Quel montant de dommages et intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse?
8 février 2016
Les sommes susceptibles d’être accordées dans le cadre d’une instance prud’homale sont délicates à cerner tant pour l’employeur que pour le salarié. Le Code du travail a tenté d’apporter plus de prévisibilité aux parties.
Après la censure par le Conseil constitutionnel du plafonnement des dommages et intérêts issu de la loi Macron, une version modifiée devrait être insérée dans le projet de loi El Khomri de mars 2016. Ces différentes mesures permettent-elles pour autant une meilleure prévisibilité des sommes attribuées ?
Un principe : la réparation intégrale du préjudice
Le droit français consacre le principe de la réparation intégrale du préjudice : «tout le préjudice, rien que le préjudice». L’accord interprofessionnel du 11 janvier 2013 et l’article L. 1235-1 du Code du travail rappellent à cet égard qu’il appartient aux juges de justifier dans le jugement qu’ils prononcent le montant des indemnités qu’ils octroient.
En pratique, cette motivation est toutefois assez rare. En effet, si les Conseils de prud’hommes sont libres de tenir compte de l’âge du salarié, de son ancienneté, de la durée de chômage, de la gravité des manquements de l’employeur, de la situation de famille ou de la situation du marché de l’emploi pour fixer le montant des dommages et intérêts accordés, on constate que très souvent les demandeurs se contentent de solliciter une somme forfaitaire et que les tribunaux accordent une indemnisation comprise généralement entre 2 et 18 mois.
Le seul minima clair découle de l’article L. 1235-3 qui accorde au salarié ayant plus de 2 ans d’ancienneté et travaillant dans une entreprise de 11 salariés et plus, une indemnisation minimale de 6 mois de salaires.
En pratique, le régime actuel d’indemnisation peut conduire à des variations plus ou moins importantes des sommes octroyées dans des situations comparables selon les juridictions. Afin de tenter d’uniformiser les montants des indemnités accordées, une timide réforme a été engagée par la loi de sécurisation de l’emploi en date du 14 juin 2013.
Un barème indicatif pour les conciliations
L’article L. 1235-1 du Code du travail issu de la loi de sécurisation de l’emploi précise que lors d’audience de Conciliation, l’employeur et les salariés peuvent convenir de mettre un terme par accord à leurs différends moyennant le versement par l’employeur d’une indemnité forfaitaire dont le montant est déterminé en référence d’un barème fixé par décret en fonction de l’ancienneté du salarié. Ce barème qui s’échelonne entre 2 et 14 mois de salaire figure à l’article D. 1235-21 du Code du travail et reprend les propositions faites par l’accord interprofessionnel du 11 janvier 2013. L’objectif de ce barème est, d’une part, de faciliter le règlement des litiges par conciliation et ainsi d’accélérer les procédures de règlement des différends et, d’autre part, de guider la négociation des parties.
En pratique, cette disposition a toutefois des effets limités en raison, d’une part, du caractère non obligatoire de ce barème. D’autre part, dans de nombreux contentieux, le différend ne porte pas seulement sur l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement mais comporte également d’autres griefs qui peuvent alors difficilement être couverts par le barème proposé.
En dernier lieu, certains demandeurs omettent de prendre en considération le fait qu’il s’agit d’un barème de conciliation et préfèrent se référer aux sommes qui pourraient être obtenues en cas de jugement, faussant ainsi leur lecture.
Un référentiel indicatif pour les juges
En conséquence, le recours à ce barème reste limité, les conciliations fondées sur le barème visent souvent davantage à obtenir l’exonération fiscale y attachée. L’article L. 1235-1 prévoit par ailleurs un référentiel indicatif de dommages et intérêts à établir par le Conseil supérieur de la prud’homie. Ce référentiel est destiné à éclairer le juge au moment de la fixation des dommages et intérêts sans s’imposer à lui. Il deviendra toutefois obligatoire pour le juge si les deux parties en font la demande. A ce jour, ce référentiel n’a pas encore été établi. Il est toutefois à craindre, en fonction des montants qui y figureront, qu’il connaisse le même sort que l’indemnité forfaitaire exposée ci-avant.
Un plafonnement des dommages et intérêts
La loi Macron a mis en œuvre un mécanisme plus contraignant que ceux exposés ci-dessus consistant en un barème d’indemnisation maximal s’imposant aux juges dont les montants étaient compris entre 3 et 27 mois de salaires en fonction de l’ancienneté du salarié et de la taille de l’entreprise. Dans sa décision du 5 août 2015, le Conseil Constitutionnel a censuré ces dispositions considérant que si le législateur pouvait bien plafonner l’indemnisation des salariés pour favoriser l’emploi et la sécurité juridique, il ne pouvait le faire que selon des critères objectifs présentant un lien avec le préjudice subi et non en fonction de la taille de l’entreprise. Ce texte n’est donc pas entré en vigueur. Sans entrer dans le débat consistant à se demander s’il est souhaitable ou non de limiter la liberté de fixation de l’indemnisation par le juge, il faut relever que si le barème concernant les entreprises de moins de 20 salariés qui s’échelonnait entre 3 et 12 mois d’indemnités avait semblé un peu strict, celui concernant les entreprises de plus de 300 salariés et qui s’échelonnait entre 4 et 27 mois ne semblait pas apporter un réel plafonnement dans la mesure où les condamnations concernant des salariés ayant plus de 10 ans d’ancienneté n’atteignent qu’exceptionnellement des sommes supérieures à 18 mois.
Il conviendra donc de vérifier si la prochaine rédaction du texte qui pourrait figurer dans le projet de loi El Khomri de mars 2016 et qui ne comportera plus de distinction selon la taille de l’entreprise, créera un plafonnement effectif par rapport aux pratiques actuelles ou non. Dans l’attente de l’adoption du nouveau texte, les parties devront continuer à évaluer de manière empirique leur chance de succès et les quantums susceptibles d’en découler.
Auteur
Alain Herrmann, avocat associé en droit social.
Quel montant de dommages et intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ? – Article paru dans Les Echos Business le 8 février 2016
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