Pratiques anticoncurrentielles : enregistrements téléphoniques clandestins admis à titre de preuve par le juge européen
Ni le droit de l’Union européenne, ni la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme n’imposent au juge de se fonder sur des preuves loyalement obtenues…
Le Tribunal de l’Union européenne (TUE) vient ainsi de confirmer la recevabilité, à titre d’éléments de preuve d’une entente anticoncurrentielle, d’enregistrements secrets de conversations téléphoniques réalisés par l’une des entreprises parties à l’entente. Au cas particulier, les enregistrements litigieux avaient été obtenus par la Commission européenne lors d’une inspection dans les locaux de cette entreprise (Arrêt du 8 septembre 2016, aff. T-54/14).
Après avoir rappelé que «les éléments de preuve que la Commission a obtenus régulièrement sont, en principe, recevables dans le cadre d’une investigation pour violation du droit de la concurrence», le TUE s’est appuyé sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour apprécier si, même recueillis régulièrement comme ici par la Commission, ces éléments pouvaient être valablement utilisés alors qu’ils avaient été obtenus par un tiers illégalement, en violation notamment du droit au respect de la vie privée de la personne enregistrée à son insu. Selon cette jurisprudence, l’utilisation en tant que moyen de preuve d’un enregistrement illégal ne se heurte pas en soi aux principes d’équité consacrés par l’article 6 § 1 de la CEDH, y compris lorsque cet élément de preuve a été obtenu en violation des exigences de l’article 8 de la CEDH relatif au droit au respect de la vie privée (CEDH 26 avril 2007 n° 71525/01), pour autant que :
- d’une part, la partie mise en cause n’a pas été privée d’un procès équitable ni de ses droits de la défense ;
- d’autre part, cet enregistrement n’a pas constitué le seul élément de preuve retenu pour motiver la condamnation.
Or, en l’espèce, la Commission avait offert au cours de la procédure à toutes les parties la possibilité d’avoir accès à l’ensemble des enregistrements audio figurant dans le dossier, ce que ces dernières ne contestaient pas. Par ailleurs, les enregistrements litigieux, s’ils avaient eu une importance certaine dans la décision de la Commission d’imposer une amende, n’avaient pas constitué l’élément unique ayant forgé la conviction de celle-ci quant à la culpabilité des requérantes, sa décision reposant sur un ensemble de preuves obtenues au cours de la procédure. Le TUE a estimé en conséquence que, même s’il fallait considérer que les enregistrements litigieux avaient été effectués illégalement par l’une des entreprises concurrentes, la Commission les avait utilisés à bon droit en tant que moyens de preuve dans sa décision pour conclure à une violation de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
Ce raisonnement n’a pas été infléchi par l’argument avancé par les requérantes selon lequel l’enregistrement secret de conversations téléphoniques serait constitutif d’une infraction dans plusieurs Etats membres et partant serait un moyen de preuve illégal pour établir une violation de l’article 101 TFUE. Le TUE a considéré que les requérantes n’étayaient nullement cette allégation dans la mesure où elles ne fournissaient qu’un seul exemple concret, celui de la France.
Dans un arrêt du 7 janvier 2011, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a en effet jugé que des enregistrements secrets de conversations téléphoniques ne pouvaient pas être utilisés comme preuve dans une procédure constatant la violation du droit de la concurrence en France1.
Pour le juge européen, il n’existe de surcroît pas de principe général en vertu duquel des preuves obtenues illégalement ne pourraient pas être utilisées dans le cadre d’une investigation ou d’une procédure juridictionnelle. S’il admet qu’il lui est possible de s’inspirer du droit des Etats membres, il considère que cela n’implique pas qu’il lui faille retenir la réglementation nationale la plus stricte sur l’administration de la preuve.
En droit de l’Union, le curseur de la loyauté est donc déplacé vers l’aval : la Commission européenne peut ainsi utiliser des éléments de preuve qu’elle a régulièrement obtenus, peu important que ces éléments de preuve aient une origine illicite.
Note
1 Voir du même auteur, «Moyens de preuve en droit de la concurrence : la loyauté s’impose», Option Finance du 24 janvier 2011
Auteur
Elisabeth Flaicher-Maneval, avocat Counsel au sein du département de doctrine juridique, CMS Bureau Francis Lefebvre Paris