Rupture brutale et absence de relation commerciale établie : la tête de réseau peut être tenue responsable de la brutalité de ses membres
Dans cette affaire, la responsabilité d’une société tête d’un réseau de franchise a été retenue du fait de la brutalité de l’un de ses membres, en contradiction apparente avec le principe d’indépendance des personnes morales.
Il s’agissait en l’espèce du réseau de franchise Planet Sushi. La tête de réseau, la société Groupe Planet Sushi (GPS), exerce une activité de restauration et de livraison de cuisine japonaise. Pour ce faire, elle passe soit par des filiales, soit par des franchisés.
A compter de 2008, la société GPS est entrée en contact avec la société Blue Oceans Venture (BOV) pour que celle-ci intervienne auprès des membres du réseau en qualité de prestataire de services en charge du suivi des fournisseurs, des livraisons et des paiements. A compter de 2011, les restaurants exploitant sous l’enseigne du réseau ont cessé de passer des commandes à ce prestataire.
GPS et ses filiales ont alors assigné le prestataire en résiliation des contrats qui les liaient tandis que ce dernier décidait d’assigner la société GPS en rupture brutale des relations commerciales établies avec les filiales et franchisés du réseau.
La cour d’appel de Paris ayant accueilli, par un arrêt en date du 28 octobre 2014, les prétentions du prestataire en considérant que la brutalité de la rupture était bien imputable au franchiseur GPS, ce dernier s’était pourvu en cassation. Se fondant sur le principe, posé par un arrêt du 7 octobre 2014 (Cass. com., 7 octobre 2014, n°13-20.390), selon lequel une relation commerciale établie s’entend d’échanges commerciaux conclus directement entre les parties, le franchiseur estimait que sa responsabilité ne pouvait pas être engagée puisque seuls ses filiales et franchisés entretenaient des relations commerciales avec le prestataire.
La Cour de cassation rejette l’argument en considérant que la Cour d’appel a pu retenir la responsabilité de la société tête de réseau sur le fondement de l’article L.442-6 I 5° du Code de commerce dans la mesure où elle avait déduit des circonstances d’espèce que « les filiales et les franchisés n’avaient disposé d’aucune autonomie dans la décision de nouer des relations commerciales avec la société BOV puis dans celle de les rompre » (Cass. com., 5 juillet 2016, n°14-27.030).
Si cette solution peut interpeler à première lecture, elle se comprend toutefois à la lumière de la jurisprudence antérieure.
En effet, en principe, compte tenu de l’indépendance des personnes morales et tout particulièrement de celle des franchisés qui sont des commerçants indépendants, l’existence de la relation commerciale, l’imputabilité de la rupture, l’appréciation du préavis raisonnable ainsi que l’évaluation du préjudice doivent faire l’objet d’une analyse distincte pour chaque personne morale concernée sauf circonstances particulières.
La jurisprudence avait déjà accepté quelques tempéraments au principe d’indépendance des personnes morales dans des hypothèses telles que l’existence d’une action de concert (voir en ce sens Cass. com, 6 octobre 2015, n°14-19.499), l’immixtion fautive ou encore en présence d’une apparence trompeuse, permettant de brouiller la notion de partie à la relation.
Dans notre affaire, c’est également en considération des circonstances de l’espèce souverainement appréciées par la Cour d’appel que la Cour de cassation a rejeté le pourvoi du franchiseur.
La Cour d’appel avait ainsi relevé que la société tête de réseau était intervenue au niveau de la rupture de la relation commerciale puisqu’elle avait « donné des instructions […] à tout le réseau aux fins que cessent les commandes », « informé les fournisseurs que le réseau de franchise ne travaillait plus avec [le prestataire] » et « à partir de cette date, les restaurants sous franchise n’ont plus passé aucune commande auprès du prestataire ». Par ailleurs, la Cour d’appel avait constaté que « les franchisés avaient l’obligation de s’approvisionner à hauteur de 80%, auprès des fournisseurs référencés par la société GPS », élément dont on comprend qu’il permet à la Cour de cassation de considérer que « les franchisés n’avaient disposé d’aucune autonomie dans la décision de nouer des relations commerciales avec la société BOV » et de rompre toute relation avec celle-ci.
La Cour d’appel ayant ainsi qualifié une relation commerciale indirecte entre la tête de réseau et le prestataire et reconnu une rupture dépourvue de préavis, les conditions d’application de l’article 442-6 I 5° étaient bien réunies.
Auteurs
Elisabeth Flaicher-Maneval, avocat Counsel au sein du département de doctrine juridique, CMS Bureau Francis Lefebvre Paris
Miléna Oliva, avocat en droit commercial et droit de la distribution.