Pratiques anticoncurrentielles : pas d’incidence systématique de l’appartenance à un groupe sur le montant des sanctions
Les sanctions pécuniaires infligées en cas de pratiques anticoncurrentielles doivent être proportionnées notamment à la gravité des faits reprochés et à la situation de l’entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l’entreprise appartient ; elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise (art. L. 464-2 C. com.).
Dans son « communiqué sanctions » du 16 mai 2011, l’Autorité de la concurrence avait précisé que, pour assurer le caractère à la fois dissuasif et proportionné de la sanction pécuniaire, elle pouvait adapter celle-ci à la hausse pour tenir compte du fait que « le groupe auquel appartient l’entreprise concernée dispose lui-même d’une taille, d’une puissance économique ou de ressources globales importantes, cet élément étant pris en compte, en particulier, dans le cas où l’infraction est également imputable à la société qui la contrôle au sein du groupe ».
Dans le cadre d’une entente mise en œuvre dans le secteur de la restauration des monuments historiques, l’Autorité de la concurrence avait majoré le montant de l’amende infligée à l’une des entreprises poursuivies en raison de son appartenance à un groupe du BTP, dont le chiffre d’affaires était particulièrement important, sans toutefois avoir également imputé les infractions reprochées à la société « tête » du groupe. Pour elle, l’appartenance à ce groupe constituait une circonstance individuelle conduisant à majorer le montant de la sanction afin d’assurer son caractère à la fois dissuasif et proportionné. La cour d’appel de Paris avait validé cette décision en soulignant que, même si l’appartenance de l’entreprise au groupe n’avait joué aucun rôle dans le comportement anticoncurrentiel qui lui était imputé, l’Autorité de la concurrence pouvait tenir compte du fait que cette entreprise appartenait à un groupe jouissant d’un périmètre d’activité et d’une puissance financière significatifs, qui dispose de ressources globales considérablement plus importantes que celles des autres acteurs des ententes.
La Cour de cassation vient de censurer cette décision : la Cour d’appel aurait dû rechercher, alors qu’elle avait retenu que l’entreprise condamnée s’était comportée de manière autonome sur le marché, si l’appartenance de cette société au groupe de BTP avait joué un rôle dans la mise en œuvre des pratiques anticoncurrentielles ou était de nature à influer sur l’appréciation de la gravité de ces pratiques (arrêt du 18 février 2014).
Ce faisant, la Cour de cassation exclut donc que l’appartenance à un groupe puisse constituer une circonstance individuelle propre à justifier une majoration systématique du montant de la sanction encourue. En d’autres termes, lorsque l’entreprise s’est comportée de manière autonome sur le marché (ce qui écarte toute responsabilité de la mère dans le comportement infractionnel), la seule circonstance que cette entreprise appartienne à un grand groupe ne peut justifier une majoration de la sanction.
La Cour suprême a également exclu dans cette affaire que l’Autorité de la concurrence puisse refuser à une autre entreprise de se prévaloir, lors de la fixation de l’amende, des difficultés financières particulières affectant sa capacité contributive au seul motif de son appartenance, elle aussi, à un groupe puissant. Elle a en effet cassé l’arrêt d’appel confirmatif qui n’avait pas recherché, après avoir ici encore constaté l’autonomie de la filiale, si cette dernière avait la faculté de mobiliser les fonds nécessaires au règlement de la sanction auprès du groupe auquel elle appartient.
L’Autorité de la concurrence pourrait bien être amenée à revoir sa pratique décisionnelle quant à la prise en considération de l’appartenance à un groupe au stade de l’individualisation de la sanction.
A propos de l’auteur
Elisabeth Flaicher-Maneval, avocat Counsel au sein du département de doctrine juridique.
Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 12 mai 2014