Résidence fiscale des personnes physiques : retour sur l’année 2020
L’année 2020 fut riche d’enseignements en matière de résidence fiscale des personnes physiques. Tout d’abord, l’administration fiscale a pris position sur l’application des critères de résidence en période de crise sanitaire. Puis, hasard du calendrier juridictionnel, le Conseil d’Etat a rendu plusieurs décisions précisant l’interprétation de la notion de résidence fiscale en droit interne et droit conventionnel.
L’administration, la crise sanitaire et la résidence fiscale
En avril 2020, la Direction des Impôts des Non-résidents a indiqué qu’un séjour temporaire au titre du confinement en France, ou de restrictions de circulation décidées par le pays de résidence, n’était pas de nature à y caractériser un foyer pour les besoins de la détermination du domicile fiscal au sens de l’article 4 B,1 du CGI.
L’administration se place ici dans la continuité de la décision de principe Larcher du Conseil d’Etat du 3 novembre 1995 (n° 126513) et rappelle que le foyer d’une personne s’entend du lieu où elle habite normalement et a le centre de ses intérêts familiaux, sans qu’il soit tenu compte des séjours effectués temporairement ailleurs en raison de circonstances exceptionnelles, et que le lieu de son séjour principal ne peut déterminer son domicile fiscal que dans l’hypothèse où elle ne dispose pas de foyer. Dès lors, une personne vivant avec sa famille à l’étranger et se retrouvant bloquée en France du fait d’un confinement, conserve son foyer dans son pays d’origine et dès lors, ne saurait être qualifiée de résidente fiscale de France (sauf à satisfaire l’un des autres critères de droit interne, ce que l’administration n’envisage pas dans sa prise de position).
Par ailleurs, l’OCDE a également précisé qu’un confinement subi dans un Etat autre que son Etat de résidence ne devait pas entraîner de transfert de résidence en application des règles conventionnelles.
Décisions jurisprudentielles éclairant l’interprétation des critères de résidence fiscale
La résidence fiscale d’une personne physique est en premier lieu déterminée en application de critères du droit interne de chaque pays. Le Conseil d’Etat a eu l’occasion de se prononcer sur la portée de l’un de ces critères prévus à l’article 4B du CGI (A).
En cas de conflit de résidence, c’est-à -dire lorsque le contribuable est résident fiscal de deux Etats en application du droit interne de chacun d’eux, ou de double imposition des revenus, les conventions fiscales conclues par la France apportent une protection aux personnes physiques. Le Conseil d’Etat s’est penché sur les conditions auxquelles une personne physique peut bénéficier de cette précieuse protection (B) et sur la portée de l’un des critères conventionnels de résidence fiscale (C).
Appréciation du critère interne du centre des intérêts économiques
Dans une décision du 7 octobre 2020 (n° 426124, Epoux S.), le Conseil d’Etat a rappelé les modalités d’appréciation du critère du centre des intérêts économiques et plus précisément, que si le patrimoine doit être pris en considération, c’est en tant qu’il est productif de revenus.
Un couple établi en Belgique avait perçu des dividendes d’une société française et possédait plusieurs immeubles en France. À la suite d’un examen de leur situation fiscale, l’administration avait estimé que la résidence fiscale des contribuables était située en France et avait en conséquence retenu le caractère occulte des distributions opérées par la société française.
Les juges d’appel ont confirmé la résidence fiscale française des contribuables au motif que la circonstance qu’ils y possédaient des sociétés et des biens immobiliers permettait d’y localiser le centre de leurs intérêts économiques.
Le Conseil d’État casse l’arrêt d’appel en jugeant que la Cour, pour établir le centre des intérêts économiques en France, s’était bornée à constater la possession d’un patrimoine en France, sans rechercher s’il était productif de revenus et sans comparer les revenus français et les revenus belges, alors que les contribuables avaient démontré que les premiers étaient très inférieurs aux seconds, tirés de leurs activités professionnelles en Belgique.
Résidence fiscale conventionnelle et critère de l’assujettissement à l’impôt
Dans une décision du 9 juin 2020 (n°434972, M. Bich), le Conseil d’Etat a jugé qu’une personne physique peut être considérée comme résidente d’un Etat alors même qu’elle y est imposable uniquement sur ses revenus de source locale.
Le contexte de cette décision est le suivant : Alors qu’il travaillait et résidait en Chine avec sa famille, le requérant avait perçu des dividendes versés par des sociétés françaises, exonérés en Chine en application d’un régime des impatriés local si bien qu’il n’était imposable en Chine que sur ces revenus de source chinoise.
En France, ces dividendes avaient été soumis à la retenue à la source au taux de 30 % alors en vigueur. Se considérant comme résident chinois au sens de l’article 4, 1 de l’accord entre la France et la Chine du 30 mai 1984, applicable aux années en cause, selon lequel « l’expression « résident d’un État contractant » désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet État, est assujettie à l’impôt dans cet État, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction générale ou de tout autre critère de nature analogue », le requérant avait sollicité la limitation de la retenue à la source à 10 % prévue par ce texte.
L’administration fiscale, puis les juges du fond, ont rejeté la demande au motif que le contribuable ne pouvait être considéré comme résident chinois au sens conventionnel dans la mesure où il n’était imposable en Chine que sur ses revenus de source chinoise et ce, alors même que l’accord de 1984, à la différence de la convention du 26 novembre 2013 (applicable à compter du 1er janvier 2015), ne précisait pas que l’expression « résident d’un État contractant » n’inclut pas les personnes qui ne sont « assujetties à l’impôt dans cet État que pour les revenus de sources situées dans cet État […] ».
Ce raisonnement est censuré par le Conseil d’Etat qui relève qu’il résulte des stipulations de l’article 4, 1 de l’accord de 1984 que la qualité de résident d’un État contractant est subordonnée à la seule condition que la personne qui s’en prévaut soit assujettie à l’impôt dans cet État à raison de son domicile, de sa résidence ou d’un lien personnel, et non en raison de la seule existence de revenus y trouvant leur source. Les personnes, dont les seuls revenus pris en compte pour leur assujettissement à l’impôt dans cet État sont, en application des règles d’assiette locales, les revenus qui y trouvent leur source, peuvent donc être regardées comme des résidents au sens conventionnel. Selon le Conseil d’Etat, ce qu’il convient de rechercher, c’est l’existence d’un « lien personnel » susceptible d’établir la résidence fiscale du contribuable.
A l’occasion d’une réponse ministérielle, l’administration fiscale a entériné la décision Bich en précisant que l’étendue de l’obligation fiscale à laquelle le contribuable est tenu dans l’Etat étranger est sans incidence sur sa qualité de résident au sens de la convention (RM Deromedi, JO Sénat du 8 octobre, n° 14775).
A la lumière d’un tel principe, et à l’instar de la solution posée en matière de « remittance basis » britannique par la décision Regazzacci du Conseil d’Etat (27 juillet 2012, n° 337656), les personnes qui sont des résidents fiscaux d’Etats qui appliquent un principe de territorialité (qui taxent peu ou pas du tout les revenus de source étrangère) devraient pouvoir bénéficier des conventions fiscales applicables dans la mesure où il existe un lien personnel entre elles et cet Etat.
Appréciation du critère conventionnel du lieu de séjour habituel
Dans une décision du 16 juillet 2020 (n° 436570, Curot), le Conseil d’Etat a précisé que, pour l’application de la convention franco-brésilienne du 10 septembre 1971, le séjour habituel dans un Etat doit s’apprécier au regard de la fréquence, de la durée et de la régularité des séjours dans cet Etat qui font partie du rythme de vie normal de la personne et ont un caractère plus que transitoire, sans qu’il y ait lieu de rechercher si la durée totale des séjours qu’elle y a effectués excède la moitié de l’année.
Les juges d’appel avaient appliqué les critères successifs de la convention : le requérant n’avait de foyer d’habitation permanent ni en France, ni au Brésil. Dès lors, ils n’avaient pas recouru au critère du centre des intérêts vitaux qui n’est appliqué que si la personne a un foyer d’habitation permanent dans les deux Etats. Ils avaient ensuite considéré que l’intéressé ne séjournait de façon habituelle ni en France, ni au Brésil, ce qui les avait conduits à retenir le critère de la nationalité du contribuable pour conclure à sa résidence fiscale en France.
Le requérant a contesté cette analyse, estimant qu’il avait produit des pièces à même de démontrer que son lieu de séjour habituel était bien au Brésil : copie de son passeport comportant les tampons des autorités douanières brésiliennes et établissant qu’il y avait effectué au moins trois séjours au cours de l’année litigieuse, d’une durée d’au moins vingt jours chacun, pour une durée totale d’environ 245 jours; certificat de voyage établi par la compagnie aérienne confirmant les données portées sur son passeport ; historique de ses déplacements établi par la police fédérale brésilienne.
Le Conseil d’Etat censure la Cour d’appel en la rappelant à son devoir d’exacte qualification des faits : les éléments apportés par le contribuable permettaient bien de déterminer la fréquence, la durée et la régularité des séjours au Brésil du requérant si bien que le lieu de son séjour habituel pouvait être caractérisé dans cet Etat.
Article paru dans Option Finance le 08/02/2021
Auteurs
Rosemary Billard-Moallic, Avocat en droit fiscal
Dimitar Hadjiveltchev, Avocat associé en droit fiscal