Quelle qualification juridique (et quels effets) pour le dépôt d’une somme d’argent au stade de l’offre ?
Dans un processus de cession, avant de s’engager, ne serait-ce qu’à consentir une exclusivité de négociation, un cédant souhaitera parfois s’assurer du sérieux du candidat acquéreur qu’il entend retenir. Pour ce faire, il pourra notamment demander la consignation par le candidat considéré d’une somme d’argent dès le stade de l’offre d’acquisition.
Dans l’esprit du cédant, une telle demande sera parfois formulée sans intention de tirer d’autres conséquences que celle d’être rassuré. Dans d’autres cas, les parties entendront donner une qualification juridique particulière à ce dépôt dont la portée est variable. Quelles sont ces qualifications ?
1. Le dédit, «break-up fee» ou «right to exit»
Selon cette première qualification, la somme consignée est considérée comme une indemnité de rupture («break-up fee»), un dédit, ou encore un «right to exit». Une telle qualification emporte, pour le candidat acquéreur, la possibilité d’exécuter son obligation soit par le paiement de l’indemnité en cas de rupture des discussions par le candidat acquéreur, soit par la signature du contrat d’acquisition. Une telle indemnité de dédit n’est en principe pas susceptible d’être révisée par le juge, sauf à être requalifiée en clause pénale (voir infra). En outre, en cas de renonciation à réaliser l’acquisition de la part du candidat acquéreur, il n’existe en principe aucune possibilité pour le cédant d’obtenir une quelconque indemnisation sur le fondement de la responsabilité contractuelle puisque le paiement de l’indemnité est, pour le candidat qui se ravise, l’une des façons d’exécuter pleinement ses obligations.
2. La clause pénale
La deuxième qualification envisageable est celle de clause pénale. «Garantie de l’exécution, sanction de l’inexécution», la clause pénale est le mécanisme par lequel les parties entendent fixer forfaitairement et par avance le montant de l’indemnité dont la partie défaillante devra s’acquitter auprès de son co-contractant à titre de réparation. Elle n’est en principe pas révisable. «Néanmoins, le juge [pourra], même d’office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire» (article 1152 du Code civil ; article 1231-5 du futur Code civil). Pour limiter le risque de modulation par le juge, les parties devront donc avoir préalablement estimé les pertes encourues par le cédant en cas de manquement de l’acquéreur à ses obligations afin de s’assurer que l’écart avec la pénalité envisagée reste mesuré.
3. La rémunération de l’exclusivité ou l’indemnité d’immobilisation
Une troisième qualification consisterait à analyser le dépôt comme la rémunération offerte au cédant pour qu’il cesse toute discussion avec les autres candidats. En contrepartie de ce montant, le cédant s’engage à suspendre le processus de cession avec les tiers et à accorder une période d’exclusivité au candidat retenu. Il n’est plus question ici de sanctionner un manquement contractuel. En pratique, le risque d’une requalification en clause pénale de l’indemnité d’immobilisation (et de modulation par le juge) n’est pas à exclure, surtout dans les hypothèses dans lesquelles le montant de l’indemnité d’immobilisation paraitrait disproportionné en comparaison des pratiques de marché et de la faible durée d’immobilisation du bien considéré.
4. La garantie financière de l’indemnisation
Une quatrième éventualité est de considérer que ce dépôt sert uniquement de garantie financière («cash collateral»), visant à sécuriser les obligations éventuelles d’indemnisation mises à la charge du candidat défaillant. Autrement dit, en cas de manquement du candidat acquéreur à ses obligations, le juge définira le montant des dommages et intérêts et le dépôt sera affecté au paiement de ces dommages intérêts (avec remboursement le cas échéant du trop-versé audit candidat).
Rien n’empêchera les parties de cumuler plusieurs mécanismes, en prenant garde au pouvoir de requalification du juge. Pour ce faire, les parties s’efforceront de préserver une certaine cohérence entre la qualification retenue et la réalité sous-jacente. Cette analyse ne sera pas modifiée pour les contrats conclus à compter du 1er octobre 2016, date à laquelle entreront en vigueur les dispositions de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats.
Auteur
Alexandre Morel, avocat Counsel en Corporate/Fusions & Acquisitions