Provisions pour dépréciation des titres de sociétés à prépondérance immobilière : un avis éclairant du Conseil d’Etat
Si les textes sur la prépondérance immobilière d’une société sont clairs lorsqu’il s’agit de déterminer le régime fiscal de la cession de titres de ces sociétés, tel n’était pas le cas en ce qui concerne les provisions sur ces mêmes titres. Le Conseil d’Etat se prononce aujourd’hui sur la date d’appréciation de la prépondérance immobilière en cas de constitution d’une provision par la société détentrice de tels titres.
Plus-values de cession de titres à prépondérance immobilière et provisions sur ces mêmes titres : un traitement clair dans un cas, incertain dans l’autre.
Le régime des plus-values professionnelles à long terme, c’est-à-dire des plus-values de cession de titres de participation et de titres assimilés fiscalement à des titres de participation détenus depuis au moins deux ans, se caractérise par une exonération d’IS sous réserve d’une quote-part de frais et charges fixée à 12 % qui reste incluse dans l’assiette du bénéfice imposable au taux de droit commun.
Sous ce régime, les provisions pour dépréciation de titres ne sont pas fiscalement déductibles, ce qui entraîne leur reprise en franchise d’impôt.
Différentes exceptions existent à ce régime et principalement celle portant sur les cessions de titres à prépondérance immobilière -SPI- (mais également celles portant sur les participations de titres à prépondérance financière) pour lesquels les plus ou moins-values de cession relèvent toujours quelle que soit la durée de détention des titres du régime du court terme. La même règle prévaut pour les provisions pour dépréciation de titres.
Ainsi les provisions pour dépréciation des titres de SPI participent, sous la réserve des règles de l’article 39 1-5-19ème alinéa du CGI, à la détermination du résultat fiscal de droit commun des sociétés actionnaires.
Le régime fiscal des reprises de telles provisions pour dépréciation ne dépend pas du traitement fiscal appliqué lors de leur dotation, mais uniquement de la nature des titres provisionnés lors des reprises.
Compte tenu des conséquences qui s’attachent ainsi à la détention de tels titres, il importe de rappeler leur définition et la date à laquelle il convient d’apprécier la qualification de SPI.
L’article 219 I a sexies O bis du code général des impôts définit ainsi les sociétés à prépondérance immobilière comme celles dont l’actif est, à la date de la cession de ces titres, ou a été, à la clôture du dernier exercice précédant cette cession, constitué pour plus de 50 % de sa valeur réelle par des immeubles, des droits portant sur des immeubles, des droits afférents à un contrat de crédit-bail conclu dans les conditions prévues au 2 de l’article L. 313-7 du code monétaire et financier ou par des titres d’autres sociétés à prépondérance immobilière (n’étant pas pris en considération les immeubles ou les droits mentionnés à la phrase précédente lorsque ces biens ou droits sont affectés par l’entreprise à sa propre exploitation industrielle, commerciale ou agricole ou à l’exercice d’une profession non commerciale)
Le texte ne pose pas débat s’agissant de la date à retenir pour l’appréciation de la prépondérance immobilière pour la question des plus ou moins-values de cession puisqu’il mentionne ainsi soit la date de la cession des titres, soit la clôture de l’exercice précédent l’exercice de cession des titres. En revanche, il n’a pas donné d’indication sur la date à retenir pour appréhender la prépondérance immobilière d’une société en matière de dotation ou de reprise de provisions pour dépréciation.
L’administration fiscale considérait (BOI-IS-BASE-20-20-10-30 à date du 31 décembre 2013) que pour apprécier la prépondérance immobilière d’une filiale dont les titres faisaient l’objet d’une dotation ou d’une reprise au compte de provisions pour dépréciation, il convenait uniquement de se placer à la date de clôture de l’exercice de l’entreprise détenant les titres. Cette position rajoutait indiscutablement à la loi et s’écartait du texte de l’article 219 I a sexies O bis précité. Elle a été sanctionnée par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 14 octobre 2015 (Conseil d’État n° 387249 8ème / 3ème).
Il s’agissait cependant d’une décision rendue dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir (REP) à l’encontre des dispositions contenues dans la documentation administrative. Le Conseil d’Etat s’est ainsi limité à annuler les dispositions contestées de la documentation administrative (paragraphe 70 de l’instruction BOI-IS-BASE-20-20-10-30 du 31 décembre 2013) et sa décision ne faisait pas obligation au ministre de publier une autre disposition.
Dans ces conditions, l’administration a maintenu sa position et le litige qui avait justifié le dépôt du REP a suivi son cours.
Un avis du Conseil d’Etat bienvenu
La cour administrative d’appel de Versailles a ainsi saisi le Conseil d’Etat de la question de savoir comment et, en particulier, à quelle date s’apprécie, pour l’application des dispositions du a sexies-0 bis du I de l’article 219 du code général des impôts, en l’absence de cession des titres, le caractère immobilier prépondérant de la société détenue.
Le Conseil d’Etat dans un avis rendu le 22 novembre 2019 (arrêt n 432053 8ème – 3ème chambres réunies) a émis l’avis que la prépondérance immobilière d’une société dont les titres doivent être provisionnés doit être appréciée soit à la clôture de son dernier exercice précédant la constitution de cette provision, soit à la date à laquelle cette dernière est constituée, c’est-à-dire à la date de clôture de l’exercice de la société qui détient ses titres.
On notera que si le Conseil d’Etat a retenu de la même façon que l’administration fiscale la date de clôture de l’exercice de la société qui détient les titres, elle a maintenu la date de clôture du dernier exercice de la société dont les titres sont provisionnés.
On pourrait ainsi considérer que le Conseil d‘Etat a mis fin à toute discussion sur la question de la date de prise en compte de la prépondérance immobilière d’une filiale dont les titres doivent être provisionnés.
Des interrogations demeurent néanmoins
Il reste néanmoins quelques interrogations.
Tout d’abord, l’avis du Conseil d’Etat ne mentionne pas le cas des reprises de provisions alors même que la nature des titres conditionne le régime fiscal de la reprise. En effet le produit de reprise d’une provision pour dépréciation de titres SPI contribue à la détermination du résultat imposable au taux de droit commun de la société qui procède à la reprise.
Tout porte à penser que les mêmes règles devraient être retenues dès lors que l’administration fiscale bénéficie d’une situation confortable puisque la position du Conseil d’Etat lui permet de disposer de deux dates au lieu d’une seule pour retenir la prépondérance immobilière de la filiale aux fins de soumettre à l’impôt la reprise de provision.
On peut également s’interroger sur la question de savoir si les règles ainsi fixées posent difficulté en cas d’exercices décalés de la société mère et de sa filiale.
Il apparait que dans tous les cas de figure, l’existence d’exercices décalés réduit la période qui sépare les deux dates retenues par le Conseil d’Etat pour l’appréciation de la prépondérance immobilière de la filiale.
Ce n’est en réalité que dans la seule situation où la société mère ou sa filiale commencerait son activité et pourrait ainsi avoir une durée de premier exercice supérieur à douze mois que la période séparant les deux dates serait alors plus longue.
On notera enfin l’intérêt d’avoir des règles identiques pour apprécier la prépondérance immobilière d’une société au regard, d’une part, des dispositions de l’article 39 I -5 alinéa 19 du CGI qui prévoient pour les exercices ouverts depuis le 1er janvier 2007, un régime de plafonnement des provisions pour dépréciation des titres de participation de sociétés à prépondérance immobilière en fonction des plus-values latentes existantes sur ces mêmes titres, d’autre part, des dispositions de l’article 223 B du CGI qui en matière d’intégration fiscale prévoient que le résultat d’ensemble est notamment majoré du montant des dotations complémentaires aux provisions constituées par une société après son entrée dans le groupe, à raison des titres détenus dans d’autres sociétés du groupe et exclus du régime des plus-values ou moins-values à long terme conformément à l’article 219 ou des risques qu’elle encourt du fait de telles sociétés, définition qui vise notamment les sociétés SPI.
Auteurs
Richard Foissac, avocat associé, droit fiscal
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