La nature de l’action en matière de rupture des relations commerciales établies serait-elle finalement contractuelle ?
La Chambre commerciale de la Cour de cassation a récemment énoncé (le 20 septembre 2017, n°16-14.812) qu’ « une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale des relations commerciales établies de longue date ne relève pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle s’il existait entre les parties une relation contractuelle tacite » (Cass. com., 20 septembre 2017, n°16-14.812).
Le caractère délictuel ou contractuel de l’action engagée permet de déterminer quel est le tribunal compétent, et l’enjeu est particulièrement important en matière de litige transfrontière. En droit de l’Union européenne, le tribunal compétent en matière délictuelle est celui du lieu où le fait dommageable se produit (article 7.2 du règlement 1215/2012 du 12 décembre 2012 dit « Bruxelles I bis ») alors qu’en matière contractuelle, le tribunal compétent sera en cas de vente de marchandises celui du lieu de la livraison et en cas de prestation de service celui de l’exécution de ladite prestation (article 7.1 du même règlement).
En l’espèce le litige est né entre une société de droit belge vendant du matériel agricole et une société française. La marchandise était livrée en Belgique avant d’être distribuée en France. A la fin de la relation commerciale, le distributeur français avait engagé devant le juge français une action indemnitaire pour rupture brutale d’une relation commerciale établie (article L.442-6, I, 5° du Code de commerce). Le fournisseur belge avait soulevé une exception d’incompétence au profit des juridictions belges. Un contredit ayant été formé, la cour d’appel de Paris avait déclaré, en se fondant sur un faisceau d’indices concordants, que le tribunal de commerce de Paris était incompétent au motif qu’existait entre les deux sociétés une relation contractuelle tacite.
Saisie dans cette affaire à titre préjudiciel par la Cour de cassation, la Cour de justice de l’Union européenne, a jugé que « l’article 5, point 3, du Règlement (CE) n°44/2001 du Conseil, du 22 décembre 200, concernant la compétence judiciaire et la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies de longue date, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, ne relève pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle au sens de ce règlement s’il existait, entre les parties, une relation contractuelle tacite, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier » (CJUE, 14 juillet 2016, C-196/15, Granarolo).
L’arrêt du 20 septembre 2017 semble donc s’inscrire dans la continuité de la décision de la Cour de justice et ainsi s’éloigner de la position « délictualiste » qui avait été retenue par la Cour de cassation française antérieurement. A cet égard, la Chambre commerciale de la Cour de Cassation vise explicitement l’arrêt Granarolo et reprend les différents éléments donnés pas la Cour de justice pour déterminer l’existence d’une relation commerciale tacite et notamment l’existence de relations commerciales établies de longue date, la bonne foi entre les parties, la régularité des transactions et leur évolution dans le temps exprimée en quantité et en valeur, les éventuels accords sur les prix facturés et/ou les rabais accordés, ainsi que la correspondance échangée.
Cependant, la volonté de la Cour de Cassation d’en faire un arrêt de principe ne semblant pas marquée, on pourrait conclure que la Cour de cassation applique l’arrêt Granarolo (comme elle se doit de le faire au regard du droit européen) mais qu’elle ne ferme pas la porte à ce que l’action en rupture brutale des relations commerciales soit qualifiée de délictuelle en cas de litige franco-français ou international hors Union européenne.
Auteurs
Stéphanie de Giovanni, avocat, membre du Barreau de New York, Distribution & contrats internationaux.
Mathilde Biermann, avocat, Distribution & contrats internationaux