Pratiques anticoncurrentielles : quel montant d’amende en cas de reprise de la société contrevenante en cours d’infraction ?
Que ce soit en droit de l’Union européenne ou en droit français, l’amende encourue par une entreprise ayant participé à une pratique anticoncurrentielle ne peut pas dépasser un certain plafond fixé à 10% de son chiffre d’affaires et doit être individualisée en tenant notamment compte de la taille et du chiffre d’affaires du groupe auquel appartient l’entité contrevenante.
La CJUE vient de se prononcer sur l’assiette de détermination de ce plafond lorsque l’entité juridique ayant participé à l’entente passe, au cours de la durée de l’infraction, sous le contrôle d’une autre entreprise (Arrêt du 4/10/2014, aff. C-408/12 P).
En l’espèce, une société avait été acquise par un groupe alors qu’elle participait à une entente. Classiquement, la Commission avait considéré que la société mère du groupe repreneur devait être tenue solidairement responsable pour la période postérieure à l’acquisition, tandis que la filiale était seule responsable de l’infraction pour la période antérieure. Cependant, pour déterminer le plafond de 10% de l’amende la Commission avait pris pour base, de manière uniforme sur toute la durée de l’infraction, le chiffre d’affaires consolidé réalisé par le groupe repreneur au cours de l’exercice social ayant précédé la décision de sanction.
Cette approche a été censurée par la CJUE au motif que la notion d’ «entreprise participant à l’infraction» ne peut pas être interprétée de manière différente selon qu’il s’agit d’imputer l’infraction ou d’appliquer le plafond de 10%. Aussi, dès lors que la responsabilité exclusive de la filiale est retenue pour la période antérieure à son rachat, le plafond de 10% de l’amende encourue au titre de cette période ne peut être calculé que sur la seule base de son chiffre d’affaires.
En revanche, la CJUE n’a pas adopté la même approche s’agissant de l’individualisation de la sanction encourue. Elle a ainsi approuvé la Commission pour avoir pris en compte la taille et le chiffre d’affaires du groupe au cours de l’année ayant précédé sa décision de sanction aux fins de la fixation d’un multiplicateur de dissuasion pour la totalité de la période d’infraction.
Selon la CJUE, peu importe à ce stade que la société-mère ne soit pas tenue pour solidairement responsable de l’infraction commise par la filiale avant son acquisition. En effet, si le plafond de 10% vise à adapter le montant de l’amende infligée à la capacité économique de l’entreprise responsable de l’infraction, la recherche d’un effet dissuasif de la sanction vise quant à elle «à discipliner», pour l’avenir, le comportement de l’entité économique destinataire de la décision de sanction de la Commission. Elle en conclut que cet effet de dissuasion doit viser l’entreprise concernée dans l’état où elle se trouve au moment où cette décision intervient. La filiale n’existant plus comme entité économique indépendante à cette date, la recherche de l’effet dissuasif de l’amende doit nécessairement se référer à la taille du groupe auquel elle appartient.
De son côté, la Cour de cassation vient de réaffirmer que l’exigence d’individualisation des sanctions posée par l’article L. 464-2 C. com. «exclut, à l’égard d’une entreprise ayant agi de manière autonome, le relèvement automatique de la sanction en raison de sa seule appartenance à un groupe» (arrêt du 21/10/ 2014 n° 934 FS-P+B). Il en résulte que lorsque la mère et sa filiale ne constitue pas une entreprise au sens du droit de la concurrence (ce qui exclut la responsabilité de la mère au titre de l’infraction), l’Autorité de la concurrence ne peut pas prendre en considération l’appartenance de la filiale à un groupe disposant d’une puissance économique pour augmenter, au titre de l’effet de dissuasion, la sanction encourue1.
Note
1 Cf. E. Flaicher-Maneval, «Pratiques anticoncurrentielles : pas d’incidence systématique de l’appartenance à un groupe sur le montant des sanctions», Option Finance du 12 mai 2014.
Auteurs
Elisabeth Flaicher-Maneval, avocat Counsel au sein du département de doctrine juridique.
Virginie Coursière-Pluntz, avocat. Elle intervient principalement en droit de la concurrence et en droit européen (antitrust, contrôle des concentrations, libertés de circulation), tant en conseil qu’en contentieux.
Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 10 novembre 2014