Nouvelles précisions de la Cour de cassation en matière de harcèlement sexuel
5 juin 2020
Par un arrêt du 25 mars 2020[1], la Cour de cassation rappelle que l’autorité de la chose jugée au pénal s’impose au juge civil, y compris en matière de harcèlement sexuel. Elle précise toutefois que si le juge pénal fonde sa décision de relaxe sur la seule absence d’élément intentionnel, le juge civil demeure libre de caractériser les faits qui lui sont soumis de harcèlement sexuel.
Caractérisation et preuve des faits du harcèlement sexuel : deux approches très différentes
Le harcèlement sexuel a pour particularité d’être sanctionné par des textes et des juridictions différentes :
-
- d’une part, le Code pénal et Tribunal correctionnel ;
-
- d’autre part, le Code du travail et le Conseil de prud’hommes.
En droit pénal, l’article 222-33 du Code pénal précise que « le harcèlement sexuel est le fait d’imposer, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».
Si, à première vue, cette définition est semblable à celle retenue par l’article L. 1153-1 du Code du travail, il existe toutefois deux différences majeures :
-
- la caractérisation du délit de harcèlement sexuel nécessite la preuve de l’intention de la personne incriminée de commettre l’infraction. Cette exigence est la conséquence d’un principe fondamental du droit pénal selon lequel « il n’y a point de crime ou délit sans intention de le commettre » (article L.121-3 du Code pénal). En droit du travail, la caractérisation du harcèlement sexuel ne suppose aucunement l’existence d’un élément intentionnel ;
-
- la charge de la preuve fait l’objet, en droit du travail, d’un aménagement très spécifique puisque le salarié doit seulement présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence du harcèlement, à charge pour le défendeur de démontrer que les agissements en cause n’étaient pas constitutifs d’un harcèlement.
Le principe de l’autorité de la chosée jugée au pénal est réaffirmée en matière de harcèlement sexuel
Il existe un principe absolu selon lequel, les décisions définitives des juridictions pénales ont, au civil, l’autorité de la chose jugée, notamment en ce qui concerne ce qui a été jugé quant à l’existence des faits incriminés et leur qualification.
Dans l’espèce ayant donné lieu à la décision du 25 mars 2020, une salariée exerçant les fonctions d’assistante dentaire avait été licenciée par son employeur pour faute grave. Estimant avoir été victime de harcèlement sexuel, la salariée avait, d’une part, saisi la juridiction prud’homale afin de contester son licenciement et, d’autre part, porté plainte au pénal.
Par un jugement définitif, le juge pénal avait relaxé l’employeur au motif que le délit n’était pas constitué en raison de l’absence de preuve de l’élément intentionnel.
La chambre sociale de la cour d’appel d’Angers avait, quant à elle, considéré que les faits de harcèlement sexuel étaient caractérisés et par conséquent prononcé la nullité du licenciement.
L’employeur a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt, invoquant notamment l’autorité de la chose jugée au pénal. Selon lui, la Cour d’appel avait violé ce principe en retenant l’existence de faits constitutifs de harcèlement sexuel alors même qu’il avait été relaxé pour les même faits par un jugement définitif du Tribunal correctionnel d’Angers.
La Cour de cassation confirme, sur le principe, l’applicabilité de ce principe aux affaires en lien avec des problématiques de harcèlement sexuel. La Cour de cassation l’avait déjà jugé en matière de harcèlement moral : si le prévenu est relaxé par les juridictions pénales au motif que la matérialité des faits n’est pas établie, cette décision s’impose au juge civil qui ne peut considérer que ces mêmes faits constituent du harcèlement au sens du Code du travail[2].
Le principe de l’autorité de la chosée jugée au pénal est toutefois inopérant lorsque la relaxe se fonde sur le seul défaut d’élément intentionnel
Malgré ce principe, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’employeur au motif que « le jugement de relaxe du Tribunal correctionnel était fondé sur le seul défaut d’élément intentionnel ». La Cour de cassation rappelle en effet que la caractérisation des faits de harcèlement sexuel en droit du travail ne suppose pas l’existence d’un élément intentionnel. Dès lors, l’autorité de la chose jugée au pénal ne s’applique pas si la juridiction pénale ne s’est fondée que sur cet aspect du dossier pour relaxer le prévenu.
En l’espèce, la chambre sociale de la cour d’appel d’Angers demeurait donc libre de considérer que les faits qui lui étaient soumis étaient constitutifs de harcèlement sexuel au sens du Code du travail et de prononcer la nullité du licenciement au motif qu’il existait un lien entre la rupture et ce harcèlement.
Cette décision met en exergue l’importance d’une gestion coordonnée du volet pénal et social de ce type de dossier afin d’éviter, lorsque cela est possible, qu’une décision de relaxe au pénal soit suivie d’une condamnation au civil.
[1] Cass.soc.,25 mars 2020 n°18-23.682
[2] Cass. soc., 3 novembre 2005, n°03-46.839
Article publié dans les Echos Executives du 05/06/2020
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