La modération judiciaire des dépenses du CHSCT
23 août 2017
Le droit du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de recourir à un expert agréé en cas de risque grave ou de projet important modifiant les conditions de santé, de sécurité ou de travail continue d’être source de contentieux.
Le CHSCT ne disposant d’aucune ressource propre, c’est l’employeur qui prend en charge l’ensemble des frais d’expertise, y compris ceux liés à une éventuelle procédure judiciaire. Dans quelle mesure l’employeur peut-il contester les frais engagés par le CHSCT ?
La prise en charge des frais du CHSCT par l’employeur
- Les frais d’expertise
Dans sa rédaction issue de la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 (n° 2013-504), l’article L. 4614-13 du Code du travail disposait que : « Les frais d’expertise sont à la charge de l’employeur. L’employeur qui entend contester la nécessité de l’expertise, la désignation de l’expert, le coût, l’étendue ou le délai de l’expertise, saisit le juge judiciaire. Toutefois, lorsque l’expert a été désigné sur le fondement de l’article L. 4614-12-1, toute contestation relative à l’expertise avant transmission de la demande de validation ou d’homologation prévue à l’article L. 1233-57-4 est adressée à l’autorité administrative, qui se prononce dans un délai de cinq jours. Cette décision peut être contestée dans les conditions prévues à l’article L. 1235-7-1″.
Pour rappel, cette rédaction du texte, a été déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 novembre 2015 (n° 2015-500 QPC) aux motifs que « la combinaison de l’absence d’effet suspensif du recours de l’employeur et de l’absence de délai d’examen de ce recours conduit, dans ces conditions, à ce que l’employeur soit privé de toute protection de son droit de propriété en dépit de l’exercice d’une voie de recours ».
C’est ainsi que la loi Travail du 8 août 2016 (n° 2016-1088) a modifié les dispositions de l’article L. 4614-13 qui dispose désormais que : « Les frais d’expertise sont à la charge de l’employeur. Toutefois, en cas d’annulation définitive par le juge de la décision du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de l’instance de coordination, les sommes perçues par l’expert sont remboursées par ce dernier à l’employeur. Le comité d’entreprise peut, à tout moment, décider de les prendre en charge dans les conditions prévues à l’article L. 2325-41-1 ».
Notons que cette rédaction a elle-même fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité transmise au Conseil constitutionnel par la Cour de cassation dans un arrêt du 13 juillet 2017 (n° 16-28.561). Le Conseil devra se prononcer sur la constitutionnalité du nouvel article L. 4614-13 d’ici le 13 octobre 2017.
- Les frais de justice
Très tôt, la Cour de cassation a étendu la prise en charge par l’employeur des frais relatifs aux dépenses engagées dans le cadre de la contestation de la légitimité de l’expertise CHSCT (Cass. soc., 12 janv. 1999, n°97-12.794) avant de l’étendre plus largement (Cass. soc., 25 juin 2002, n°00-13.375). Ainsi, la Chambre sociale juge aujourd’hui « que le CHSCT, qui a la personnalité morale mais ne dispose d’aucune ressource propre, a le droit d’ester en justice ; que dès lors que son action n’est pas étrangère à sa mission, et en l’absence d’abus, les frais de procédure et les honoraires d’avocat exposés doivent être pris en charge par l’employeur » (Cass. soc., 25 nov. 2015, n°14-22.635).
Dès lors, la question qui se pose pour l’employeur est celle du contrôle de la proportionnalité des honoraires par rapport aux prestations réellement effectuées par les experts ou les avocats. Un employeur peut-il contester le montant des honoraires facturés au CHSCT ?
Possibilité d’obtenir une réduction des frais engagés
Il n’est pas inhabituel qu’outre la validité du recours à l’expertise, le montant des honoraires facturés par l’expert agréé soit contesté par l’employeur. En effet, les sommes en jeu peuvent s’avérer considérables, surtout lorsque l’expertise concerne plusieurs établissements d’une même entreprise. C’est ainsi que la Cour de cassation reconnaît au juge le pouvoir de procéder, après une expertise, à une réduction du montant des honoraires de l’expert au vu du travail effectivement réalisé par ce dernier (Cass. soc., 15 janv. 2013, n°11-19.640). Dans cette affaire, les frais d’expertise ont été réduits de 145 000 à 72 600 euros.
Toutefois, s’agissant des frais d’avocats, il semblait résulter de la formulation retenue par la Cour de cassation qu’il n’y a que l’action étrangère à sa mission ou l’abus du CHSCT qui puissent libérer l’employeur de son obligation de prise en charge.
Par un arrêt du 22 février 2017 (n° 15-10.548), confirmé par une décision récente du 21 juin 2017 (n° 15-27.506), la Chambre sociale a étendu la possibilité pour le juge de procéder à une réduction des honoraires d’avocats engagés par le CHSCT. Elle a en effet jugé qu’ « en cas de contestation, il incombe au juge de fixer le montant des frais et honoraires d’avocat, exposés par le CHSCT, qui seront mis à la charge de l’employeur en application de l’article L. 4614-13 du code du travail, au regard des diligences accomplies« . En l’espèce, les frais d’avocats ont été réduits respectivement de 15 800 à 7 000 euros et de 8 080 à 3 000 euros.
Ainsi, si les frais d’expertise ou d’avocats semblent avoir été surévalués par les intéressés, les juges du fond apprécieront souverainement le montant qui restera effectivement à la charge de l’employeur.
La prise en charge des dépenses du CHSCT par l’employeur et le contrôle judiciaire de celles-ci sont des conséquences nécessaires de l’absence de budget propre au CHSCT. Le contenu des prochaines ordonnances portant réforme du droit du travail sera particulièrement intéressant sur ce point, puisque l’une d’entre elles portera sur la fusion des instances représentatives du personnel. L’occasion pour le Gouvernement de purger définitivement les difficultés liées à l’expertise CHSCT ?
Auteur
Louis Paoli, avocat, droit social
La modération judiciaire des dépenses du CHSCT – Article paru dans Les Echos Business le 7 août 2017
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