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Précisions récentes sur la portée de l’obligation de sécurité de l’employeur dans un contexte de harcèlement

Précisions récentes sur la portée de l’obligation de sécurité de l’employeur dans un contexte de harcèlement

Longtemps, l’obligation de sécurité mise à la charge des employeurs a été une obligation de résultat.

 

Décourageante pour l’employeur puisque, quoi qu’il fasse, quelque dispositif de prévention qu’il cherche à mettre en place, il était systématiquement et nécessairement responsable.

 

Depuis l’arrêt « Air France » du 25 novembre 2015 (n°14-24.444), cette obligation de veiller à la santé et la sécurité de ses salariés est désormais une obligation de prévention des risques, ce qui permet à l’employeur de s’exonérer de sa responsabilité à condition d’être en mesure de justifier avoir pris toutes les mesures légales afférentes à la prévention des risques.

 

Plusieurs décisions récentes offrent l’occasion de faire un point sur la dimension préventive de cette obligation de sécurité de l’employeur dans un contexte de harcèlement moral ou sexuel.

 

En cas de signalement d’agissements susceptibles de caractériser une situation de harcèlement, comment l’employeur doit-il réagir ? Doit-il avoir pris des mesures en amont ? En cas d’agissements avérés, quelle est la sanction adaptée ?

 

Le double volet traditionnel de l’obligation de sécurité en matière de harcèlement : en prévention et en réaction

 

Par un arrêt du 1er juin 2016 (1), la Cour de cassation a posé le principe selon lequel « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser ».

 

Dans cette affaire, la Cour d’appel avait débouté le salarié de sa demande de résiliation judiciaire, pour cause de harcèlement moral, en relevant que l’entreprise avait :

 

⇒ modifié son règlement intérieur pour y insérer une procédure d’alerte en matière de harcèlement moral ;

⇒ immédiatement mis en œuvre une enquête interne sur la réalité des faits allégués dès qu’il en avait eu connaissance ;

⇒ et organisé une réunion de médiation, notamment avec le médecin du travail.

 

La Haute Juridiction a cassé cette décision en relevant, après examen du raisonnement retenu par la cour d’appel qu’il ne résultait pas de ses constatations « que l’employeur avait pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail et, notamment, avait mis en Å“uvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral ».

 

En matière de harcèlement, la prévention des risques professionnels doit donc se concevoir :

 

    • non seulement en aval ;
    • mais également en amont de la réalisation du risque ;
    • et une attention particulière est portée dans ce cadre aux actions d’information et de formation.

 

En application des articles précités du Code du travail, rappelons que l’employeur est également tenu à une obligation d’évaluation des risques professionnels et de planification de leur prévention, ainsi qu’à la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

 

Plus récemment, la Cour de cassation a semblé accorder un poids de plus en plus important aux mesures prises a posteriori, de nature à faire cesser le risque.

 

Une importance manifestement croissante accordée aux mesures prises par l’employeur en aval de la survenance du risque

 

En 2022, dans une affaire où une salariée avait saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail en invoquant des faits de harcèlement moral et l’inertie de son employeur en matière de prévention des risques, la Cour de cassation (2) reprenant l’attendu de principe posé en 2016, rejette le pourvoi de la salariée en relevant que :

 

⇒ la salariée avait été reçue, le jour même, par l’employeur qui lui avait proposé un changement de secteur ;

⇒ dans les jours suivants, elle avait été également reçue par la direction des ressources humaines ;

⇒ et qu’une enquête avait été menée avec le CHSCT.

 

 

Sur le plan des principes, cet arrêt se situe dans la droite ligne des décisions antérieures.

 

Cependant, dans les faits, la salariée invoquait « une absence totale de prévention des risques au sein de l’entreprise » et s’appuyait, notamment, sur le refus par l’employeur de produire le document unique d’évaluation des risques (DUER) ainsi que sur l’absence de formation appropriée des cadres de l’entreprise ; arguments qui, toutefois, ne semblent pas avoir été pris en compte.

 

Cette décision est à rapprocher d’un arrêt rendu en début d’année (3), cette fois en matière de harcèlement sexuel : en l’espèce, une salariée engagée comme ambulancière avait saisi la juridiction prud’homale aux fins de contester son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement en soutenant avoir fait l’objet d’un harcèlement sexuel de la part d’un collègue également ambulancier.

 

Dans cette affaire, le Conseil de prud’hommes avait débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts au titre de la violation par l’employeur de son obligation de sécurité. Toutefois, en appel, l’employeur n’avait pas comparu et les magistrats avaient retenu qu’il n’apportait aucun élément de nature à justifier qu’il avait pris des mesures pour faire cesser la situation de harcèlement sexuel.

 

La Cour de cassation a censuré la Cour d’appel en considérant que l’absence de comparution de l’employeur ne dispensait pas la juridiction « d’examiner la pertinence des motifs par lesquels le premier juge s’est déterminé pour juger que l’employeur avait satisfait à son obligation de prévention ».

 

Le Conseil de prud’hommes avait, pour sa part, retenu que la société avait bien mis en œuvre « tout ce qui était en son pouvoir pour respecter son obligation de sécurité » et, en particulier, avait, dès l’information sur les faits allégués de harcèlement sexuel, cessé de faire circuler la salariée dans la même voiture que son collègue et avait en parallèle informé l’inspection du travail.

 

Est-ce à dire que la Cour de cassation n’exigerait plus la mise en œuvre de mesures de prévention en amont du risque pour permettre à l’employeur de s’exonérer de sa responsabilité ? Nous ne le pensons pas. Il nous apparaît plus que jamais nécessaire pour les entreprises de rester vigilantes à leur politique de prévention des risques.

 

Cependant, la réaction de l’employeur face à un signalement de harcèlement, moral ou sexuel, est primordiale.

 

Nécessité de prendre des mesures immédiates, propres à faire cesser la situation de harcèlement…

 

Les deux arrêts récents précités s’intéressent plus particulièrement aux mesures prises par les employeurs en aval de l’information sur un potentiel cas de harcèlement.

 

Ils confirment tout d’abord que, lorsque les entreprises sont confrontées à de telles accusations, elles doivent réagir rapidement.

 

Les mesures à mettre en œuvre doivent permettre de faire cesser la situation de harcèlement dénoncée. En toute logique, seront donc privilégiées celles qui permettent de séparer temporairement la potentielle victime du salarié accusé de harcèlement, au moins pendant le temps de conduire l’enquête sur les faits dénoncés.

 

Dans les arrêts précités, la Cour de cassation a ainsi relevé :

 

♦ dans le premier cas, qu’il avait été proposé immédiatement à la salariée de changer de secteur, ce qui devait lui permettre de ne plus être en contact direct avec sa supérieure hiérarchique ;

 

♦ et, dans le second, que la société avait modifié les affectations de façon à ce que la salariée ne circule plus dans le même véhicule que celui de son collègue mis en cause.

 

Les mesures conservatoires, de nature à protéger la victime, doivent, autant que possible, respecter l’impartialité et la discrétion nécessaires au stade de simples accusations et ne pas pénaliser outre-mesure le salarié accusé.

 

Ainsi, lorsque la victime ne se trouve pas déjà en arrêt de travail, il peut être recouru à un changement d’affectation ou de co-équipier, comme dans les arrêts précités, voire au télétravail. Cela étant, pour les situations dans lesquelles ces mesures seraient insuffisantes ou impossibles à mettre en œuvre, une dispense d’activité rémunérée du mis en cause pourra être envisagée et, dans des cas extrêmes, une mise à pied conservatoire.

 

… qui doivent être associées à la réalisation d’une enquête interne

 

Ces mesures conservatoires doivent être adoptées dans l’attente de faire la lumière sur les faits allégués au moyen d’une enquête interne.

 

S’il n’existe pas, sauf dans des cas bien précis (4), de fondement légal à la réalisation d’une telle enquête interne, celle-ci est néanmoins pratiquement incontournable en cas de signalement de harcèlement.

 

En effet, la Cour de cassation a jugé que l’absence de réaction de l’employeur à un signalement peut caractériser un manquement à son obligation de prévention des risques et ce, même si les faits de harcèlement ne sont pas établis (Cass. soc., 23 nov. 2022, n°21-18.951).

 

Dans le sillage de cette solution, la Cour d’appel de Lyon a récemment jugé que l’employeur saisi d’une « dénonciation de harcèlement moral avait l’obligation de diligenter une enquête interne, laquelle n’est qu’une conséquence de l’obligation de sécurité à laquelle il est tenu envers tous les salariés »(5).

 

Cependant, selon les circonstances de fait, l’enquête pourra être :

 

    • plus ou moins étendue ;
    • menée unilatéralement par la Direction ou de manière paritaire avec les représentants du personnels, voire réalisée par un prestataire extérieur.

 

Hormis les cas où la loi prévoit une procédure bien précise, l’employeur reste maître du choix des modalités de cette enquête. La jurisprudence ne fixe, à cet égard, aucun formalisme.

 

Néanmoins, la lecture de décisions récentes (6) met en évidence l’importance de respecter une méthodologie, notamment s’agissant de la rédaction des comptes-rendus d’audition.

 

Ainsi, les Cours d’appel de Colmar et de Nancy ont chacune écarté les comptes-rendus d’audition de salariés réalisés dans le cadre d’une enquête, en relevant :

 

♦ pour la première, que les comptes-rendus ne reprenaient pas le déroulement in extenso des entretiens mais se présentaient sous forme de listes des différents éléments apportés par chaque salarié ;

 

♦ et, pour la seconde, qu’il n’était versé aucun élément sur les conditions dans lesquelles ces auditions avaient été conduites et que la salariée produisait une attestation d’une personne auditionnée soulignant que les réponses aux questions consignées par l’employeur ne correspondaient pas exactement à ses déclarations.

 

Ainsi, la jurisprudence récente de la Cour de cassation confirme la possibilité pour l’employeur de s’exonérer de sa responsabilité, en matière d’obligation de sécurité, en cas de dénonciation de faits de harcèlement moral ou sexuel commis à l’encontre de l’un de ses salariés, tout en soulignant également l’importance, pour les entreprises, de réagir rapidement et de façon adéquate à de telles accusations.

 

AUTEURS

Aurore Friedlander, Avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats

Marie Leclerc, Avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats

 

(1) Cass. soc. 1er juin 2016, n°14-19.702
(2) Cass. soc. 7 décembre 2022, n°21-18.114
(3) Cass. soc. 18 janvier 2023, n°21-23.796
(4) En cas de mise en œuvre d’un droit d’alerte, d’une procédure de danger grave et imminent, ou en cas de signalement par un lanceur d’alerte.
(5) CA Lyon 6 octobre 2023, n°20/03465
(6) CA Colmar 12 septembre 2023, n°21/04313, CA Nancy 14 septembre 2023, n°22/01464

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