Les conséquences de la loi n°2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription pénale en matière de fraude fiscale
La réforme de la prescription pénale n’affecte qu’à la marge les règles applicables en matière de fraude fiscale.
Depuis la modification de l’article L.230 du livre des procédures fiscales par la loi du 6 décembre 2013, l’administration fiscale disposait d’un délai de six ans pour déposer plainte en matière de fraude fiscale, alors que ce délai était jusqu’alors de trois ans.
Le nouveau dispositif avait été d’application rétroactive en ce que visant des faits non atteints par la prescription triennale à sa date d’entrée en vigueur, de telle sorte qu’il a visé toutes les infractions commises à compter du 1er janvier 2010, qui à défaut, auraient été prescrites le 1er janvier 2014.
Le principe de l’application rétroactive des lois de prolongation des délais de prescription de l’action publique et des peines est prévu par l’article 112-2-4° du code pénal selon lequel: « Sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur : […] 4° Lorsque les prescriptions ne sont pas acquises, les lois relatives à la prescription de l’action publique et à la prescription des peines« . Et la Cour européenne des droits de l’homme a validé ce principe (CEDH 22 juin 2000, Coëme et autres c/ Belgique, req. n°32492/96, consid. 149 ; 12 févr. 2013, Previti c/ Italie, req. n°1845/08).
L’administration fiscale peut ainsi déposer une plainte jusqu’à la fin de la sixième année suivant celle au cours de laquelle a été commise l’infraction, période prolongée, dans la limite de six mois, de la durée d’examen de l’affaire par la commission des infractions fiscales, dès lors que celle-ci est saisie par l’administration fiscale à l’intérieur du délai de six années précité.
Précisons que :
- Le délit de fraude fiscale ne peut, à la différence d’autres délits dont notamment le délit de blanchiment de fraude fiscale, être poursuivi que sur plainte préalable de l’administration fiscale, celle-ci devant par ailleurs avoir obtenu un avis conforme de la commission des infractions fiscales.
- L’administration fiscale doit donc avoir connaissance des faits susceptibles de qualifier une fraude fiscale avant l’intervention de la prescription de l’action publique.
- Le délai de prescription du droit de reprise de l’administration fiscale et le délai de prescription de l’action publique sont distincts, et une fraude fiscale peut être prescrite alors que la prescription du droit de reprise de l’administration n’est pas encore intervenue.
- L’allongement du délai d’engagement des poursuites n’a concerné que le seul délai initial dans lequel doit intervenir le dépôt de la plainte et la réalisation par le parquet du premier acte interruptif de prescription.
La récente loi n°2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale, publié au Journal Officiel du 28 février 2017, entrée en vigueur le 1er mars 2017, et commentée par une circulaire du Ministère de la justice du 28 février 2017, amène à s’interroger sur les modifications qu’elle pourrait entraîner au regard de la procédure de répression de la fraude fiscale.
Rappelons que cette loi est de portée générale en ce qu’elle a pour objectif d’assurer un meilleur équilibre entre l’exigence de répression des infractions et l’impératif de sécurité juridique et de conservation des preuves, principalement en allongeant les délais de prescription de l’action publique en matière criminelle et correctionnelle, tout en unifiant ces délais avec ceux de la prescription de la peine, et en consacrant, précisant et encadrant les règles jurisprudentielles relatives aux causes d’interruption et de suspension de la prescription (circulaire précitée).
De nouveaux délais de prescription
La nouvelle loi a tout d’abord allongé les délais de prescription puisque ces délais ont doublé en matière criminelle et délictuelle. Ils sont donc respectivement de 20 ans et 6 ans, seule la prescription en matière contraventionnelle étant restée la même (un an).
Sur ce premier point, la loi du 6 décembre 2013 avait en quelque sorte anticipé la nouvelle mesure qui se révèle sans effet sur ce point.
Il faut cependant noter une modification de l’article 351 du code des douanes pour porter également, par renvoi aux règles du droit commun, à six ans la prescription des délits douaniers (1er alinéa de l’article), tout en maintenant à trois ans la prescription des contraventions douanières (2ème alinéa de l’article).
Un point de départ de la prescription prolongé pour les délits occultes et dissimulés
Si le principe demeure le même, à savoir que la prescription court à compter du jour de la commission de l’infraction, le législateur a prévu pour les délits occultes et dissimulés, le report du point de départ du délai de prescription de l’action publique, au jour de leur découverte. Plus précisément le nouvel article 9-1 du code de procédure pénale prévoit que le délai de prescription des infractions occultes ou dissimulées court à compter du jour où ces infractions sont apparues et ont pu être constatées dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique.
Se pose la question de savoir si ces dispositions spécifiques peuvent conduire à allonger la durée de prescription du délit de fraude fiscale, dès lors que le législateur a défini l’infraction occulte comme étant celle qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime, ni de l’autorité judiciaire et l’infraction dissimulée comme celle dont l’auteur accomplit délibérément toute manœuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte.
Si l’on se réfère aux travaux parlementaires (rapport n°3540 à l’assemblée nationale de la Commission des lois présenté par Monsieur Alain TOURRET) ces dispositions auraient déjà été mises en œuvre par la Cour de Cassation en matière de fraude fiscale et ne feraient que confirmer la jurisprudence en vigueur.
Il est exact que si la règle est celle selon laquelle la fraude fiscale se prescrit au-delà d’un délai de six années suivant celle au cours de laquelle a été commise l’infraction, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a depuis longtemps établi une distinction entre la date à laquelle l’infraction se réalise et celle à laquelle sont accomplis les actes l’ayant facilitée ou permise.
Ainsi en cas de dissimulation, l’infraction est réalisée au moment du dépôt de la déclaration mensongère souscrite par le contribuable sans qu’il y ait lieu de faire état de la date à laquelle ont été effectuées les falsifications de pièces comptables ou les manÅ“uvres tendant à justifier l’exactitude de cette déclaration (Cass. crim., 3 novembre 1976, n°76-90581).
De même, en matière de droits d’enregistrement, et dans le cas d’une vente dissimulant en réalité une donation, il a été jugé que le délit est commis lors de la présentation de l’acte à la formalité de l’enregistrement et non à la date d’établissement de l’acte authentique (Cass. crim., 19 mars 1979, n°78-92575).
Une distinction est également opérée s’agissant de la fraude par omission volontaire de déclarations pour laquelle le délit est considéré comme étant commis à la date d’expiration du délai légal fixé pour le dépôt de la déclaration (Cass. crim., 13 décembre 1982, n°8095151 et Cass. crim., 20 février 1989, n°87-90806), alors qu’en cas de dépôt, même hors délai, d’une déclaration minorée, l’infraction est alors jugée comme réalisée à la date de son dépôt (Cass. crim. 27 novembre 2002, n°02-80910).
L’administration fiscale indique dans sa documentation consacrée à la fraude fiscale (BOI-CF-INF-40-10-10-20) que la jurisprudence de la Cour de cassation conduit à distinguer selon qu’une déclaration a été souscrite auquel cas la prescription commence à courir de la date effective du dépôt y compris en cas de déclaration déposée hors délai ; ou selon qu’il y a défaut de déclaration, auquel cas le point de départ de la prescription est uniformément la date d’expiration du délai légal prévu à cet effet.
Il est à espérer que cette analyse résistera aux tentatives de faire échec à des prescriptions acquises dans des situations ou l’administration fiscale viendrait à prendre connaissance tardivement d’éléments l’incitant à revendiquer l’existence d’une fraude fiscale occulte.
L’institution de délais butoirs
Afin d’éviter l’imprescriptibilité de fait des infractions occultes ou dissimulées, la loi a encadré le report du point de départ de la prescription par des délais butoirs de prescription, en édictant qu’en matière d’infraction occulte ou dissimulée, l’action ne pourra plus être engagée plus de 12 ans après les faits en matière délictuelle (et notamment en matière de fraude fiscale) et 30 ans en matière criminelle.
L’article 4 de la loi prévoit cependant que ce dispositif ne peut avoir pour effet de prescrire des infractions qui au moment de son entrée en vigueur avaient valablement donné lieu à la mise en mouvement ou à l’exercice de l’action publique à une date à laquelle en vertu des dispositions législatives applicables et conformément à leur interprétation jurisprudentielle, la prescription n’était pas acquise.
Ainsi des faits de fraude fiscale qui auraient été commis il y a plus de douze ans et seraient poursuivis à la date d’entrée en vigueur de la loi ne pourraient être considérés comme prescrits.
Auteur
Richard Foissac, avocat associé, en fiscalité