas un engagement unilatéral et, partant, n’est pas soumise à l’article 1326 du code civil [devenu art. 1376], fût-elle consentie solidairement entre les cédants).
Aucune exigence manuscrite spécifique ne sera donc requise pour assurer l’efficacité ou même seulement la preuve de l’engagement de cette personne physique : ni celle du Code de la consommation, ni même celle que prescrit l’article 1376 du Code civil en présence d’un acte unilatéral.
En réalité, cette personne physique se trouve dans la situation d’un « codébiteur non intéressé à la dette », envisagée aujourd’hui à l’article 1318 du Code civil. Il porte sa signature au contrat de garantie à la fois en tant que mandataire social de la société cédante et à titre personnel. Cette signature suffit à l’engager valablement comme codébiteur solidaire des engagements de la société garante.
Toutefois, la personne physique, codébitrice solidaire étant une partie autonome à l’acte, l’établissement d’un original du contrat à son intention paraît recommandée (C. civ., art. 1375 : « L’acte sous signature privée qui constate un contrat synallagmatique ne fait preuve que s’il a été fait en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct, à moins que les parties ne soient convenues de remettre à un tiers l’unique exemplaire dressé »).
2. L’engagement de faire en sorte que la société garante conserve un niveau d’actifs suffisant
Qu’en est-il maintenant en présence d’une garantie de maintien du niveau des actifs de la société garante : faut-il sacrifier à des exigences manuscrites particulières ?
Ici encore, la qualification de cautionnement doit être écartée car il ne s’agit pas pour la personne physique concernée de faire ce que la société n’aurait pas fait, mais de réparer les conséquences d’une situation (en l’occurrence le non maintien du niveau d’actifs stipulé au contrat).
S’agit-il pour autant d’un engagement unilatéral de payer au sens de l’article 1376 du Code civil ?
Non, car l’engagement contracté par l’associé personne physique semble devoir s’analyser comme un porte-fort d’exécution au sens de l’article 1204 du Code civil. En l’espèce, l’associé promet que la société gardera un niveau d’actifs pour une valeur ou une contrevaleur d’un montant minimal donné. Il promet donc le fait du tiers, celui de la société garante. Or, ce qui distingue le porte-fort d’exécution du cautionnement réside en ceci que l’obligation de la caution est strictement accessoire à celle du débiteur principal (la caution doit payer ce que doit le débiteur principal et rien de plus), tandis que l’obligation du porte-fort est autonome : ce dernier pourra avoir à payer plus ou moins que ce que devait faire la personne garantie par cet engagement de porte fort (la société cédante/garante en l’occurrence) en fonction du préjudice subi par le bénéficiaire de l’engagement.
En présence d’une obligation autonome, l’engagement personnel de se porter fort est indépendant de l’engagement de la personne dont les obligations sont garanties et de sa validité (Cass. 1re civ., 25 janv. 2005, n°01-15.926, Bull. civ. I, n°43). La jurisprudence a précisé que l’obligation de se porter fort est une obligation de faire – en conséquence de quoi « l’article 1326 [ancien ; aujourd’hui art. 1376] du Code civil ne lui est pas applicable » (Cass. com., 18 juin 2013, n°12-18.890, Bull. civ. IV, n°105) – et une obligation de résultat (Cass. com. 1er avr. 2014, n°13-10.629, Bull. civ. IV, n°67).
En prenant l’engagement de faire en sorte que la société garante conserve un niveau d’actifs suffisant, l’associé personne physique de la société garante a clairement accepté d’assumer une obligation de résultat : il engagera sa responsabilité si le niveau d’actifs convenu n’est pas maintenu.
Aucune mention manuscrite ne paraît nécessaire à l’efficacité d’une telle clause.
Auteurs
Alexandre Morel, avocat counsel, Corporate/Fusions & Acquisitions
Louis-Nicolas Ricard, Professional Support Lawyer