Nouveau traitement fiscal des apports de titres consentis au bénéfice d’une société contrôlée par l’apporteur
Depuis le 14 novembre 2012, un apport de titres consenti au bénéfice d’une société contrôlée par l’apporteur n’est plus une opération intercalaire. Il déclenche tout à la fois l’imposition de la plus-value constatée dans l’opération et sa mise en report, mais sous des conditions strictement définies. Destinée à encadrer la pratique des « apports-cessions », la nouvelle règle affecte aussi plus largement l’ensemble des actionnaires qui apportent leurs titres en vue de leur conservation durable par une holding.
Genèse du nouveau texte
Aux termes de l’article 150-0 B du CGI, les plus-values résultant des apports de titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés ou à un impôt étranger équivalent ne constituent pas un gain net de cession imposable. Ces apports ont ainsi un caractère purement intercalaire. Les plus-values qui en résultent n’ont pas à être déclarées. Elles se trouvent placées sous un régime dit de sursis d’imposition. Mais étant donné que les titres nouveaux reprennent le prix de revient fiscal des titres d’origine, la taxation évitée au moment de l’apport sera appelée à s’opérer à la date de cession des nouveaux titres.
Certains contribuables ont tiré parti de ce dispositif pour effacer l’imposition de la plus-value afférente à des titres en phase de cession : les titres étaient vendus (sans plus-value) par la société à laquelle ils venaient d’être apportés, un court instant auparavant. On sait que cette séquence a été regardée (et sanctionnée) comme abusive par le Conseil d’Etat, sauf remploi par la société cédante d’une fraction significative du produit de la cession dans l’acquisition d’autres titres d’entreprise.
L’article 18 de la loi 2012-1510 du 29 décembre 2012 vise à encadrer cette pratique de l’apport-cession, mais sous couvert d’un dispositif d’une portée beaucoup plus large en ce qu’il affecte aussi les actionnaires qui apportent leurs titres à une société constituée en vue de détenir ceux-ci durablement. Il résulte, en effet, du nouvel article 150-0 B ter introduit par ce texte dans le CGI que, dès l’instant que le contribuable détient à l’issue de l’apport la majorité des droits de vote de la société à laquelle il a apporté ses titres, sa plus-value d’apport doit être déclarée et se trouve soumise à un report d’imposition dont le maintien n’est assuré que sous deux conditions : la conservation des titres reçus en représentation de l’apport (même situation que pour les titres issus d’un apport bénéficiant du sursis) et, au cours de la période de trois ans qui suit l’apport, la conservation par la société bénéficiaire elle-même des titres qui lui ont été transférés.
Cette nouvelle réglementation est devenue applicable aux apports réalisés à compter du 14 novembre 2012.
Appréciation du contrôle
Le régime du report se substitue à celui du sursis si, à l’issue de l’apport, le contribuable détient, avec son groupe familial (conjoint, ascendants, descendants, frères et sœurs), la majorité des droits de vote ou des bénéfices sociaux de la société à laquelle il a fait l’apport de ses titres, s’il dispose seul de cette majorité en vertu d’un accord conclu avec d’autres associés, ou encore s’il exerce en fait le pouvoir de décision dans la société, ce contrôle étant présumé lorsque l’intéressé détient une participation supérieure à 33,33 % et plus élevée que celle de tout autre associé.
Nature des apports visés
La nouvelle réglementation vise l’apport de titres dont la cession relève des dispositions de l’article 150-0 A du CGI, ce qui exclut ceux détenus dans les sociétés non soumises à l’IS dont l’actif est principalement constitué d’immeubles (titres visés par l’article 150 UB du CGI dont l’apport continue d’ouvrir droit au sursis d’imposition prévu au II de cet article) mais englobe toute participation, minoritaire ou majoritaire dans les autre types de société, de même que les titres autres que les actions ou parts de sociétés : obligations, BSA, parts de FCP, etc.
Report d’imposition automatique
L’obtention du report est automatique si ses conditions d’application sont réunies. Même si la loi oblige le contribuable à mentionner le montant de sa plus-value dans sa déclaration annuelle de revenus, cette mention ne saurait être considérée comme une condition d’application du report. L’administration ne pourra donc pas refuser le bénéfice du report à des non déclarants ni contester la pleine application du report à des plus-values dont la déclaration est à ses yeux entachée d’une sous-estimation. Un décret devra fixer les obligations déclaratives des auteurs des apports et des sociétés bénéficiaires.
Conditions du maintien du report
Le maintien du report est, en principe, subordonné à la condition que les titres transférés ne fassent pas l’objet, dans le délai de trois ans qui suit l’apport calculé de date à date, d’une cession à titre onéreux, d’un rachat, d’un remboursement ou d’une annulation. Cependant, la déchéance du report encourue en cas de cession sera évitée si la société cédante prend l’engagement d’investir au moins 50 % du produit de la cession, dans un délai de deux ans à compter de la date de sa réalisation :
- dans le financement d’une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière, à l’exception de la gestion d’un patrimoine mobilier ou immobilier,
- dans l’acquisition d’une fraction du capital d’une société exerçant une telle activité, sous la même exception, à condition que cette acquisition ait pour effet de lui conférer le contrôle de la société au sens de la réglementation exposée ci-dessus,
- ou dans la souscription en numéraire au capital initial ou à l’augmentation de capital d’une ou plusieurs sociétés soumises à l’IS répondant aux conditions prévues au b du 3° du II de l’article 150-0 D bis du CGI : société exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière, à l’exception de la gestion d’un patrimoine mobilier ou immobilier, ou société ayant pour objet exclusif de détenir des participations dans des sociétés exerçant les activités précitées, lesdites conditions s’appréciant de manière continue pendant les huit années précédant la cession.
Le manquement à la condition de réinvestissement mettra fin au report d’imposition au titre de l’année au cours de laquelle le délai de deux ans expire. L’imposition correspondante, bien qu’établie au titre de l’année de constatation du manquement, sera alors assortie de l’intérêt de retard de 4,80 % l’an prévu par l’article 1727 du CGI, calculé depuis la réalisation de l’apport.
Le report sera-t-il maintenu si, dans le délai de trois ans suivant l’apport, la société bénéficiaire absorbe une société dont elle a recueilli les titres ou fait à son tour apport des titres qu’elle a recueillis ? Il faut espérer que l’administration tranchera par l’affirmative cette question que la loi laisse malheureusement en suspens.
Extinction du report
Le report d’imposition tombe sous l’effet de la cession à titre onéreux, du rachat, du remboursement ou de l’annulation des titres reçus en rémunération de l’apport, mais seulement dans la proportion des titres concernés par ces opérations. Cette règle ne connaît qu’une seule exception visant le cas où les titres reçus en rémunération de l’apport font eux-mêmes l’objet d’un apport : le report d’imposition est alors maintenu tandis que la plus-value afférente au nouvel apport relève à son tour du régime de report qui nous occupe.
L’impôt sur le revenu correspondant aux plus-values dont le report s’éteint, calculé par application du barème progressif comme c’est devenu la règle pour les plus-values de cession réalisées à compter du 1er janvier 2013, dépendra du niveau du revenu global du contribuable pour l’année considérée et des taux d’imposition en vigueur sur les revenus de ladite année. Dans la rigueur de la loi, les plus-values mises en report à l’occasion d’un apport d’actions ou de parts de sociétés bénéficieront seulement de l’abattement qui correspond à la durée pendant laquelle ces actions ou parts ont été détenues mais on peut espérer que l’administration acceptera de prendre de prendre en compte la durée cumulée de cette détention et de celle des titres représentatifs de l’apport.
Décès de l’apporteur, donation des titres
Le report se transformera en une exonération définitive au décès du contribuable auteur de l’apport ou par l’effet de la donation des titres reçus en représentation de l’apport (à proportion des titres donnés). Mais si la donation confère à un donataire le contrôle de la société bénéficiaire de l’apport, celui-ci devra personnellement assumer l’imposition de la plus-value en report (sur une base diminuée des droits ayant grevé la donation) dans deux situations :
- s’il cède ou apporte les titres qui lui ont été donnés (ou en obtient le remboursement ou l’annulation) dans un délai de dix-huit mois à compter de la donation,
- ou s’il advient (alors que le donataire est resté propriétaire des titres qu’il a reçus, peut-on penser) que la société n’a pas respecté l’engagement de réinvestissement faisant suite à une cession des titres qu’elle a recueillis dans l’apport.
A propos de l’auteur
Jean-Yves Mercier, avocat associé, responsable de l’équipe de doctrine fiscale. Il intervient pour l’ensemble des sociétés clientes du Cabinet dans l’analyse et la traduction en conseils pratiques des évolutions de la réglementation fiscale.
Article paru dans la revue Option Finance du 4 février 2013
Soumettre un commentaire