Plates-formes numériques : la « start-up nation » ne se fera pas au détriment des consommateurs !
Rançon de leur succès et de leur rôle moteur dans l’économie, les plates-formes numériques n’échappent pas à la régulation.
Le boom des achats sur Internet concerne aujourd’hui la quasi-totalité des biens de consommation et conduit les autorités de concurrence à reconnaître la pression concurrentielle, voire la parfaite substituabilité, des ventes en ligne et des ventes réalisées en points de vente physique1.
Parmi les acteurs phares de la nouvelle économie, les plates-formes numériques favorisent l’accès des consommateurs à divers vendeurs de biens ou de services en ligne.
Afin d’appréhender les diverses formes que peuvent revêtir les plates-formes numériques, la loi les a définies de manière large (article L.111-7 du Code de la consommation). Ainsi, est opérateur de plate-forme numérique toute personne physique ou morale proposant sur Internet, à titre professionnel et de manière rémunérée ou non :
- le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ;
- ou un service d’intermédiation consistant en la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service.
Cette définition permet notamment d’inclure les moteurs de recherches, les réseaux sociaux, les plates-formes collaboratives, les sites proposant des comparaisons de biens ou de services, ou encore les places de marché (ou « marketplaces »).
Si les avantages des plates-formes numériques en termes d’innovation et de prix sont largement reconnus, il est apparu indispensable d’assurer au consommateur utilisateur de ces plates-formes l’accès à une information loyale. Les dispositions récemment introduites dans le Code de la consommation visent ainsi à garantir que le consommateur ne soit pas trompé sur la disponibilité ou le prix d’un bien ou d’un service ou encore sur sa désirabilité (reflétée par les avis d’autres consommateurs).
La loi n°2014-344 du 17 mars 2017 relative à la consommation (dite « Loi Hamon ») et la loi n°2015-990 du 6 août 2015 (dite « Loi Macron ») avaient dans un premier temps soumis les comparateurs de prix, puis d’autres acteurs du e-commerce (places de marché et plates-formes contributives notamment), à l’obligation d’apporter au consommateur une information loyale, claire et transparente.
Poursuivant cet effort législatif, la loi n°2016-1321 pour une République Numérique du 7 octobre 2016 est venue encore renforcer les obligations de la transparence des plates-formes numériques vis-à -vis des consommateurs. L’article L.111-7 II du Code de la consommation impose désormais aux opérateurs de plates-formes en ligne de délivrer une information loyale, claire et transparente sur :
- les conditions générales d’utilisation par le consommateur du service d’intermédiation proposé;
- les modalités de référencement, de classement et de déréférencement des contenus, des biens ou des services auxquels ce service permet d’accéder. Il s’agit d’assurer que ce classement ou ce référencement reposent sur des critères objectifs et de faire connaître ces critères au consommateur ;
- l’existence d’une relation contractuelle, d’un lien capitalistique ou d’une rémunération susceptible d’influencer le classement ou le référencement des contenus, des biens ou des services proposés ou mis en ligne.
Le décret n°2017-1434 du 29 septembre 2017 (codifié aux articles D111-6 à D111-14 du Code de la consommation), applicable depuis le 1er janvier 2018, est venu préciser que ces obligations d’information incombent plus spécifiquement aux plates-formes numériques ayant une activité de moteurs de recherche ou de comparaison, de place de marché ou de réseau social et aux plates-formes dédiées à l’économie collaborative.
Le droit de la consommation prévoit également désormais un encadrement des avis mis en ligne sur les biens et services proposés sur les plates-formes en raison de l’importance que ces avis peuvent revêtir dans les choix d’achat des consommateurs (article L.111-7-2 du Code de la consommation).
Ainsi, toute personne collectant, modérant ou diffusant des avis en ligne provenant de consommateurs doit délivrer aux utilisateurs une information loyale, claire et transparente sur les modalités de publication et de traitement de ces avis. Elle doit aussi indiquer si ces avis font l’objet d’un contrôle et leur date. Lorsqu’un avis n’est pas publié, elle doit informer son auteur des raisons de ce rejet, de même qu’elle doit permettre aux responsables des produits ou services faisant l’objet d’un avis de lui signaler un doute sur l’authenticité de cet avis.
Le décret n°2017-1436 du 29 septembre 2017 a été adopté afin de préciser ces obligations en définissant la notion d’avis en ligne, en énumérant les informations relatives aux modalités de fonctionnement du service d’avis en ligne et aux procédures de contrôle des avis et en précisant les informations devant figurer à proximité de l’avis ainsi que les conditions dans lesquelles un avis peut être refusé (articles D. 111-16, D. 111-17, D. 111-18, D. 111-19 du Code de la consommation). Afin d’assurer l’effectivité des dispositions des articles L.111-7 et L.111-1-2 du Code de la consommation, une amende administrative de 75 000 euros maximum pour une personne physique et de 375 000 euros maximum pour une personne morale est prévue en cas de manquement (article L.131-4 du Code de la consommation).
Enfin, les agents de la DGCCRF sont désormais autorisés à procéder à des enquêtes pour évaluer et comparer les pratiques des plates-formes en ligne générant plus de cinq millions de visites chaque mois et à en diffuser périodiquement les résultats, notamment la liste des plates-formes numériques ne respectant pas leurs obligations de loyauté, de clarté et de transparence (Code de la consommation, articles L.111-7-1 et D. 111-15 introduit par le décret n°2017-1435 du 29 septembre 2017).
De manière novatrice, la loi pour une République numérique d’octobre 2016 a aussi créé une obligation pour ces plates-formes générant un trafic important d’élaborer et de diffuser des bonnes pratiques portant sur la clarté, la transparence et la loyauté dues aux consommateurs et renvoie ainsi pour partie au secteur la définition des moyens de son autorégulation.
En définitive, les dispositions du Code de la consommation régulant l’activité des plates-formes numériques complètent celles existant d’ores-et-déjà s’agissant de la vente à distance afin d’appréhender les diverses facettes du e-commerce.
Bien que le Gouvernement rappelle régulièrement qu’il entend faire de la France un champion du numérique, il n’entend pas que ces activités se développent en ignorant les principes de transparence et de loyauté nécessaires à la protection du choix éclairé des consommateurs.
La France n’est d’ailleurs pas la seule à chercher à encadrer l’activité des plates-formes en ligne. Fin avril 2018, la Commission européenne a ainsi proposé l’adoption d’un règlement destiné à assurer la transparence et l’équité dans les relations commerciales avec les plates-formes. Cette proposition vise notamment à améliorer la transparence des plates-formes vis-à -vis des utilisateurs professionnels quant aux modalités de référencement de leurs produits et services. L’intention semble donc être ici davantage la protection des PME-TPE recourant à ces plates-formes.
Note
1 Sur cette pression concurrentielle s’agissant des produits électroniques, voir par exemple: Autorité de la concurrence, décision n°16-DCC-111 du 27 juillet 2016 relative à la prise de contrôle exclusif de Darty par la Fnac.
Auteurs
Virginie Coursière-Pluntz, avocat counsel, droit de la concurrence et droit européen tant en conseil qu’en contentieux.
Vincent Lorieul, avocat, droit de la concurrence et de la distribution