Quel avenir pour les taux variables ?
Les taux du marché interbancaire servent depuis longtemps de référence aux taux variables de l’ensemble des emprunteurs. Les sociétés et les personnes physiques qui s’endettent à taux variable se voient ainsi appliquer des Interbank Offered Rates (IBORs), tels que l’EURIBOR, le LIBOR ou le TIBOR en fonction de la devise, augmentés d’une marge correspondant au risque de crédit de l’emprunteur.
Les IBORs sont calculés sur la base des déclarations faites par les banques participantes de leur coût moyen de financement non-sécurisé sur le marché interbancaire pour une maturité et une devise données. Du fait de la diminution des financements interbancaires non-sécurisés, ces déclarations sont désormais davantage fondées sur des estimations que sur la constatation d’opérations réelles, diminuant leur pertinence et augmentant les risques, comme l’ont montré les scandales de manipulation du LIBOR et de l’EURIBOR.
Une réglementation stricte des indices de référence et de leurs administrateurs a donc été mise en place. Ainsi, l’ensemble du marché va devoir évoluer des IBORs, qui ont vocation à disparaître (la Financial Conduct Authority a déjà annoncé la fin du LIBOR pour 2021), vers des taux « sans risques » alternatifs, qui n’existent cependant pas encore pour toutes les devises.
Un encadrement strict des indices de référence et de leurs administrateurs
Depuis le 1er janvier 2018, le règlement (UE) 2016/1011 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 concernant les indices utilisés comme indices de référence, dit « Règlement Benchmark », impose des règles de gouvernance et de contrôle aux administrateurs d’indices de référence. Ces administrateurs doivent par ailleurs appliquer une méthodologie « solide et fiable » et « assortie de règles claires établissant les modalités selon lesquelles une appréciation discrétionnaire peut être portée dans la détermination de cet indice et à quel moment elle peut l’être ».
L’administrateur doit également être inscrit dans un nouveau registre tenu par l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), après avoir été enregistré ou agréé, selon que l’indice est considéré comme critique, significatif ou non significatif. A ce titre, l’Annexe au Règlement d’exécution (UE) 2017/2446 du 19 décembre 2017 considère l’EURIBOR, l’EONIA et le LIBOR comme des indices de référence d’importance critique.
Tout émetteur de valeurs mobilières ou de tout autre produit d’investissement fondé sur un indice de référence admis aux négociations sur un marché réglementé est désormais tenu d’insérer dans son prospectus des informations indiquant de manière « claire et bien visible » si l’indice de référence est fourni par un administrateur inscrit dans le registre tenu par l’AEMF.
S’agissant des contributeurs, les données sous-jacentes qu’ils fournissent à l’administrateur doivent être suffisantes pour représenter de manière exacte et fiable le marché ou la réalité économique que l’indice de référence est censé mesurer. Ils doivent en outre adhérer au code de bonne conduite proposé par l’administrateur.
La transition vers des taux sans risque alternatifs
L’adoption de taux sans risque alternatifs pour remplacer les IBORs n’est pas sans poser de difficultés. Ceux qui existent ne sont pas adoptés aussi largement que leurs prédécesseurs et certains IBORs, comme l’EURIBOR, attendent toujours un successeur.
Dans les contrats, force est de constater qu’à ce stade, un certain attentisme demeure et aucune clause de « fall-back » standard ne s’est encore dégagée.
Une première approche consiste à conserver les clauses de fall-back actuelles, bien qu’elles aient surtout eu pour objectif de pallier une suspension temporaire de l’indice plutôt que sa disparition pure et simple.
On voit apparaître d’autres clauses prévoyant, au cas où un indice de référence serait suspendu, de donner à un tiers le pouvoir de déterminer un indice de remplacement qui soit le plus proche possible de l’indice de référence initial, avec l’obligation d’adopter l’indice de référence qui serait alors reconnu par le marché comme étant son successeur, si un tel indice de référence existe. Cette clause présente l’avantage de garantir l’utilisation d’un taux variable jusqu’à la maturité de l’instrument, mais laisse le choix de l’indice de substitution entre les mains d’un tiers, exposant les parties à appliquer un indice dont l’évolution peut s’avérer très différente de celle de l’IBOR initial.
Les autorités concernées ont mis en place différents groupes de travail, notamment au sein de l’Union Européenne, au Royaume-Uni et en Suisse. L’ISDA, l’AFME, l’ICMA et la SIFMA ont conjointement publié le 1er février 2018 une « Roadmap » faisant un état des lieux de la situation et des solutions envisagées. Ces associations professionnelles ont par ailleurs publié le 25 juin 2018 un rapport sur la transition, établi sur la base d’un sondage mené auprès de 150 établissements, qui souligne le travail important qui reste à faire.
En droit français, et même en l’absence de stipulations de fall-back dans le contrat, rappelons que les parties ne seront pas sans solution puisque l’article 1167 du Code civil, issu de la récente réforme du droit des contrats, prévoit que « lorsque le prix ou tout autre élément du contrat doit être déterminé par référence à un indice qui n’existe pas ou a cessé d’exister ou d’être accessible, celui-ci est remplacé par l’indice qui s’en rapproche le plus ».
Il convient de suivre cette transition et de l’anticiper, tant l’importance des taux interbancaires est grande, non seulement pour les banques mais pour l’ensemble des emprunteurs.
Auteurs
Marc-Etienne Sébire, avocat associé, responsable marchés de capitaux
Yaël Fitoussi, avocat, marchés de capitaux