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Repenser la clause de non-concurrence pour une réelle efficacité

Monument en péril du contrat de travail, la clause de non-concurrence est l’objet de positions successives de la Cour de Cassation. Quand est-elle vraiment utile ? Qu’y inclure pour la rendre efficace et protectrice pour l’activité de l’employeur ?

Pendant son contrat de travail le salarié est tenu à une obligation de loyauté qui lui interdit de se livrer à une activité concurrente. Après la rupture, sa liberté ne peut, sauf concurrence déloyale, être limitée que par une clause de non-concurrence.

Si des générations de juristes se sont employées à sécuriser de telles clauses, la jurisprudence a, depuis une dizaine d’années, tellement évolué qu’il convient de se demander s’il ne faut pas renoncer à ce dispositif ou, à tout le moins, le repenser, a fortiori dans un contexte économique qui pourrait conduire les Juges à avoir une analyse encore plus extensive de la notion d’atteinte à la liberté du travail.

Une validité de plus en plus fragile
Les principes de base de conciliation de la liberté du travail et de la liberté contractuelle sont simples : une clause de non-concurrence n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise (et non du groupe) et limitée dans le temps, dans l’espace ainsi que dans la nature des activités visées. Les juges du fond retiennent souvent une interprétation favorable aux salariés, notamment au nom du principe de proportionnalité fixé par le code du travail qui interdit à l’employeur d’apporter aux droits et aux libertés du salarié des restrictions qui ne seraient pas proportionnées au but recherché. Il y a là une première dimension d’insécurité juridique.

Cette insécurité est établie en particulier dans l’hypothèse où un salarié a exercé la majorité de sa carrière au sein de l’entreprise avec laquelle il a signé une clause de non-concurrence : le salarié invoque alors le caractère excessif de la clause imposant, selon lui, en raison de l’expérience acquise, une reconversion dans un autre secteur. Cette position est souvent approuvée par les juridictions qui concluent, pour ce motif, à la nullité de la clause.

L’employeur ne peut donc pas avoir la garantie de pouvoir opposer au salarié, au jour de son départ, une obligation de non concurrence pourtant convenue à l’embauche.

Depuis 2002, la chambre sociale a ajouté, comme condition de validité et à peine de nullité, l’exigence d’une contrepartie financière. Compte tenu de la rétroactivité des décisions jurisprudentielles, ce revirement continue, aujourd’hui encore, d’alimenter le contentieux pour les clauses conclues avant 2002. Notons que la jurisprudence a rejeté toute régularisation par avenant à la convention collective. Le seul moyen serait donc de conclure un avenant individuel.

Cette contrepartie financière doit, en outre, être significative et ne peut être esquivée par un versement provisionnel avant la rupture. En pratique, cette contrepartie correspond à un prorata du salaire (des décisions ont considéré des montants de 25 à 33% comme raisonnable). Il s’agit d’un salaire d’inactivité, assujetti à cotisations sociales, ce qui en majore le coût.

Notons que la contrepartie pécuniaire est également exigée par la chambre commerciale de la Cour de Cassation dans les relations d’affaires, pour les salariés qui cumulent cette qualité avec un « statut commercial » (actionnaire, mandataire social, etc.) ; cette exigence peut donc s’appliquer à une clause de non-concurrence insérée dans un pacte d’actionnaires dès lors que l’actionnaire cédant est aussi salarié (Cass. Com. 15 mars 2011 et Cass. Soc. 23 novembre 2011).

La faculté de renoncer à la clause ne doit pas être négligée
Compte tenu des évolutions jurisprudentielles et des incertitudes qui existent quant à la reconnaissance de la validité d’une clause de non-concurrence, certains se demandent s’il est possible de prévoir la faculté de ne décider de la faire jouer, le cas échéant, qu’après la rupture du contrat de travail. La réponse est négative car cette obligation potestative serait nulle.

L’employeur ne peut dès lors renoncer à la clause de non-concurrence qu’avec l’accord du salarié ou s’il a expressément prévu une faculté de renonciation. Il est donc conseillé d’insérer une clause de renonciation et, quelle que soit la rédaction de la clause, de libérer, par prudence, le salarié de son obligation de non-concurrence au plus tôt, à savoir dès la notification de la rupture, et ce afin de limiter les risques de contentieux. Car il sera relevé, par exemple, qu’en cas de dispense de préavis, la clause s’applique dès le départ effectif du salarié, que la demande soit à l’initiative de l’employeur ou du salarié en cas de démission (Cass. Soc. 13 mars 2013). Ce qui aboutit d’ailleurs, à payer deux fois le salarié, pendant cette période (au titre du préavis et de la clause de non-concurrence), tout en réduisant la durée des effets de la clause.

Et mieux vaut relire attentivement le contrat et la convention collective, la moindre ambiguïté pouvant rendre la clause nulle ou priver la renonciation d’efficacité.

Une efficacité limitée, mais réelle
Et tout cela, pourquoi ?

Même en l’absence de clause, l’employeur peut engager la responsabilité de son ex-salarié, voire de son nouvel employeur en cas de pratiques commerciales déloyales (débauchage d’équipes, détournement de fichiers, etc.) : mais il est vrai que la preuve de ce comportement, voire d’un préjudice, est particulièrement difficile à rapporter
Outre sa fonction dissuasive, la clause de non-concurrence a donc pour principal objet de simplifier la preuve, dès lors qu’il est établi que l’ex-salarié a une activité concurrente. Elle peut, aussi permettre à l’employeur de demander, le cas échéant en référé, l’interdiction de l’activité concurrente et ce sous astreinte. Elle peut aussi prévoir une indemnisation forfaitaire dissuasive, mais l’article 1152 du Code civil permet au juge d’en moduler le montant s’il l’estime manifestement excessif.

L’employeur en conclura qu’il faut :

  • réserver la clause de non-concurrence à des situations qui le justifient incontestablement ;
  • limiter la durée des clauses : une durée maximum de 12 mois est le plus souvent le meilleur compromis.
  • gérer rigoureusement leur rédaction, leur mise à jour et leur mise en Å“uvre.

A propos de l’auteur

Marie-Pierrre Schramm, avocat associée, spécialisée en conseil et en contentieux dans le domaine du droit social.

Article paru dans Les Echos Business du 19 juin 2013

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