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Le principe d’égalité devant la Commission de la transparence : les enseignements de l’actualité récente

Lorsque la commission de la transparence (CT) évalue le service médical rendu (SMR) par une spécialité, elle doit le faire dans le respect du principe d’égalité entre les concurrents relevant d’une même classe, rappelle le Conseil d’Etat dans une série d’ordonnances en référé intervenues au cours de l’été.

Affaires réglementaires et droit de la concurrence

Conseil d’Etat, Juge des Référés, 11 juillet 2013, Laboratoires EXPANSCIENCE, 25 juillet 2013, Laboratoire GENEVRIER, 7 août 2013, Laboratoires NEGMA

L’arrêté ministériel du 31 mai 2013, publié au Journal officiel du 4 juin, a prononcé la radiation, à compter du 15 juillet 2013, de la liste des médicaments remboursables aux assurés sociaux de 21 spécialités – 4 princeps et 17 génériques de deux d’entre eux – appartenant à la classe des anti-arthrosiques symptomatiques d’action lente (« les AASAL »).

Par trois décisions rendues au fil de l’été (11 juillet 2013, LABORATOIRES EXPANSCIENCE, req. 369560 ; 25 juillet 2013, LABORATOIRES GENEVRIER, req. 370266 ; 7 août 2013, LABORATOIRES NEGMA, req. 370491), le Conseil d’Etat, statuant en tant que juge des référés, a prononcé la suspension de l’exécution de l’arrêté, ainsi que celle de l’arrêté correspondant pour la liste « hôpital », pour 3 des 4 spécialités princeps : PIASCLEDINE®, commercialisée par EXPANSCIENCE, CHONDROSULF®, commercialisée par GENEVRIER et ART50®, commercialisée par NEGMA.

Comment s’explique cette situation inédite ? Quels enseignements peut-on tirer de ces décisions ? Quelle est la situation actuelle de la classe au regard de l’admission au remboursement ?

Comment s’expliquent les décisions rendues par le Conseil d’Etat ?
Le Conseil d’Etat a tranché en faveur de l’interprétation défendue par les industriels pour arbitrer un débat d’interprétation des textes relatifs à la CT et à son fonctionnement, débat lui-même directement consécutif à la mise en place des études post-inscription.

Le Conseil d’Etat tranche ainsi une question inédite.

Reprenons les faits.

En 2008, la CT a procédé à une réévaluation du SMR par les spécialités relevant de la classe des AASAL, comme l’article R 163-21 du code la sécurité sociale (« CSS ») lui en offre la possibilité. A cette date, les spécialités de la classe admises au remboursement étaient au nombre de cinq, à savoir PIASCLEDINE®, CHONDROSULF® et ART50®, déjà citées, ainsi que ZONDAR®, commercialisée par PHARMA 2000, et STRUCTUM®, commercialisée par PIERRE FABRE MEDICAMENT.

Le SMR des quatre premières spécialités nommées a été jugé faible, cependant que celui de STRUCTUM® était qualifié d’insuffisant. En conséquence, la CT a émis un avis favorable au maintien de l’inscription au remboursement des quatre spécialités dont le SMR était qualifié de faible. Elle a toutefois subordonné cet avis à la réalisation d’une étude observationnelle ayant pour objet de mesurer l’impact de la consommation des AASAL sur les prescriptions de spécialités voisines, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (« AINS »).

Sur cette base, les quatre spécialités concernées par l’étude demandée par la CT ont été maintenues au remboursement au taux de 15%. STRUCTUM®, dont le SMR a été qualifié d’insuffisant, n’a pas été inclus dans le champ de l’étude et celui-ci a été déremboursé au 1er décembre 2011.

Par quatre avis rendus le 9 janvier 2013, la CT a, au vu des résultats de l’étude demandée en 2008 qu’elle a estimés non concluants, qualifié d’insuffisant le SMR de chacune des quatre spécialités concernées par l’étude. Elle a, en conséquence, pour chacune de ces quatre spécialités, émis un avis défavorable au maintien de l’inscription sur la liste. Ces avis, suivis par les ministres, sont à l’origine des arrêtés de déremboursement du 31 mai, contestés par les industriels concernés.

Apparemment, la démarche suivie par la CT paraît logique et irréprochable. Comment s’expliquent donc les trois décisions du Conseil d’Etat ?

Ces décisions s’expliquent par une divergence d’interprétation avec celle retenue par l’administration quant aux conséquences à tirer du fait des modifications survenues dans la composition de la classe entre 2008, date à laquelle l’étude post-inscription a été ordonnée par la CT, et 2013, date à laquelle celle-ci a procédé à la réévaluation du SMR des spécialités en cause au vu des résultats de l’étude, devenus disponibles.

A partir de 2010 en effet, de nouvelles spécialités, à base de glucosamine, et qui appartiennent à la même classe thérapeutique que les quatre spécialités composant historiquement la classe et auxquelles l’étude avait été demandée, sont apparues sur le marché et ont été inscrites au remboursement. Ces spécialités sont elles-mêmes au nombre de cinq. Il s’agit de FLEXEA® (LABORATOIRES EXPANSCIENCE), DOLENIO® (BIOCODEX), VOLTAFLEX® (NOVARTIS), STRUCTOFLEX® (PIERRE FABRE MEDICAMENT) et OSAFLEXAN®(ROTTAPHARM), toutes à base de glucosamine.

Une étude du même type a été demandée par la CT à ces « nouveaux entrants » lorsque celle-ci a rendu son avis sur la primo-inscription de ces spécialités au remboursement. Bien évidemment, les résultats de cette étude n’étaient pas encore disponibles à la date à laquelle les résultats de l’étude antérieurement demandée aux opérateurs « historiques » ont été remis à la CT. Celle-ci a alors rendu son avis au vu des seuls résultats de l’étude initiale, en différant à une date ultérieure, celle à laquelle les résultats de l’étude demandée aux « nouveaux entrants » seraient à leur tour disponibles, la réévaluation du SMR de ces « nouveaux entrants ».

C’est cette solution que vient censurer le Conseil d’Etat.

Quels enseignements tirés des décisions du Conseil d’Etat ?

Pour ordonner la suspension de l’arrêté de radiation, le Conseil d’Etat s’est notamment appuyé sur le fait que les moyens de droit articulés par les laboratoires et tirés de la violation des article R 163-6, R 163-18 et R 163-21 du CSS, combinés avec le moyen tiré de la rupture d’égalité, étaient de nature à faire naître « un doute sérieux » quant à la légalité de l’arrêté de radiation du 31 mai 2013.

Le 2°) de l’article R 163-18 du CSS prévoit que la CT effectue « une comparaison du médicament, en termes de service médical rendu, avec ceux de la classe pharmaco-thérapeutique de référence ». Cet article pose donc le principe selon lequel le SMR d’une spécialité s’apprécie par référence aux spécialités de la classe à laquelle appartient cette spécialité. Ce principe est ensuite décliné par les textes dans les deux principales hypothèses dans lesquelles la CT a à statuer. En effet, d’une part, en cas de demande de renouvellement d’inscription, le IV de l’article R 163-6 prévoit que « lorsque la CT propose de ne pas renouveler l’inscription ou propose de modifier le niveau de la participation de l’assuré, elle donne également un avis sur les médicaments appartenant à la même classe pharmaco-thérapeutique que le médicament dont le renouvellement de l’inscription est sollicité », cependant que, d’autre part, l’article R 163-21 de son côté prévoit que la CT « peut réévaluer le SMR des médicaments par classe pharmaco thérapeutique ou à même visée thérapeutique ».

Ces trois articles complètent ainsi le I de l’article R 163-3 qui, quant à lui, précise et énumère les critères – au nombre de six – à prendre en compte pour apprécier le SMR d’une spécialité donnée. Leur lecture combinée montre qu’ils posent un même principe méthodologique : l’appréciation du SMR d’une spécialité donnée comporte simultanément une dimension objective – la CT se prononce sur le SMR d’une spécialité nommément désignée – et une dimension subjective : dans tous les cas, l’appréciation doit être faite par référence aux autres spécialités de la même classe.

En l’espèce, l’évaluation du SMR dans sa dimension objective n’est pas en cause : les industriels concernés n’ont pas discuté le niveau « insuffisant » du SMR attribué par la CT à leur spécialité respective. C’est donc la dimension « subjective » de cette appréciation qui est seule en cause.

En effet, l’absence d’évaluation du SMR d’une spécialité donnée par référence aux autres spécialités de la classe à laquelle appartient cette spécialité se traduit mécaniquement par une rupture de l’égalité de traitement entre les industriels de la classe concernée, ce que les décisions du Conseil d’Etat viennent rappeler.

Dans une hypothèse telle que celle en cause, dans laquelle le périmètre de la classe a évolué pour s’élargir entre la date à laquelle l’étude post-inscription a été demandée et la date à laquelle les résultats de cette étude sont disponibles, la CT, loin de pouvoir disjoindre l’examen des résultats de chacun des deux groupes d’industriels à qui une étude similaire a bien été demandée, se devait, au contraire, de suspendre l’examen de ces résultats ou l’avis à formuler au vu de ces résultats jusqu’à ce que les résultats des études commandées à la totalité des industriels de la classe, y inclus ceux qui commercialisent des AASAL à base de glucosamine, seraient disponibles.

Toute autre interprétation aboutit à méconnaître le principe de l’égalité de traitement entre les opérateurs, garanti par les dispositions réglementaires précédemment rappelées. La solution retenue par l’administration aboutit en effet à évincer les concurrents dont les spécialités sont déremboursées, au profit des seuls opérateurs de la classe dont les spécialités sont encore maintenues au remboursement. Appartenant à la même classe pharmaco-thérapeutique, les différentes spécialités sont en effet présumées être en principe substituables entre elles, de sorte que la radiation d’une partie de la classe devrait logiquement se traduire par un report de prescriptions en faveur des spécialités de la même classe encore inscrites. Au final, c’est donc l’impact anticoncurrentiel de la décision administrative qui est sanctionné, ce que confirme la rédaction retenue par le Conseil d’Etat qui reprend intégralement le considérant de principe dégagé dans un arrêt GLAXOSMITHKLINE du 11 juin 2007 qui, au nom de l’impact anticoncurrentiel de la mesure, avait annulé une décision du président du comité économique des produits de santé refusant de placer sous Tarif forfaitaire de responsabilité (« TFR ») le groupe générique des amoxicillines (Conseil d’Etat, 11 juin 2007, LABORATOIRE GLAXO SMITHKLINE, req. 290969, mentionné aux tables du recueil).

C’est donc cette question – entièrement nouvelle de l’attitude qui doit être celle de la CT en cas d’évolution du périmètre d’une classe et directement liée à la mise en place des études post-inscription – que viennent trancher les décisions commentées. On comprend mieux ainsi le sens des décisions du juge des référés du Conseil d’Etat qui ne s’est pas borné à retenir la rédaction habituelle selon laquelle l’exécution de la décision administrative dont la suspension est ordonnée est suspendue jusqu’à ce que le Conseil d’Etat statue sur le fond, mais a, dans chacune des trois décisions, ordonné la suspension de l’exécution des arrêtés ministériels «jusqu’à la date d’effet de la décision des ministres concernant les AASAL à base de glucosamine ».

Quelle est aujourd’hui la situation de la classe des AASAL au regard de l’inscription au remboursement ?

La situation est pour le moins confuse et, à certains égards, paradoxale.

Un premier groupe de spécialités est constitué des « nouveaux entrants » : il s’agit des cinq spécialités à base de glucosamine, non concernées par l’arrêté du 31 mai. Ces spécialités sont actuellement prises en charge au taux de 15%. Elles devraient prochainement être réévaluées par la CT, dès que les résultats de l’étude qui leur a été demandée seront à leur tour disponibles. A l’issue de cette réévaluation, soit le SMR de ces spécialités sera qualifié de faible et elles seront maintenues au remboursement, aux conditions actuelles, soit le SMR sera qualifié d’insuffisant et elles seront probablement radiées de la liste des spécialités remboursables. Compte tenu du dispositif retenu par les décisions du Conseil d’Etat tel que rappelé ci-dessus, cette radiation devra nécessairement prendre effet à la même date que celle des spécialités concernées par l’arrêté du 31 mai.

Parmi les 21 spécialités qui font l’objet de l’arrêté du 31 mai, plusieurs cas de figure doivent être distingués :

  • ZONDAR® qui n’est pas concernée par les décisions commentées, est déremboursée depuis le 15 juillet
  • Les trois spécialités PIASCLEDINE®, CHONDROSULF® et ART50® ont été rétablies au remboursement aux conditions en vigueur jusqu’au 15 juillet 2013, chacune en exécution de la décision du Conseil d’Etat la concernant ; cette situation va perdurer soit jusqu’à l’intervention de la décision du Conseil d’Etat statuant sur le fond et qui, logiquement, devrait annuler l’arrêté de radiation, en sorte que la situation actuelle de ces spécialités demeurera inchangée, soit jusqu’à la date d’effet de l’arrêté ministériel prononçant la radiation des spécialités de la classe des AASAL à base de glucosamine, si un tel arrêté devait, dans les conditions exposées ci-dessus, intervenir antérieurement à la décision du Conseil d’Etat statuant sur le fond.
  • Enfin, les 17 spécialités génériques de ZONDAR® et ART50®, non concernées par la décision du Conseil d’Etat intéressant cette dernière spécialité, sont radiées du remboursement depuis le 15 juillet.

Situation pour le moins originale et paradoxale donc, dans laquelle la conséquence de l’erreur commise par l’administration dans l’interprétation des dispositions réglementaires applicables et censurée par le Conseil d’Etat aura été de conduire, pour l’essentiel, au déremboursement immédiat des seuls génériques !

 

A propos des auteurs

Bernard Geneste, avocat associé spécialisé en droit de la santé, droit de l’Union européenne et droit public, contentieux administratif et communautaire. Sa longue pratique des administrations françaises comme sa maîtrise du droit communautaire expliquent qu’il ait, en sa qualité d’avocat, développé plus particulièrement son activité dans le secteur des produits de santé où il intervient tant en qualité de conseil qu’au contentieux sur l’ensemble des questions touchant aux relations entre les opérateurs du système de soins et les autorités administratives.

Saliha Rhaimoura, juriste Senior en droit de la santé, droit de l’Union européenne, droit public, contentieux administratif et communautaire.

 

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