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Prise d’acte : poursuite du durcissement contre les départs opportunistes

Afin de mettre un terme à la multiplication du contentieux de la prise d’acte de rupture du salarié aux torts de l’employeur, la Cour de cassation a été contrainte de restreindre les conditions d’admission de la prise d’acte.


Une définition plus stricte des conditions s’avérait en effet indispensable pour dissuader les salariés de prendre prétexte du moindre manquement de l’employeur dans l’exécution du contrat afin de se libérer de leurs engagements contractuels à effet immédiat et d’essayer de bénéficier d’une sortie dans des conditions financières avantageuses.

La révision des conditions d’admission se justifiait d’autant plus que des conséquences indemnitaires particulièrement lourdes pèsent sur l’employeur lorsque la prise d’acte s’analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et surtout concerne des salariés ayant une forte ancienneté.

L’évolution jurisprudentielle a été amorcée par les arrêts rendus le 26 mars 2014, soit plus de dix ans après la reconnaissance de la prise d’acte comme mode autonome de rupture (Céline Renault-Cossoul, «La prise d’acte : une rupture aux risques et périls du salarié», Les Echos, 16/04/2014).

Antérieurement, la prise d’acte était subordonnée à des manquements suffisamment graves de l’employeur.

Désormais, les manquements allégués par le salarié doivent être de nature à empêcher la poursuite de son contrat de travail.

Aussi, le manquement de l’employeur doit être d’une gravité telle qu’il oblige le salarié à une cessation immédiate des relations contractuelles et irréversible.

Cette condition tenant à l’impossibilité de poursuivre le contrat entraîne une évolution jurisprudentielle sur l’appréciation des manquements, comme le démontrent les arrêts rendus le 12 juin 2014 par la chambre sociale de la Cour de cassation.

Bien que ces arrêts aient été rendus à propos de l’appréciation de la gravité du manquement de l’employeur invoqué par le salarié au soutien de sa demande de résiliation judiciaire, cette jurisprudence est transposable à la prise d’acte de rupture.

Ces arrêts méritent une attention particulière car les demandes de résiliation judiciaire sont fondées sur une modification unilatérale de la rémunération des salariés.

Des arrêts antérieurs laissaient entendre que toute modification de la rémunération sans l’accord du salarié, fut-elle mineure, justifiait une prise d’acte ou une demande de résiliation judiciaire aux torts de l’employeur.

Sans pour autant autoriser les modifications unilatérales du contrat de travail, la Cour de cassation vient tempérer la rigueur de la règle rappelée ci-dessus dans le cadre particulier de la prise d’acte ou de la résiliation judiciaire.

Dans la première espèce, l’employeur avait proposé au salarié une nouvelle grille de taux de commissions qu’il avait refusée. Quelques années plus tard, ce dernier avait sollicité une résiliation judiciaire de son contrat au motif qu’il n’avait pas donné son accord sur ce changement de mode de rémunération qui constitue un élément du contrat de travail.

Le fait que le salarié ait continué son activité et qu’en outre la modification appliquée n’avait pas eu d’incidence défavorable sur le montant de la rémunération démontraient que la modification n’était pas de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

Dans l’autre espèce, les circonstances étaient similaires. Une baisse du taux de commission avait été appliquée unilatéralement plusieurs années auparavant. Dès lors que la modification unilatérale du contrat représentait une partie accessoire de la rémunération, la Cour de cassation a considéré que ce manquement n’empêchait pas la poursuite du contrat.

Il résulte de cette jurisprudence qu’une distinction doit être opérée entre la modification elle-même et ses conséquences sur la poursuite de la relation contractuelle.

Il convient d’espérer que ce durcissement des conditions d’admission de la prise d’acte se poursuivra et que la Cour de cassation procèdera à un contrôle strict de l’application du nouveau critère.

Aussi, la Cour devra prendre en considération comme indice démontrant l’absence de gravité le fait que le salarié propose ou demande à effectuer un préavis craignant la plupart du temps que le juge qualifie la prise d’acte de rupture de démission.

De même, la Cour devra exiger de façon plus systématique une mise en demeure préalable comportant l’ensemble des griefs de telle sorte que les prises d’acte soient cantonnées à des situations où un employeur s’obstine à ne pas remédier à des manquements graves.

Enfin, s’agissant des salariés protégés, on peut espérer également que la Cour de cassation daignera réviser sa jurisprudence selon laquelle la prise d’acte de rupture d’un salarié protégé produit les effets d’un licenciement nul pour violation du statut protecteur et qu’elle applique les mêmes règles que pour n’importe quel salarié, l’employeur n’ayant pas cherché à évincer le salarié protégé.

 

Auteur

Nicolas Callies, avocat associé en droit social

 

Article paru dans Les Echos Business du 4 août 2014

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