Restructuration d’entreprise, principe d’égalité et négociation collective
18 septembre 2014
Les restructurations affectent le plus souvent l’organisation du travail, le statut collectif et la situation individuelle des salariés. Les situations qui en résultent méritent d’être examinées au regard du principe d’égalité dans les relations individuelles de travail.
«A travail égal, salaire égal»
Le célèbre arrêt Ponsolle (Cass. Soc. 29 octobre 1996) avait fait application du principe «à travail égal, salaire égal».
La jurisprudence a progressivement dégagé les conditions de mise en œuvre du principe plus général d’égalité de traitement entre les salariés.
L’application de ce principe suppose l’existence d’une identité de situation entre les collaborateurs dont les rémunérations sont comparées : en effet, l’employeur est tenu d’assurer l’égalité de rémunération entre tous les salariés pour autant que ceux-ci soient placés dans une situation identique.
Les raisons objectives et pertinentes d’une différence de traitement
Toutefois, même dans l’hypothèse d’une identité de situation, une différence de rémunération n’emporte pas violation du principe «à travail égal, salaire égal» si la différence de traitement est justifiée par des raisons objectives et pertinentes.
Le droit européen retient d’ailleurs un principe similaire : des «raisons économiques objectivement justifiées» peuvent en effet fonder une «différence de rémunération entre deux fonctions de valeur égale» (CJCE, 27 octobre 1993, Aff. C-127/92).
Le juge communautaire se borne à poser le principe des justifications possibles. C’est à la juridiction nationale qu’il renvoie le soin «d’apprécier, au regard de ses propres valeurs, la pertinence des arguments économiques invoqués par l’employeur».
La différence de traitement constatée à la suite d’une restructuration peut cependant être admise par application même de la loi.
En cas de transfert d’entreprise, le maintien des avantages contractuels se justifie par application de l’article L 1224-1 du Code du travail.
Les avantages que les salariés transférés tiennent d’un usage ou d’un engagement unilatéral du précédent employeur ne peuvent être «revendiqués» par les salariés du nouvel employeur, non concernés par le transfert.
Il en est de même des avantages issus d’un accord collectif mis en cause ou dénoncé (articles L 2261-14 et L 2261-10 du Code du travail).
Cependant, la différence de traitement justifiée par une cause légale n’embrasse pas toutes les situations.
Le contrôle judiciaire de la cause justificative
Il est revenu à la jurisprudence de justifier une différence de traitement par des raisons objectives et pertinentes ne procédant pas de loi.
La logique dite de compensation est ainsi régulièrement prise en considération par la Cour de cassation.
Dans plusieurs situations a ainsi pu être justifiée une différence de traitement :
- le maintien de la rémunération acquise par un salarié dans ses fonctions antérieures (Cass. Soc. 27 mars 2013)
- le maintien des avantages individuels acquis en cas de mise en cause d’un accord collectif (que ce maintien résulte d’une absence d’accord de substitution ou d’un tel accord) au motif, notamment, que ceux-ci ont pour objet de compenser le préjudice subi du fait de la mise en cause (ou de la dénonciation) de l’accord collectif dont les salariés tiraient ces avantages (Cass. Soc. 11 juillet 2007 et Cass. Soc. 4 décembre 2007)
- la compensation d’une diminution du salaire de base par l’effet de la réduction du temps de travail (l’indemnité différentielle correspondante n’étant pas versée aux nouveaux embauchés) (Cass. Soc. 1er décembre 2005)
- la compensation de salaire versée à un salarié présent dans l’entreprise à la date de conclusion d’un accord collectif organisant le passage d’une rémunération au pourcentage à une rémunération fixe et subissant, du fait de la modification de la structure de sa rémunération, une diminution de salaire (les salariés embauchés postérieurement à la mise en œuvre de cet accord collectif n’étant pas dans une situation identique à celle des salariés ayant perdu la chance d’une évolution favorable de leur rémunération) (Cass. Soc. 31 octobre 2006)
- le versement d’une indemnité visant à compenser un préjudice subi par les seuls salariés présents dans l’entreprise lors de l’entrée en vigueur de l’accord collectif, préjudice tenant à un changement de statut (Cass. Soc. 4 février 2009)
Toutefois, le juge judiciaire peut être amené à écarter l’existence de raisons objectives et pertinentes justifiant la différence de traitement :
- lorsque le changement d’employeur ne procède pas de l’article L 1224-1 du Code de travail et que l’avantage n’est pas destiné à compenser un préjudice spécifique à une catégorie de salariés (Cass. Soc. 15 janvier 2014)
- lorsque les différences de rémunération (caractérisées par une rémunération moins importante pour les salariés des magasins nouvellement ouverts) ne procèdent pas d’une cause objective et pertinente et conduisent à faire partager aux salariés le risque économique de l’entreprise (Cass. Soc. 27 juin 2012).
Vers une évolution du contrôle judiciaire ?
Les causes justificatives d’une différence de traitement ne se heurtant pas au principe d’égalité relèvent donc de l’appréciation du juge.
Le contentieux de la légitimité des critères de différenciation demeure cependant complexe et aléatoire.
La liberté reconnue aux organisations syndicales représentatives, dont la légitimité a été renforcée par la loi du 20 août 2008, de négocier les salaires et avantages liés à la relation de travail, et le développement de la négociation collective, appellent à une évolution du contrôle judiciaire.
Il faudrait à cet égard que soient renforcés les effets attachés à la norme conventionnelle lorsque l’accord collectif prévoit une différence de traitement.
Auteur
Laurent Marquet de Vasselot, avocat associé en droit social.
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