Rachat d’actions : réclamez le trop-perçu !
Une intéressante décision du Conseil constitutionnel modifie le traitement fiscal des rachats de titres et ouvre la possibilité de réclamer pour le passé.
Le traitement fiscal pour l’actionnaire personne physique du gain perçu à l’occasion du rachat de titres par la société émettrice est assez complexe et varie selon le cadre juridique de l’opération de rachat :
- Imposition, en règle générale, suivant le régime des distributions avec une partie pouvant relever du régime des plus-values ;
- Imposition, selon le seul régime fiscal, souvent plus avantageux, des plus-values, dans certaines situations spécifiques, en application du régime dérogatoire prévu à l’article 112, 6° du Code général des impôts (CGI) :
– rachats réalisés en vue d’une attribution aux salariés sur le fondement de l’article 225-208 du Code de commerce ;
– ou dans le cadre d’un plan de rachat d’actions par une société cotée ou non cotée sur le fondement des articles L 225-209 à L 225-212 du même Code.
Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a jugé cette différence de traitement fiscal non justifiée et contraire aux principes d’égalité devant la loi (décision n°2014-400 QPC du 20 juin 2014). Il a ainsi déclaré les dispositions de l’article 112, 6° du CGI contraires à la Constitution. Toutefois, et afin de permettre au législateur d’apprécier les suites à donner à cette déclaration d’inconstitutionnalité, la date d’abrogation de l’article 112, 6° du CGI a été reportée au 1er janvier 2015.
Pour la période antérieure à l’abrogation, le Conseil constitutionnel a énoncé une réserve d’interprétation permettant l’application du régime fiscal le plus avantageux. Ainsi, les associés personnes physiques ayant participé avant le 1er janvier 2014 à un rachat n’entrant pas dans le régime dérogatoire de l’article 112, 6° du CGI, et pour lesquels l’application exclusive du régime des plus-values prévue par ce texte aurait été plus avantageuse disposent d’un droit à réclamation.
Le délai de droit commun de réclamation (qui expire, pour l’impôt sur le revenu, le 31 décembre de la deuxième année suivant le paiement de l’impôt en vertu de l’article R 196-1 du Livre des procédures fiscales) permet de former une réclamation pour les opérations de rachat intervenues à partir de 2011. Ainsi, pour les rachats intervenus en 2011, déclarés et imposés en 2012, le délai court jusqu’au 31 décembre 2014 ; pour les rachats de 2012, le délai court jusqu’au 31 décembre 2015 et pour ceux de 2013 jusqu’au 31 décembre 2016.
Pour les rachats antérieurs à 2011, le point de savoir si la décision du Conseil constitutionnel ré-ouvre à leur profit un nouveau délai de réclamation est délicat, il est probable que la validité d’une telle réclamation ferait l’objet de discussions.
Avant de former réclamation, le contribuable doit déterminer si le régime fiscal des revenus mobiliers qui lui a été appliqué initialement est moins favorable que celui des plus-values. Cette analyse suppose de se replacer l’année du rachat et de comparer les règles d’imposition des plus-values et des dividendes en vigueur à ce moment-là, étant précisé que ces règles ont été modifiées de façon substantielle entre 2010 et 2013.
Le tableau ci-après résume les modalités générales d’imposition depuis 2011 des revenus distribués et des plus-values sur cession de titres et peut aider à déterminer l’opportunité et les incidences financières d’une éventuelle réclamation.
Impôt sur le revenu* | ||
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Année de rachat | Régime fiscal des revenus mobiliers | Régime fiscal des plus-values |
2011 | Barême progressif après abattement proportionnel de 40% et fixe de 1.525 ou 3.050€ | Taux proportionnel de 19% (imposition de la plus-values** sans abattement) |
2012 | Barême progressif après abattement proportionnel de 40% ou Option possible pour prélèvement forfaire libératoire au taux de 21% | Taux proportionnel de 24%*** (imposition de la plus-value** sans abattement) |
2013 | Barème progressif après abattement proportionnel de 40% | Barème progressif après abattement pour durée de détention de**** : - 50% pour une détention entre 2 et 8 ans - 65% pour une détention de plus de 8 ans |
*Pour la comparaison des deux régimes fiscaux, les prélèvements sociaux ne son pas pris en compte étant donné qu’ils s’appliquent au taux de 15,5% aux revenus mobiliers et aux plus-values. A noter tout de même deux différences :
– Au niveau du taux applicable : jusqu’au 1er juillet 2012, le taux des prélèvements sociaux applicable aux revenus mobiliers était de 13,5% au lieu de 15,5% pour les plus-values.
– Au niveau de la déductibilité de la CSG du revenu global soumis à l’IR (article 154 quinquies du CGI) : pour les revenus de 2013, l’imposition comme plus-values entraîne un décalage d’un an de la déduction de la CSG (à hauteur de 5,1%) ce qui peut produire des effets enc as de revenus variables et de changement de tranche d’imposition. Pour les revenus antérieurs à 2013, la taxation progressive des dividendes permettait à la déduction d’une partie de la CSG (5,8% en 2011 et 5,1% en 2012) ce qui n’était pas le cas des dividendes soumis au prélèvement forfaitaire ni aux plus-values qui étaient imposables au taux forfaitaire.
** Différence entre le prix de rachat et le prix d’acquisition ou de souscription des titres
*** Sous réserve de l’application du taux plus favorable de 19% dans certains cas précis
**** Sous réserve de l’application d’abattements majorés prévus dans certains cas précis.
La comparaison pour 2013 est relativement aisée étant donné que les dividendes comme les plus-values ont été assujettis au barème progressif de l’impôt sur le revenu. En principe, le régime des plus-values devrait se révéler plus intéressant si les titres ont été détenus depuis au moins deux ans du fait de l’application d’un abattement pour durée de détention (au minimum 50 %) ou si la cession donnait droit à un régime d’exonération de plus-value.
Pour les années antérieures à 2013, la comparaison est plus complexe car il faut mettre en balance l’imposition en principe progressive des dividendes et l’imposition proportionnelle des plus-values dont le taux a lui-même évolué.
Par ailleurs, dans certaines situations particulières, par exemple, en cas de rachats de titres de sociétés non cotées détenus sur un PEA, on sait que l’exonération d’impôt sur le revenu est limitée à 10% du montant des dividendes perçus, alors que les plus-values de cession sont totalement exonérées (en vertu du 5°bis de l’article 157 du CGI). Ainsi, en cas de rachats de titres de sociétés non cotées sur un PEA ayant dégagé un revenu distribué excédant le seuil d’exonération, le traitement en plus-values permettrait au contribuable de bénéficier d’une exonération totale.
En ce qui concerne les rachats intervenus depuis le 1er janvier 2014, le vote d’une loi de finances au cours de l’année 2014 pourrait venir définir un nouveau régime qui s’appliquerait à tous les rachats intervenus à compter du 1er janvier 2014.
Dans le cas contraire, si la législation fiscale n’est pas modifiée, il résulte de la décision du Conseil constitutionnel que les contribuables venus au rachat en 2014 seront réputés avoir réalisé des plus-values.
Au contraire, pour les rachats à partir de 2015, dans le cas où le législateur ne serait pas intervenu avant le 31 décembre de l’année du rachat, l’abrogation de l’article 112, 6° du CGI décidée par le Conseil constitutionnel serait effective et le traitement fiscal comme plus-value ne trouverait plus à s’appliquer.
Auteurs
Martine Ebrard-Grellety, avocat associée, spécialisée en fiscalité.
Pauline Combes, avocat, Département fiscal.