Pas de rupture brutale en cas de cessation progressive des relations commerciales due à un contexte économique difficile
Un prestataire réalisait depuis 2002 pour une société spécialisée dans la vente à distance d’articles textiles des reportages photographiques nécessaires à la constitution de catalogues de vente à distance. En 2013, cette société l’informe par lettre recommandée de son intention de réduire le nombre de commandes à l’expiration d’un délai de cinq mois. Peu après ce terme, elle cesse toute commande.
Le prestataire se prétend alors victime d’une rupture brutale des relations commerciales établies au sens de l’article L.442-6, I, 5° de Code de commerce. Il n’est pas suivi dans son raisonnement par la cour d’appel de Paris, qui confirme en tous points le jugement de première instance en procédant à une analyse en deux temps (CA Paris, 3 mai 2017, n°15/24950).
Elle relève tout d’abord que le client avait notifié une rupture partielle des relations commerciales avec un préavis de cinq mois, lequel lui apparaît suffisant compte tenu de la nature de l’activité, de son caractère saisonnier, de l’ancienneté des relations commerciales mais également de l’absence d’exclusivité.
La Cour d’appel estime ensuite que la cessation totale des commandes à compter d’avril 2014 ne saurait davantage être analysée comme une rupture brutale en raison de sa prévisibilité pour le prestataire.
Pour parvenir à cette conclusion, elle constate que, dès 2008-2009, les sociétés de vente à distance avaient commencé à connaître de grandes difficultés en raison de la montée en puissance du e-commerce. Or, le prestataire ne pouvait ignorer le caractère inéluctable de la chute brutale des ventes par catalogue en raison de cette évolution. La diminution significative de son chiffre d’affaires avec ce client entre 2012 et 2013 en était d’ailleurs l’une des prémices et l’empêchait de pouvoir raisonnablement anticiper une relation commerciale continue pour l’avenir. Au demeurant, il était vital pour le client de reporter son activité vers le commerce numérique, de sorte que la diminution puis la cessation des relations commerciales avec le prestataire ne résultaient pas d’une volonté de rupture de sa part, ni d’un quelconque abus de confiance.
Cette décision s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle récente, consacrée par l’arrêt « Caterpillar » de 2013. On se souvient en effet de cette affaire dans laquelle l’existence d’une rupture brutale avait été écartée par la Cour de cassation au motif que la diminution significative du volume de commandes par cette société résultait de la diminution de ses propres commandes : n’étant pas délibérée, la rupture ne lui était donc pas imputable (Cass. com., 12 février 2013, n°12-11.709 ; voir aussi récemment CA Paris, 14 janvier 2016, n°14/16799). L’influence du contexte économique dans lequel s’inscrit la rupture constitue donc désormais un paramètre à part entière de l’appréciation des juges à propos du caractère prévisible et délibéré de la rupture et, partant, de son éventuelle brutalité.
Auteur
Elisabeth Flaicher-Maneval, avocat Counsel au sein du département de doctrine juridique, CMS Bureau Francis Lefebvre Paris
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