Responsabilité légale des constructeurs
Garantie décennale – non-conformité contractuelle
Cass. 3e civ., 20 janvier 2015, n°13-26.085
Une société a fait édifier un bâtiment à usage de stockage de légumes surgelés et souscrit une police dommages-ouvrage. Après réception, des désordres sont apparus au niveau de la chambre froide. Après expertise judiciaire, le maître d’ouvrage a assigné les constructeurs et leurs assureurs respectifs sur le fondement de la garantie décennale.
La cour d’appel de Rennes, après avoir constaté une non-conformité de l’ouvrage aux spécifications contractuelles, a débouté le maître d’ouvrage de sa demande à l’égard des constructeurs sur le fondement des articles 1792, 1792-2 et 1792-4 du Code civil, considérant qu’il ne prouvait pas que l’ouvrage litigieux fut atteint de dommages compromettant sa solidité ou l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs en le rendant impropre à sa destination.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par le maître d’ouvrage estimant que la non-conformité contractuelle d’un ouvrage à la destination convenue entre les parties ne caractérise pas en tant que telle une impropriété à l’usage au titre de la responsabilité décennale.
Garantie décennale – transmission de l’action
Cass. 3e civ., 4 février 2015, n°13-26.746
Une commune avait confié, dans le cadre d’une concession, la construction et l’exploitation d’un parc de stationnement à une société, qui avait transféré le bénéfice et la charge de cette concession. Après réception du parc de stationnement et avant la transmission des missions, des dommages dus à un tassement de remblais sont apparus. A la suite d’une expertise judiciaire, la nouvelle société gestionnaire a assigné les constructeurs et leurs assureurs en réfection des désordres.
La cour d’appel de Versailles a déclaré cette demande irrecevable, au motif qu’il n’était pas démontré que l’action relative aux désordres antérieurs au transfert de l’ensemble contractuel à la nouvelle société gestionnaire avait été transmise, en l’absence de stipulation expresse dans les actes.
La Cour de cassation a cassé cet arrêt au visa de l’article 1134 du Code civil, au motif qu’en l’absence de clause contraire, le transfert des droits et obligations de la concession de construction et de gestion du parc de stationnement emportait transmission de l’action en garantie décennale même pour les désordres survenus antérieurement audit transfert.
Cette décision est à rapprocher de la jurisprudence relative à la transmission de l’action en garantie décennale aux acquéreurs successifs de l’immeuble, fondée sur la transmission propter rem des actions attachées à la chose vendue1.
Travaux sur existants – la notion d’ouvrage
Cass. 3e civ., 20 janvier 2015 n°13-21.122 – 14-16.586 et 14-17.872
La Cour de cassation est régulièrement saisie de la question des conditions d’application de la garantie légale des constructeurs aux travaux sur existants (articles 1792 et suivants du Code civil)2. La responsabilité légale des constructeurs ne peut être actionnée que lorsque les travaux sur existants sont constitutifs d’un ouvrage au sens de l’article 1792 du Code civil.
L’espèce analysée en fournit un nouvel exemple.
Des travaux de rénovation sur existants ont été confiés à un entrepreneur. Se plaignant de désordres, le syndicat des copropriétaires de l’immeuble a assigné en responsabilité le vendeur des lots de copropriété, lequel a appelé en garantie son assureur, les locateurs d’ouvrage et leurs assureurs.
La cour d’appel de Paris a rejeté la demande de condamnation du vendeur des lots de copropriété fondée sur la garantie décennale au motif que les travaux entrepris, qui consistaient en une opération limitée d’aménagement et de révision succincte de la couverture, ne constituaient pas un ouvrage immobilier donnant lieu à l’application de la garantie décennale.
La Cour de cassation a confirmé cette analyse.
Comme le souligne l’arrêt analysé, la jurisprudence retient comme critère caractérisant un ouvrage au sens de l’article 1792 du Code civil l’importance des travaux réalisés. Il en découle une distinction entre les menus travaux et les travaux d’importance, les seconds ayant seuls vocation à constituer un ouvrage.
Garantie de bon fonctionnement – conditions d’application
Cass. 3e civ., 27 janvier 2015, n°13-25.514
Des particuliers ont confié à une société la réfection d’une terrasse comprenant notamment la pose de carrelage autour d’une piscine. Des décollements du carrelage sont apparus dans le délai de deux ans à compter de la réception de l’ouvrage. Les maîtres d’ouvrage ont alors assigné le constructeur en indemnisation de leurs préjudices un peu moins de trois ans après ladite réception.
Après avoir considéré que les décollements du carrelage en bordure de piscine relevaient de la garantie biennale de bon fonctionnement, la cour d’appel de Bordeaux a constaté la prescription de l’action en garantie mais a retenu la responsabilité contractuelle pour faute du constructeur, lequel n’était pas assuré à ce titre.
Sur le pourvoi incident des maîtres d’ouvrage, la Cour de cassation a cassé l’arrêt au motif que la garantie de bon fonctionnement ne s’applique pas à un carrelage de bordure de piscine, élément dissociable de l’immeuble non destiné à fonctionner. La cour d’appel aurait dû dès lors rechercher si les désordres affectant le carrelage rendaient la terrasse impropre à sa destination, pour appliquer, si tel était le cas, la garantie décennale.
Les désordres affectant les éléments d’équipement relèvent de la garantie décennale dans deux cas :
- si les éléments d’équipement sont indissociables de l’ouvrage lui-même -le critère de la dissociabilité étant défini par l’article 1792-2, alinéa 2 du Code civil- et si les désordres affectent leur solidité ;
- si, dissociables ou non, les éléments d’équipement défaillants rendent l’ouvrage lui-même impropre à sa destination.
Les désordres relèvent, en revanche, de la garantie biennale de bon fonctionnement de l’article 1792-3 du Code civil si les éléments d’équipement sont dissociables de l’ouvrage et si ces désordres ne rendent pas l’ouvrage impropre à sa destination.
Les éléments d’équipement dissociables, objets de cette garantie, ont été définis pour la première fois par la Cour de cassation dans un arrêt du 11 septembre 20133. Il s’agit de ceux qui sont destinés à fonctionner, c’est-à-dire qui ne sont pas inertes, ce que confirme l’arrêt analysé. Cette jurisprudence conduit à exclure de la garantie biennale le carrelage collé comme en l’espèce, mais également les dallages4, moquettes et tissus tendus5. En d’autres termes, le bon fonctionnement (et la garantie y afférente) ne peut concerner qu’un appareil (chaudière, ascenseur, système d’alarme, etc.) ou, en tout état de cause, un élément mobile (porte, fenêtre, volet) par opposition aux éléments fixes et inertes.
En définitive, la défaillance des éléments d’équipement dissociables « non destinés à fonctionner » :
- relèvera de la garantie décennale de l’article 1792 du Code civil si elle rend l’ouvrage impropre à sa destination ;
- à défaut, ne pourra relever que de la responsabilité contractuelle de droit commun, et non de la garantie de bon fonctionnement de l’article 1792-3 du Code civil.
Notes
1 Cass. 2e civ., 28 novembre 1967, Bull. civ., III, n°348 – Cass. 3e civ., 10 juillet 2013, n°12-21.910
2 Voir notamment nos commentaires dans notre Lettre Construction de Juillet 2013
3 Cass. 3e civ., 11 septembre 2013, n°12-19.483
4 Cass. 3e civ., 13 février 2013, n°12-12.016
5 Cass. 3e civ., 30 novembre 2011, n°09-70.345
Auteurs
Aline Divo, avocat associée en matière de Droit Immobilier, Droit de la construction et Droit des baux.
Charlotte Félizot, avocat en matière de Contrats de l’Entreprise et Droit Immobilier.