Remboursement de crédit de TVA aux entreprises étrangères
La jurisprudence n’exclut pas le droit à l’erreur pour le remboursement de TVA aux entreprises étrangères
Les Etats membres, à commencer par la France, font généralement preuve d’un attachement tout particulier au respect du formalisme par les assujettis étrangers qui demandent le remboursement de la TVA supportée sur leur territoire alors que ces assujettis n’y sont pas établis.
Plusieurs décisions jurisprudentielles récentes permettent d’y voir plus clair quant aux conséquences des erreurs que peuvent commettre les entreprises dans la formulation de leur demande et les délais dans lesquels elles les présentent aux Etats membres de remboursement.
1. L’absence de respect des règles de forme ne suffit pas à justifier le refus de remboursement à une société étrangère
Dans un arrêt Volkswagen AG du 21 mars 2018 (Aff. C-533/16), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient de rappeler que si la Directive 2008/9 définit les modalités de remboursement de la TVA en faveur des assujettis dans l’Union mais non établis dans l’Etat membre de remboursement, elle n’a pas pour objectif de déterminer les conditions ni l’étendue du remboursement de la TVA payée en amont qui sont déterminé par la directive TVA.
En conséquence, selon la Cour, le droit pour un assujetti établi dans un Etat membre, régi par la directive 2008/9, d’obtenir le remboursement de la TVA qu’il a acquitté dans un autre Etat membre où il n’est pas établi est le pendant du droit instauré en faveur des assujettis de déduire la TVA dans leur propre Etat.
Autrement dit, les conditions et l’étendue du droit au remboursement s’apprécient de la même manière et dans le respect des mêmes principes pour un assujetti établi que pour un assujetti non établi. Ce rappel n’est jamais inutile…
La CJUE avait déjà jugé dans une jurisprudence reprise depuis par le Conseil d’Etat et sous l’empire de la 8ème Directive qui régissait le remboursement aux entreprises étrangères avant l’entrée en application de la Directive 2008/9, qu’il résulte de la portée de ce texte que les obligations formelles imposées afin d’assurer l’exacte perception de la taxe et d’éviter la fraude ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour respecter ces exigences, sous peine de méconnaître le principe de proportionnalité et de remettre en cause la neutralité de la taxe (CJUE, Aff. C-361/96, arrêt du 11 juin 1998, Sté générale des grandes eaux minérales françaises et CE n°388277, 13 juin 2016, Sté Veolia Transport Sverige). Selon cette jurisprudence, l’obligation faite à une entreprise étrangère de présenter l’original de la facture à l’appui de sa demande n’exclut pas que le remboursement puisse être accordé sans que cette formalité soit respectée s’il est établi que la perte de la facture n’est pas imputable à l’entreprise et qu’il n’existe ni de doute sur la réalité de la transaction ni de risque qu’une autre demande de remboursement de la taxe y afférente soit demandée ultérieurement.
2. L’application des règles de forclusion ne saurait conduire à rendre impossible le remboursement
La forclusion est une cause fréquente de rejet des demandes de remboursement de TVA présentées par les entreprises étrangères qui ne respectent pas toujours scrupuleusement les délais impartis, souvent pour des raisons indépendantes de leur propre diligence.
Il convient à cet égard de rappeler qu’en France, le seul caractère tardif d’une demande de remboursement présentée par une entreprise sur le fondement de la directive 2008/9 ne suffit pas actuellement à en exclure le remboursement, la France ayant omis, dans les mesures de transposition (CGI, Ann. II, art. 242 0 R) d’indiquer le délai dans lequel l’entreprise étrangère doit présenter sa demande par l’intermédiaire du portail mis à sa disposition par les autorités de l’Etat membre où elle est établie (CE, n°392 575 du 4 décembre 2017, Sté Costa Crociere SPA).
Au-delà de l’opportunité résultant de cette erreur de transposition, la Cour de justice vient d’apporter un éclairage favorable aux entreprises en ce qui concerne l’application des règles de forclusion dans tous les Etats membres de l’Union.
Dans l’affaire Volkswagen déjà citée, un fournisseur slovaque avait, entre 2004 et 2010, adressé à la société Volkswagen des factures au titre d’opérations que le fournisseur avait dans un premier temps estimé devoir être exonérées de la TVA. En 2010, constatant qu’il avait commis une erreur de qualification des opérations en cause et, partant une application erronée des règles de TVA, le fournisseur a adressé à sa cliente des factures rectificatives mentionnant la taxe qu’il a alors acquittée au Trésor.
Puisque n’étant pas elle-même établie en Slovaquie, la société Volkswagen a demandé le 1er juillet 2011 le remboursement de la taxe mentionnée sur les factures rectificatives suivant la procédure de remboursement prévue par la Directive 2008/9 et s’est vue refuser la restitution pour les années 2004 à 2006 en raison de l’expiration du délai de forclusion de cinq ans prévu par le droit slovaque.
Les autorités fiscales locales ont en effet estimé que le droit à remboursement était né à la date de livraison des biens à savoir lorsque la taxe était devenue exigible chez le fournisseur.
La CJUE s’oppose à l’application d’une telle forclusion.
Elle juge en effet que si le principe de sécurité juridique justifie que les Etats membres fixent un délai au-delà duquel un assujetti à la TVA ne peut plus faire valoir son droit à déduction, le principe d’effectivité s’oppose à ce que le délai de forclusion ait pour conséquence de priver un assujetti du droit à remboursement lorsque, comme en l’espèce, la taxe dont le remboursement est demandé a bien été versée au Trésor mais l’assujetti, qui ne disposait pas de facture et ignorait que la taxe était due, a été dans l’impossibilité d’exercer son droit à remboursement avant la régularisation effectuée par le fournisseur.
Cet arrêt devrait selon nous conduire la Cour administrative d’appel de Versailles à confirmer un jugement du tribunal administratif de Montreuil qui avait récemment annulé une décision de rejet pour forclusion d’une demande de remboursement que l’entreprise avait présentée au titre de l’année au cours de laquelle elle avait reçu les factures concernées et non de celle, antérieure, durant laquelle était intervenue l’exigibilité de la taxe chez son fournisseur (TA Montreuil, 4 avril 2017, Sté Airbus Helicopters Tiger GmbH). Dans cette situation, distincte de celle jugée par la CJUE où Volkswagen était dès la date des opérations concernées en possession de factures mais qui ne mentionnaient pas la TVA, le tribunal administratif a, pour donner droit à la demande d’Airbus Helicopters, jugé que c’est la réception de la facture, sans laquelle un assujetti ne peut en principe pas faire valoir son droit à déduction, qui définit la période de remboursement au sens de la Directive 2008/9.
3. Les entreprises doivent rester attentives au suivi des mesures d’instruction de leur demande
Une fois introduite via le portail dédié mis à leur disposition par l’Etat membre où elles sont établies, les entreprises peuvent devoir répondre aux interrogations des autorités fiscales de l’Etat membre de remboursement. La directive 2008/9 prévoit en effet que cet Etat peut prendre des mesures d’instruction complémentaires qui prennent la forme d’une demande adressée par courrier électronique à l’adresse communiquée par le demandeur. Interrogé par le tribunal administratif de Montreuil, le Conseil d’Etat a précisé dans un avis du 18 octobre 2017 (n°412016, Sté Elaborados et Sea Chef Cruise Service) que le rapport de suivi du courriel émis par le serveur informatique de l’envoyeur (en l’occurrence l’administration fiscale) et mentionnant la délivrance du message au serveur hébergeant l’adresse du contact du destinataire (l’entreprise ayant demandé un remboursement) permet de présumer la bonne réception de la demande d’information complémentaire.
Or, la Directive prévoit que le demandeur dispose d’un délai de trente jours pour répondre à une telle demande.
Reste à savoir si l’absence de réponse dans le délai imparti peut, en lui-même, entraîner le rejet de la demande ce qui nous semblerait contraire aux principes de neutralité et de proportionnalité. Le tribunal administratif de Montreuil a néanmoins jugé nécessaire, comme l’y invitait du reste le Conseil d’Etat, de soumettre cette question à l’interprétation de la CJUE.
Les récents rappels à l’ordre adressé par le juge à des autorités fiscales excessivement formalistes ne doivent toutefois faire oublier aux entreprises qu’il est toujours préférable et plus rapide de présenter une demande de remboursement dans le strict respect des conditions et délais prévus par la réglementation.
Auteur
Elisabeth Ashworth, avocat associé, responsable des questions de TVA et de taxe sur les salaires au sein de l’équipe de doctrine fiscale