Recours entre constructeurs : prescription et délais
L’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 10 février dernier (CE, 10 février 2017, n°391722, Sté Fayat Bâtiment) fournit l’occasion de revenir sur le fondement juridique du recours entre locateurs d’ouvrage et sur la question de la prescription de cette action.
En l’état actuel de la jurisprudence judiciaire, aucune réponse explicite n’est apportée à la double question du point de départ et de la durée des délais applicables aux recours entre constructeurs. Convient-il de mettre en œuvre la prescription quinquennale de droit commun des articles 2224 du Code civil et L.110-4 du Code de commerce ou faut-il, conformément aux articles 1792-4-2 et 1792-4-3 du Code civil, privilégier le délai décennal courant à compter de la réception des travaux ?
Pour rappel, la Cour de cassation affirme, avec constance, que « les personnes responsables de plein droit en application des articles 1792 et suivants du Code civil, lesquelles ne sont pas subrogées après paiement dans le bénéfice de cette action réservée au maître de l’ouvrage et aux propriétaires successifs de l’ouvrage en vertu des articles précités, ne peuvent agir en garantie ou à titre récursoire contre les autres responsables tenus avec elles, au même titre, que sur le fondement de la responsabilité de droit commun applicable dans leur rapport » (Cass. 3e civ., 8 juin 2011, n°09-69.894, rappelé plus récemment par Cass. 3e civ., 11 septembre 2012, n°11-21.972).
En conséquence, le recours entre locateurs d’ouvrage est de nature contractuelle lorsqu’ils sont contractuellement liés entre eux – c’est l’hypothèse d’un recours contre un sous-traitant ou un fournisseur – et de nature quasi délictuelle lorsqu’ils ne le sont pas (notamment Cass. 3e civ, 15 décembre 1993, n°91-20.130 ; Cass. 3e civ., 15 décembre 2010, n°09-17.119).
Si l’état de la jurisprudence paraît assez clair concernant la nature des recours qui sont susceptibles d’être exercés entre locateurs d’ouvrage, il n’en est rien s’agissant de la prescription applicable à ce type d’action.
C’est encore plus vrai depuis l’entrée en vigueur de la réforme de la prescription par la loi n°2008-561 du 17 juin 2008.
Avant cette réforme, la Cour de cassation a affirmé, sur le fondement de l’ancien article 2270-1 du Code civil, que l’action entre locateurs d’ouvrage étant fondée sur le droit commun de la responsabilité civile, le délai de prescription ne pouvait avoir pour point de départ la date de réception de l’ouvrage (Cass. 3e civ., 8 février 2012, n°11-11.417 et Cass. 3e civ., 11 juillet 2012, n°10-28.535). Cette action « se prescrit par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation » (Cass. 3e civ., 11 septembre 2012, n°11-21.972). A cet égard, il résulte de plusieurs arrêts de la Haute juridiction que la « manifestation du dommage » serait constituée par la mise en cause du constructeur qui justifierait l’exercice d’une action récursoire à l’encontre des autres locateurs d’ouvrage (récemment Cass. 3e civ., 2 juin 2015, n°14-16.823).
Les recours entre constructeurs devraient donc obéir aux délais réservés aux actions en responsabilité civile de droit commun. On remarquera que, dans toutes les décisions qui ont été rendues depuis l’entrée en vigueur du nouveau régime de la prescription, mais pour des affaires soumises au régime antérieur, la Cour de cassation n’a jamais cru devoir revoir sa position. Elle considère, en définitive, que seul le droit commun de la responsabilité civile est applicable et qu’il convient dès lors de retenir un délai de prescription de dix ans et non de forclusion à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation.
Or, avec la réforme de la prescription, le délai de prescription de droit commun prévu par l’ancien article 2270-1 du Code civil de dix ans a été ramené à cinq ans par le nouvel article 2224 dudit code.
La question se pose alors de l’applicabilité de l’article 1792-4-3 du Code civil issu de cette même réforme aux recours entre constructeurs. Ce texte prévoit qu’en « dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux ».
En n’opérant aucune distinction selon la qualité du demandeur assignant les sous-traitants et les constructeurs, les articles 1792-4-2 et 1792-4-3 du Code civil laissent entendre que le délai de dix ans suivant la réception des travaux concerne aussi bien « les actions en responsabilité » initiées par le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, que celles engagées par les constructeurs aux fins de réparation d’un préjudice personnel ou dans le cadre de leurs recours en contribution.
Toutefois, cette analyse n’a pas encore été consacrée par la Haute juridiction.
Or, force est de constater que, dans un arrêt rendu le 10 avril 2012, la cour administrative de Douai a clairement indiqué que « l’appel en garantie exercé par un constructeur contre un autre sur le fondement de la responsabilité quasi délictuelle est régi, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, par l’article 2224 du Code civil et non par l’article 1792-4-3 qui ne concerne que les actions exercées par le maître d’ouvrage ou l’acquéreur » (CAA Douai, 10 avril 2012, n°10DA01686).
Plus encore, dans l’arrêt précité du 10 février 2017, le Conseil d’Etat a précisé que les appels en garantie entre constructeurs ne sont pas régis par l’article 1792-4-3 du Code civil qui ne concerne que les actions exercées par le maître d’ouvrage mais par les dispositions de droit commun de la responsabilité extracontractuelle prévoyant, à l’ancien article 2270-1 du Code civil, un délai de prescription de dix ans à compter de la manifestation du dommage (auquel a succédé en 2008 le délai de cinq ans de l’article 2224 du même code), la manifestation du dommage devant s’entendre comme la date à laquelle le constructeur a reçu au fond communication de la demande présentée par le maître d’ouvrage.
Ces décisions du juge administratif tendent à appliquer le raisonnement suivi par la Cour de cassation avant la réforme de la prescription par la loi du 17 juin 2008. Une clarification de cette dernière s’impose désormais.
Auteur
Charlotte Félizot, avocat en droit des contrats de l’entreprise et droit immobilier