Retenues à la source sur les dividendes payés à des fonds d’Etats tiers : d’intéressantes précisions
Dans un arrêt du 10 avril 2014, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a à la fois confirmé sa jurisprudence Santander Asset Management SGIIC du 10 mai 2012 (C-338/11) et apporté des précisions utiles quant aux demandes de remboursement des retenues à la source formulées par les fonds d’investissement établis hors de l’Union européenne (UE).
1. L’affaire DFA Investment Trust Company
L’affaire concernait le droit polonais applicable au titre des années 2005 et 2006, en vertu duquel les fonds d’investissements établis en Pologne et exerçant leur activité conformément aux dispositions de la loi relative aux fonds d’investissement bénéficiaient d’une exonération générale d’impôt sur les sociétés. Au contraire, les fonds étrangers supportaient une retenue à la source de 19% à raison des dividendes de source polonaise qui leur étaient versés, sous réserve de l’application d’un taux plus faible prévu par une convention fiscale.
En application de ces règles, le fonds d’investissement américain DFA Investment Trust Company (qui était l’un des fonds de l’affaire Santander) avait supporté une retenue à la source au titre des années en cause et en avait demandé la restitution. L’affaire a été portée devant la CJUE par une demande préjudicielle du Tribunal Administratif de Bydgoszczy suite à un rejet de la réclamation par l’administration fiscale polonaise.
La Cour rappelle que la différence de traitement fiscal entre les fonds d’investissement résidents et les fonds d’investissement non-résidents est susceptible de dissuader, d’une part, les fonds d’investissement établis dans un pays tiers de prendre des participations dans des sociétés établies en Pologne, et, d’autre part, les investisseurs résidant dans cet État membre d’acquérir des parts dans des fonds d’investissement non-résidents (voir également en ce sens, arrêt Santander précité, point 17). Or cette différence de traitement n’a pas été considérée comme justifiée au regard des différents arguments présentés par l’Etat polonais.
La Cour juge donc que la législation polonaise applicable au moment des faits était contraire à la liberté de circulation des capitaux. Le fonds américain DFA était ainsi en droit de demander la restitution des retenues à la source. La solution n’est pas surprenante, tant la législation polonaise ressemblait à la législation française condamnée dans la décision Santander.
La Cour apporte également certaines précisions pouvant intéresser les fonds établis hors de l’UE qui souhaiteraient présenter des demandes de restitution de retenues à la source, sur le fondement de la liberté de circulation des capitaux.
2. L’exigence d’un accord d’échange de renseignements
La Cour précise qu’il est nécessaire que le pays dans lequel le fonds est établi soit en mesure d’échanger des renseignements de nature fiscale avec la France afin qu’un fonds qui y est établi puisse obtenir restitution de la retenue à la source. En effet, à défaut, la restriction pourrait être motivée par la nécessité de préserver l’efficacité des contrôles fiscaux, qui constitue une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction à l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité (voir notamment arrêt du 6 octobre 2011, Commission c/ Portugal, C-493/09).
Cette solution se justifie par le fait qu’un fonds établi hors de l’UE n’entre pas dans le champ de l’échange de renseignements prévu par la directive OPCVM. Ainsi, à défaut d’accord international prévoyant l’échange de renseignements, l’administration fiscale locale ne serait pas en mesure de vérifier, à l’égard d’un fonds d’investissement non-résident, le respect des conditions nécessaires pour bénéficier du traitement national. En l’espèce, la Cour a cependant relevé qu’il existait un cadre règlementaire d’échange de renseignements dès lors que la Pologne et les Etats-Unis ont conclu une convention fiscale prévoyant un dispositif d’échange de renseignements et également que les deux Etats sont parties à la convention multilatérale de l’OCDE concernant l’assistance mutuelle en matière fiscale.
Ainsi, en cas de demande de remboursement d’une retenue à la source française, il conviendra de vérifier que l’Etat d’établissement du fonds est lié à la France par une convention fiscale permettant l’échange de renseignements ou, à tout le moins, qu’il est signataire de la convention multilatérale de l’OCDE à laquelle la France est partie.
3. La nécessaire comparabilité des fonds étrangers aux fonds nationaux
La Cour semble confirmer a contrario la nécessité pour le fonds d’investissement étranger d’être comparable à un fonds d’investissement national. La comparabilité est en effet un critère déterminant dès lors qu’il ne saurait y avoir de discrimination prohibée sur le fondement de la liberté de circulation des capitaux qu’à la condition que la situation d’un fonds domestique et celle d’un fonds établi dans un Etat tiers soient considérées comme comparables.
La Cour rappelle à cet égard que l’analyse de comparabilité doit se référer aux seuls critères d’exonération posés par le droit national. Sur ce fondement, la Cour a écarté le moyen soulevé par certains Etats membres consistant à vouloir mener l’analyse de comparabilité au niveau du fonds et des porteurs de parts. En effet, dès lors que la législation polonaise ne subordonnait pas l’exonération à l’imposition effective des porteurs de parts, il n’était pas possible d’effectuer une comparaison « globale » et seule la situation fiscale du fonds devait être examinée. Cette solution est conforme à la solution dégagée par la CJUE dans la décision Santander.
C’est également sur ce fondement que la Cour a considéré que les situations étaient comparables alors même que le fonds américain n’était pas réglementé conformément aux dispositions des directives OPCVM européennes. En effet, d’après la Cour, la législation polonaise faisait principalement référence au lieu du siège du fonds pour accorder le bénéfice de l’exonération et non pas au respect de la réglementation communautaire. La comparaison du cadre réglementaire applicable aux Etats-Unis et en Pologne n’était donc pas nécessaire dès lors que le bénéfice de l’exonération n’était pas subordonné au respect de la directive OPCVM.
A contrario, un fonds établi dans un Etat tiers sollicitant le remboursement de retenues à la source en France devra prouver qu’il se trouve dans une situation comparable à celle d’un fonds répondant aux conditions de la directive OPCVM dès lors que le droit interne français subordonne l’exonération d’impôt au respect de ces critères (cf. article 208 1° bis A du Code général des impôts). C’est d’ailleurs l’approche retenue par l’article 119 bis 2 du même code qui précise désormais que sont exonérés de retenue à la source les produits versés aux :
«(…) organismes de placement collectif constitués sur le fondement d’un droit étranger situés dans un Etat membre de l’Union européenne ou dans un autre Etat ou territoire ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales et qui satisfont aux deux conditions suivantes :
1° Lever des capitaux auprès d’un certain nombre d’investisseurs en vue de les investir, conformément à une politique d’investissement définie, dans l’intérêt de ces investisseurs ;
2° Présenter des caractéristiques similaires à celles d’organismes de placement collectif de droit français relevant de la section 1, des paragraphes 1, 2, 3, 5 et 6 de la sous-section 2, de la sous-section 3, ou de la sous-section 4 de la section 2 du chapitre IV du titre Ier du livre II du code monétaire et financier.».
Pour être pertinente, l’analyse de comparabilité devra selon nous notamment s’attacher à décrire la forme sociale du fonds, à démontrer que les fonctions de gestionnaire et de dépositaire sont exercées par des personnes différentes, que l’organisme est agréé dans son pays d’origine, que les comptes sont certifiés par un commissaire aux comptes, et démontrer que le fonds étranger respecte les règles principales de la directive OPCVM, notamment le principe de répartition des risques et l’absence de financement par emprunt.
4. Des précisions inédites relatives à la clause de gel, et son application à d’autres dispositifs
Enfin, la Cour apporte une précision intéressante concernant la clause de gel : le gouvernement polonais estimait que la restriction était couverte par la clause de gel dès lors que l’article prévoyant l’imposition des fonds étrangers existait au 31 décembre 1993. La Cour écarte cependant cet argument dès lors que, si l’article existait effectivement au 31 décembre 1993, l’exonération des fonds de droit interne n’avait été instaurée qu’à partir du 28 août 1997. La discrimination était donc postérieure au 31 décembre 1993.
Cette solution ouvre des perspectives intéressantes, notamment pour les contribuables résidents d’Etat tiers qui détiennent des participations substantielles dans des sociétés françaises (CGI, article 244 bis B).
A propos des auteurs
Julien Saïac, avocat associé, spécialisé en fiscalité internationale, il traite notamment des questions liées aux restructurations internationales, aux investissements immobiliers et aux prix de transfert.
Clément Rozant, avocat, spécialisé en fiscalité internationale.
Article paru dans la revue Option Finance le 5 mai 2014