Secteur du transport de passagers : précisions sur le régime de TVA des biens fournis à bord
Deux décisions de juridictions administratives avaient jeté le trouble concernant le régime de TVA applicable aux magazines et journaux mis gratuitement à disposition des passagers de compagnies aériennes : l’administration fiscale apporte les précisions attendues. Guillaume Viardot, avocat en droit fiscal, analyse l’état du droit applicable à l’avitaillement dans le domaine du transport aérien.
A l’image de la rencontre entre les équipes d’handball du Paris Saint-Germain et de Cergy-Pontoise qui s’est soldée par un match nul en septembre 2018, il n’avait pas non plus été possible de départager les décisions rendues, le même jour et sur le même thème en mars de la même année, par les tribunaux administratifs du ressort de ces clubs (TA Cergy-Pontoise 7-03-2018 n°1600873, SAS TTM Editions : RJF 7/18 n°739 ; TA Paris 7-03-2018 n°1602650, SNC L : RJF 11/18 n°1088).
Cette coïncidence était d’autant plus remarquable que la problématique soulevée dans ces affaires n’avait, à notre connaissance, jamais été jugée.
Le litige portait sur la notion d’avitaillement. La question au cas d’espèce était de savoir si les livraisons de magazines effectuées auprès des compagnies aériennes qui les mettent à disposition de leurs passagers doivent ou non être considérées comme des livraisons de biens destinés à l’avitaillement des aéronefs et dès lors bénéficier ou non de l’exonération de TVA prévue par l’article 262, II-6° du Code général des impôts.
Rappel général du régime de l’avitaillement
Rappelons en premier lieu que les exportations de biens se situent dans le champ d’application de la TVA mais sont exonérées de cette taxe. Ainsi, les opérateurs économiques sont dispensés du paiement de la taxe sur leur chiffre d’affaires à l’exportation tout en bénéficiant du droit de déduire la TVA sur leurs achats.
Une telle exonération concerne plus particulièrement les livraisons de biens destinés à l’avitaillement de certains navires et aéronefs en application de l’article 262, II-6° du CGI. S’agissant des aéronefs, ladite exonération ne peut s’appliquer qu’aux compagnies aériennes réalisant au moins 80% de leur trafic à l’international ou en outre-mer.
Cette disposition résulte de la transposition de l’article 15 de la Directive 77/388/CEE du 17 mai 1977, repris à l’article 148 de la Directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006.
Le régime de l’avitaillement, qui se veut compléter celui des exportations, se caractérise par l’absence de définition légale ou règlementaire de l’avitaillement. En effet, ni le Code général des impôts, ni le Code de l’aviation civile, ni les dispositions relatives au secteur maritime ne définissent cette notion. C’est donc l’administration fiscale qui, par ses commentaires, a donné sa définition de la notion. Mais, comme nous le verrons, elle ne semble pas en adéquation avec la véritable finalité du régime.
Selon l’administration fiscale, il faut entendre la notion d’ »avitaillement » de manière stricte (BOI-TVA-CHAMP-30-30-30-20 n°190 et BOI-TVA-CHAMP-30-30-30-10 n°410 et suivants).
Sont ainsi considérés comme produits d’avitaillement, à l’exception de tous les autres produits, les fournitures de bord, les produits utilisables à bord pour les besoins particuliers du personnel naviguant et les provisions de bord, lesquels sont « destinés uniquement à la consommation à bord par les membres de l’équipage et les passagers ». Plus précisément, les commentaires nous enseignent que les biens destinés à la consommation immédiate à bord sont ceux qui « disparaissent par le premier usage ou qui ne peuvent être emportés ».
L’administration ajoute que « l’approvisionnement en biens d’avitaillement est en principe limité aux quantités nécessaires aux besoins normaux de la consommation à bord, eu égard à la durée du trajet, au nombre de passagers et de membres d’équipage présents à bord du moyen de transport (…) ».
Le contentieux des magazines destinés aux compagnies aériennes
Un contentieux relatif aux magazines remis à bord est né d’une divergence de vue en ce qui concerne la notion d’avitaillement. Par ses commentaires, l’administration paraissait limiter les biens relevant de cette notion, outre le carburant et le nécessaire pour l’entretien de l’avion, aux seules boissons et nourriture ayant vocation à être servies aux passagers et consommées immédiatement à bord. Les sociétés d’édition fournissant les magazines aux compagnies aériennes estimaient en revanche que relèvent de l’avitaillement tous les produits mis à la disposition des passagers et consommés à bord et parmi lesquels les journaux et revues. C’est ce conflit que les tribunaux administratifs de Cergy-Pontoise et de Paris ont été invités à trancher.
Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a estimé, en suivant les conclusions de son rapporteur public qui a examiné les différentes définitions de l’avitaillement, que cette notion doit s’interpréter largement. Les juges du tribunal administratif de Paris ont jugé le contraire.
Le rapporteur public du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a relevé à raison que la définition française de l’avitaillement ne brille pas par son unicité comme l’illustre les différentes définitions figurant dans de nombreux dictionnaires. Elle ne brille pas non plus par sa clarté en l’absence de définition légale.
A cette diversité française, s’ajoute également la différence de terminologie au sein de la Directive 2006/112/CE selon les versions linguistiques. Alors que la version française utilise le terme l’« avitaillement », les versions anglaise et allemande emploient le terme d’« approvisionnement« et la version italienne celui de « fournitures« . Il semble donc difficile de recourir à une interprétation stricte de la notion, étant précisé, ainsi que le relève la Cour de justice de l’Union européenne, que la règle selon laquelle les exonérations sont d’interprétation stricte « ne signifie pas que les termes utilisés pour définir ces exonérations doivent être interprétées d’une manière qui priverait celles-ci de leurs effets » (CJCE, 19-07-2012, aff. C-33/11 A Oy).
Le rapporteur public du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a également souligné qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice que les opérations d’avitaillement sont exonérées de TVA en raison du fait qu’elles sont assimilées à des opérations d’exportation (CJCE, 26-06-1990, aff. C-185/89 Velker International Oil Company Ltd NV). Il s’ensuit que c’est la destination des produits et non leur nature qui conditionne le bénéfice de cette exonération. Autrement dit, qu’il s’agisse d’un magazine ou d’une collation, c’est la circonstance que le produit soit fourni à l’occasion d’un transport international qui conduit à son exonération, la nature du bien étant donc sans incidence.
Le tribunal administratif de Paris a pris une position radicalement différente en s’attachant à la nature des produits fournis à bord plutôt qu’à leur destination. Le juge a en effet estimé que seuls les produits nécessaires à l’exploitation des avions ou à la subsistance des passagers ou de l’équipage doivent être regardés comme constituant un avitaillement.
Il nous semble qu’une telle analyse est contraire à l’interprétation qu’il convient de faire de la Directive. A cet égard, le rapporteur public du tribunal administratif de Cergy-Pontoise indiquait, à juste titre, qu’il est de jurisprudence constante que l’interprétation d’une norme communautaire doit être faite à la lumière du décalage pouvant exister entre les différentes versions linguistiques (CJCE, 16-09-2004, aff. C-382/02 Cimber Air : RJF 11/04 n°1291), d’autant que celles-ci conduisent, selon nous, à des divergences de fond. Les termes employés dans les versions anglaise, allemande et italienne confèrent à l’exonération une portée plus large que celle qui résulte de la version française telle qu’interprétée par le tribunal administratif de Paris et par la doctrine administrative publiée dans la base Bofip (la définition des produits d’avitaillement figure au BOI-TVA CHAMP-30-30-30-10 n°410 et suivants).
Notre avis sur l’application du régime de l’avitaillement et la clarification apportée par l’administration fiscale
Une interprétation trop restrictive du régime d’exonération crée à notre avis un traitement inégalitaire entre les opérateurs économiques pouvant conduire à d’importantes distorsions de concurrence entre les Etats membres.
Nous avons relevé la pertinence des arguments des juges du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et pensons qu’il serait juste de considérer que les produits d’avitaillement sont tous les biens destinés à satisfaire un besoin de l’équipage ou des passagers au cours du voyage.
Tirant dès lors les conséquences d’une telle analyse, les magazines ou journaux destinés à être lus à bord par les passagers répondent à cette finalité, quand bien-même ces biens ne disparaissent pas du fait de leur premier usage.
D’ailleurs, les encas salés ou sucrés distribués aux passagers dans les avions sont considérés comme des biens d’avitaillement bénéficiant de l’exonération de TVA. Pourtant, les règles d’hygiène recommandent qu’ils soient distribués dans des sachets hermétiques et individuels, permettant en pratique une consommation postérieure au transport aérien.
Aucun de ces deux jugements n’avait fait l’objet d’un appel ce qui permettait de penser que l’administration s’était ralliée à l’analyse du TA de Cergy-Pontoise.
Toutefois, la sécurité juridique à laquelle aspirent les contribuables justifiait qu’elle aménage sa doctrine publiée pour formaliser explicitement son ralliement à l’inclusion des magazines et journaux remis à bord dans le champ des biens d’avitaillement susceptibles d’être exonérés.
Par la publication d’un rescrit, la Direction de la Législation Fiscale complète ainsi sa doctrine et apporte les clarifications attendues (BOI-RES-000038 du 27-3-2019 sur renvoi du BOI-TVA-CHAMP-30-30-30-20 du 27-3-2019).
Sans toutefois modifier la définition des produits d’avitaillement, lesquels doivent en principe disparaître du fait de leur premier usage, l’administration précise que « les magazines et les journaux destinés à être lus à bord par les passagers d’un aéronef répondent à (la) finalité (des produits d’avitaillement) quand bien même ces biens ne disparaissent pas au premier usage ou sont susceptibles d’être emportés par les passagers à la suite de leur mise à disposition.
Cela étant, le bénéfice de l’exonération ne pourra être accordé que si les magazines et les journaux peuvent être rattachés à un vol particulier, c’est-à-dire lorsqu’ils sont mis à disposition des passagers à bord de l’aéronef mais également dans les « salons business » réservés à la clientèle du vol, sur les passerelles d’embarquement, ou dans les salles d’embarquement des terminaux ».
Bien que le rescrit ne vise que le transport aérien, nous pensons qu’une telle solution doit également pourvoir s’appliquer dans les mêmes conditions au transport maritime visé à l’article 262, II-6° du CGI.
En revanche, ladite exonération des livraisons de biens destinés à l’avitaillement ne peut en aucun cas, en l’état actuel du droit communautaire, être étendue aux autres modes de transport internationaux, notamment ferroviaire ou routier. L’article 148 de la Directive 2006/112/CE limite, il est vrai, le bénéfice de cette exonération aux seuls domaines des transports maritime et aérien.
Une telle divergence de régime selon le mode de transport ne nous paraît pas justifiée et mériterait une refonte de la Directive sur cette question que nous appelons de nos vœux. En effet, dès lors que les produits d’avitaillement sont fournis à l’occasion d’un transport international, ils devraient à notre avis pourvoir bénéficier de l’exonération de TVA, quel que soit le moyen de transport utilisé.
Auteur
Guillaume Viardot, avocat, en droit fiscal
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