Sénégal – Projets d’infrastructures : Un cadre juridique renouvelé.
L’importance des infrastructures pour le développement, en particulier en Afrique, et dans le même temps le déficit de moyens financiers, techniques et humains permettant leur réalisation sont constamment rappelés. Les besoins en infrastructures du continent, estimés par la Banque africaine de développement à 93 milliards de dollars par an jusqu’en 2020, ne peuvent être financés par des ressources publiques, y compris celles des organisations multilatérales et bilatérales d’aide, qu’à concurrence d’à peine la moitié de ces montants. La participation d’opérateurs et d’investisseurs privés au développement des infrastructures dans le cadre de partenariat public privé (PPP) constitue en conséquence un impératif dont les Etats sont conscients mais qui se révèle difficile à mettre en oeuvre.
Le Plan Sénégal Emergent et le Plan d’Actions Prioritaire (PAP), sa déclinaison opérationnelle, prévoient un programme ambitieux de réalisation d’infrastructures, en particulier dans les domaines des transports, de l’énergie, de l’eau, de la santé et de l’éducation, tant sur financement public interne et externe que dans le cadre de PPP.
L’existence d’un cadre juridique clair fait partie des conditions requises pour s’assurer de l’intérêt des entreprises et partenaires de qualité à participer aux projets tant dans le cadre de marchés publics que de PPP. Or le cadre juridique de la commande publique, marchés publics et PPP, fait appel,dans les pays d’Afrique francophone, à des notions de droit public issues de la jurisprudence des juridictions administratives françaises qui n’ont généralement pas fait l’objet de textes ou de jurisprudence dans ces pays.
A cet égard le Sénégal, en promulguant en 1965 le Code des Obligations de l’Administration, modifié notamment en 2006 et en 2014 en vue de son adaptation aux nouveaux textes sur les marchés publics et les PPP, s’est doté d’un cadre juridique général unique en Afrique francophone régissant les relations contractuelles entre les entités publiques et ses co-contractants et a adopté en 2014 de nouveaux textes relatifs aux marchés publics et au contrat de partenariat.
Pour ce qui concerne la passation des marchés publics, financés par le budget de l’Etat ou sur fonds d’aide extérieur, il est nécessaire de trouver un équilibre entre les impératifs de rapidité et d’efficacité, qui suppose un allègement des procédures, d’une part, et la nécessité d’assurer l’intégrité du processus d’attribution des marchés, qui requiert des procédure transparente et des contrôles stricts, d’autre part.
Le Code des marchés publics (CMP) adopté en septembre 2014, est conforme, comme les deux précédents codes de 2007 et 2011, aux Directives de l’UEMOA relatives aux marchés publics et délégations de service public adoptées en 2005.
Le contrôle et la régulation des marchés publics et des délégations de services publics sont toujours assurés par les deux principaux organes créés à cette fin en 2007 : la Direction Centrale des Marchés Publics (DCMP) principalement chargée du contrôle a priori et d’émettre des avis sur les dérogations aux règles de passation demandées par les autorités contractantes l’Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP), qui assure un rôle de conseil et de suivi de l’application de la Réglementation, y compris le règlement des litiges avant attribution, de règlement amiable des litiges concernant leur application et décide des sanctions administratives. Le site de l’ARMP contient toutes informations utiles sur la Réglementation et les procédures applicables (http://www.armp.sn/).
II ne s’agit pas ici d’exposer le détail de ces procédures mais d’en souligner les principales caractéristiques.
L’allègement des procédures de passation qui constitue l’un des objectifs du CMP de 2014 provient notamment du relèvement de leur seuils d’application ainsi que des seuils de contrôle a priori par la DCMP.
Cependant le nombre de contrôles n’a pas diminué et s’exerce toujours aux différents stades de la procédure: dossiers d’appel à la concurrence, rapports d’analyse comparative des offres, procès-verbal d’attribution provisoire, examen juridique et technique des projets de marchés si la DCMP a souhaité faire un tel contrôle lors de l’examen du dossier d’appel à la concurrence.
Du fait du nombre de ces contrôles a priori les durées de passation des marchés demeurent longues malgré les délais fixées à la DCMP pour les effectuer.
De plus, en cas de financement par une institution multilatérale, telle que la Banque Mondiale ou la Banque Africaine de développement, ou sur fonds d’aide bilatérale accordée par un pays, les avis de non objection requis par ces institutions s’ajoutent aux contrôles a priori de l’administration sénégalaise ce qui alourdit encore les procédures de passation.
La principale innovation du CMP de 2014 réside dans la possibilité de passer par entente directe un marché public avec une entreprise qui fait une offre spontanée pour un projet d’au moins cinquante milliards de francs CFA, si celle-ci apporte le financement intégral de ce montant en conformité avec les règles d’endettement du Sénégal, s’engage, lorsqu’elle est étrangère, à sous-traiter aux nationaux au moins 10% du montant du marché et définit, le cas échéant, des modalités de transfert de compétences et de connaissances.
Cette nouvelle disposition permet le financement privé de marchés publics, c’est-à-dire la fourniture à l’autorité contractante par le co-contractant du financement des biens, travaux ou services acquis et utilisés ou exploités par l’autorité contractante.
II ne s’agit cependant pas, dans ce cas, de véritable partenariat public privé. Au Sénégal comme dans les pays de droit civil et administratif les accords de partenariat public privé peuvent être classés en deux principales catégories: les délégations de services public et les contrat portant sur le financement, la réalisation, l’entretien, la maintenance, et la gestion d’ouvrages d’équipements ou de biens nécessaires à l’autorité contractante pour rendre le service public dont elle a la charge, dénommé dans la loi de 2014 «contrats de partenariat».
Dans le cas des délégations de service public, le plus souvent dénommées concessions ou affermages, la gestion d’un service public est confiée à un délégataire public ou privé. Le délégataire exploite le service public au bénéfice direct des usagers et assume le risque d’exploitation, sa rémunération étant substantiellement lié aux résultats de cette exploitation.
Le financement, la construction et l’exploitation du tramway de Dakar constitue un exemple de projet à réaliser sous forme de concession de service public.
Le cadre juridique des délégations de service public résulte du Code des Obligations de l’administration qui en définit les caractéristiques ainsi que du CMP qui définit les principaux types de délégations de service public et en fixe les règles d’attribution.
Selon ces règles l’avis de la DCMP sur la procédure de passation doit toujours être requis sur la base d’un rapport d’opportunité établi par l’autorité contractante. Les délégations de services publics sont attribuées par appel d’offres ouvert avec pré-qualification ou appel d’offres en deux étapes, en fonction de la complexité du projet.
Elles peuvent donner lieu à attribution en une seule étape si les spécifications techniques et les critères de performance ou indicateurs de résultats précis permettant d’effectuer la sélection peuvent être déterminés La réglementation propre à certains secteur contient des règles spécifiques, telles que la durée des concessions accordées dans le secteur de l’électricité pour une durée de vingt-cinq (25) ans, renouvelable.
La loi sur les contrats de partenariat, adoptée le 20 février 2014, en vue de mieux répondre aux attentes des opérateurs et investisseurs privés, remplace la loi du 1er mars 2004, relative aux contrats de construction – exploitation – transfert d’infrastructures, dite «Loi CET», qui n’a pas conduit au développement escompté de ce type de projets, malgré les améliorations apportées en 2009.
La Nouvelle Loi étend les missions qui peuvent être confiée à l’opérateur privé peut désormais comprendre, outre la transformation d’ouvrage ou biens existants ainsi que la gestion et non l’exploitation.
Elle s’applique «à tous les secteurs de la vie économique et sociale, à l’exception des secteurs soumis à une réglementation particulière, notamment les secteurs de l’énergie, des mines et des télécommunications».
La rémunération de l’opérateur doit désormais provenir essentiellement de versements de l’autorité contractante et être liée à des objectifs de performance.
Les avis préalables du Conseil des Infrastructures et du Ministre chargé des Finances, doivent être précédés d’une évaluation détaillée menée avec le concours d’un Comité National d’Appui aux Partenariats public-privé nouvellement créé. Cette évaluation doit notamment démontrer que l’autorité contractante ne serait pas en mesure de réaliser seule le projet.
La procédure d’appel d’offres en deux étapes ou avec pré qualification demeure le mode principal de passation du contrat. Toutefois, la possibilité de négocier directement avec l’auteur d’une offre spontanée a été ouverte sous condition, en particulier, d’un financement privé à hauteur de 70% du coût du projet.
En l’absence de dispositions fixant les principes applicables dans le cadre des relations contractuelles par exemple en matière d’équilibre économique ou de régime des biens utilisés dans le cadre de la délégation de service public ou du contrat de partenariat, les conventions et cahiers des charges doivent régir ces relations de façon détaillée et au cas par cas ces relations.
Cependant le Code des obligations de l’administration fixe les droits et obligations des parties notamment en cas de sujétions imprévues, d’imprévision entraînant un déficit pour le co-contractant, ou encore de bouleversement de l’économie du contrat.
Enfin les dispositions du nouvel Acte Uniforme de l’OHADA relatif aux sûretés permettent de mettre en place des garanties sur les flux financier facilitant l’utilisation des techniques de financement de projets.
L’ensemble de ces dispositions permet donc d’envisager avec optimisme la réalisation des objectifs du Plan Sénégal Emergent en matière de développement d’infrastructures.
Auteur
Jean-Jacques Lecat, avocat associé spécialisé dans les transactions internationales concernant les pays émergents. Président de la commission juridique et fiscale du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN)