Quels recours pour les professionnels de la distribution ayant acquis auprès de leurs fournisseurs des produits défectueux invendables?
Depuis la transposition en 1998 de la directive 85/374/EEC en droit français, la responsabilité des producteurs du fait de leurs produits défectueux fait l’objet d’un régime spécifique désormais prévu aux articles 1245 et suivants du Code civil. Le producteur est ainsi responsable des dommages causés à la personne et aux biens autres que le produit défectueux lui-même par un produit qui ne présente pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre.
La jurisprudence rendue en la matière ces deux dernières années révèle que le champ d’application de ce régime spécifique est en réalité bien plus large qu’il n’y paraît a priori.
En effet, d’une part, si l’article 1245-17 du Code civil laisse penser que la victime d’un dommage dispose d’une option entre ce régime de responsabilité et d’autres régimes tels que celui de la responsabilité contractuelle pour faute ou celui des vices cachés, la jurisprudence européenne1 exige que l’action repose sur un « fondement différent », et la jurisprudence française2 en déduit que la faute contractuelle reprochée doit se distinguer d’un défaut de sécurité. Il est d’ailleurs probable que la solution vaille également pour les vices cachés et empêche donc une victime de se prévaloir de ce régime si elle n’identifie pas un vice caché distinct d’un défaut de sécurité.
D’autre part, les juges ont l’obligation de vérifier, d’office, si le régime issu de la directive est applicable3.
Surtout, si tel est le cas, les juges sont tenus de l’appliquer non seulement à l’égard des consommateurs, mais également dans les rapports entre professionnels : la France a décidé, avec l’assentiment de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)4, d’étendre le champ d’application du régime aux rapports entre professionnels. Et la Cour de cassation a confirmé que ce régime était d’application exclusive, y compris dans les rapports entre professionnels, alors même que ces rapports ne relèvent pas du domaine de la directive et ne sont donc pas soumis à sa portée obligatoire5.
C’est ce point qui suscite quelques interrogations en pratique.
Dès lors que ce régime spécifique de responsabilité est d’application exclusive, sauf à démontrer une faute ou un vice autre qu’un défaut de sécurité, et qu’il exclut toute réparation des dommages causés aux produits défectueux eux-mêmes6, quid du dédommagement du professionnel qui acquiert un stock de produits qu’il ne peut pas revendre parce que défectueux ?
La combinaison des solutions précitées conduit à penser qu’il est possible que le professionnel ne puisse pas engager la responsabilité contractuelle de son cocontractant pour obtenir réparation du préjudice commercial subi, à moins de pouvoir lui imputer une faute distincte du défaut de sécurité des produits acquis.
Si une telle solution n’a pas grande incidence à l’égard des victimes ayant la qualité de consommateur -ceux-ci n’ayant selon toute vraisemblance pas vocation à acquérir de grandes quantités de produits- il en va autrement pour les professionnels.
Raisonner ainsi irait à l’encontre du bon sens et de la bonne marche des affaires et, partant, nuirait à la confiance nécessaire entre cocontractants.
Un remède pourrait consister à considérer que si la réparation des dommages causés aux produits défectueux eux-mêmes est expressément exclue par l’article 1245-1 du Code civil, c’est précisément parce que seul le droit commun de la responsabilité a vocation à s’appliquer.
Une autre option serait d’admettre que l’action repose non pas sur un défaut de sécurité mais sur le caractère inutilisable du bien, de sorte que le fondement serait un manquement à une obligation contractuelle de délivrance, « fondement différent » et « faute distincte du défaut de sécurité » permettant de contourner l’application du régime de responsabilité du fait des produits défectueux.
Si la possibilité de réparation de tels préjudices peut sembler évidente, une confirmation de ce point par la jurisprudence aurait au moins le mérite d’apaiser les craintes constatées en pratique.
Notes
1 CJCE C-183/00 25 avril 2002
2 Com. 26 mai 2010 n°08-18.545 ; Civ. 1re 10 déc. 2014 n°13-14.314
3 Ch. mixte 7 juil. 2017 n°15-25.651
4 CJCE C-285/08 4 juin 2009
5 Civ. 1re 11 juil. 2018 n°17-20.154
6 Article 1245-1 du Code civil ; Civ. 1re 1er juillet 2015 n°14-18.391
Auteurs
Olivier Kuhn, avocat associé, Contentieux & arbitrage
Laura Bourgeois, avocat, Contentieux et Arbitrage