Mobilité professionnelle, covoiturage et véhicules de société
29 avril 2022
Initialement répandu pour les déplacements privés, le covoiturage connaît un essor nouveau avec les déplacements professionnels. Écologie, prix du carburant, économies, autant de bonnes raisons qui expliquent l’engouement actuel pour le covoiturage. Pour autant, ce mode de transport interroge lorsqu’il intervient avec un véhicule professionnel.
Faisons le point !
Cadre juridique du covoiturage
En 2021, plus de 1,5 million de trajets ont été référencés dans le Registre de preuve de covoiturage en France.
Né de la pratique, le covoiturage est encadré par le Code des transports depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
En effet, suivant l’article L. 3132-1 du Code du travail introduit par cette loi puis modifié en 2019 : « Le covoiturage se définit comme l’utilisation en commun d’un véhicule terrestre à moteur par un conducteur et un ou plusieurs passagers, effectuée à titre non onéreux, excepté le partage des frais, dans le cadre d’un déplacement que le conducteur effectue pour son propre compte. Leur mise en relation, à cette fin, peut être effectuée à titre onéreux ».
Cette définition légale met en exergue les points suivants :
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- Le texte vise le conducteur et non le propriétaire du véhicule ;
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- Le conducteur effectue un déplacement pour son propre compte ;
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- Le covoiturage n’a pas vocation à générer des bénéfices ;
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- Le conducteur et les passagers se partagent des frais.
Les frais partagés comprennent, notamment, des frais d’entretien, des dépenses de pneumatiques et de carburant, des primes d’assurance, des frais de péage et de stationnement.
De plus, selon l’administration fiscale (1), le conducteur n’a pas à déclarer les revenus issus du covoiturage si les trois conditions suivantes sont respectées :
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- Il effectue le déplacement pour son propre compte ;
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- Le prix proposé aux passagers ne dépasse pas les frais engagés ;
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- Le conducteur conserve à sa charge une quote-part des frais engagés. Les frais engagés ne doivent pas excéder la limite fixée par le barème kilométrique fiscal et doivent être divisés par le nombre de passagers.
A défaut de remplir les conditions ci-dessus, les revenus de covoiturage sont imposables.
Par ailleurs, selon l’article 242 bis 3 du Code général des impôts, les plateformes de mises en relation ont l’obligation d’adresser, au plus tard le 31 janvier de chaque année, un décompte des opérations réalisées et du montant brut perçu à ce titre, à tout utilisateur et à l’administration fiscale, sauf si le conducteur a réalisé moins de 3000€ de recettes ou moins de 20 transactions dans l’année (sur une même plateforme).
Le covoiturage s’invite dans les entreprises
Le covoiturage est devenu un enjeu pour les employeurs.
La loi n°2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (dite Loi LOM) donne une place importante au covoiturage en incitant les entreprises, via le plan de mobilité et la négociation obligatoire sur la QVT, à encourager et à faciliter le recours au covoiturage ainsi qu’à sensibiliser le personnel aux enjeux de l’amélioration de la qualité de l’air.
La loi a instauré le « forfait mobilités durables » qui a remplacé l’indemnité forfaitaire covoiturage et l’indemnité kilométrique vélo.
Le décret 2020-541 du 9 mai 2020 a précisé ce mécanisme. Celui-ci permet à l’employeur de prendre en charge tout ou partie des frais engagés par ses salariés se déplaçant entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail, notamment en tant que conducteur ou passager en covoiturage.
Cette prise en charge prend la forme d’une allocation forfaitaire versée sous réserve de son utilisation effective conformément à son objet.
L’employeur recueille auprès du salarié, lors de chaque année civile, un justificatif de paiement ou une attestation sur l’honneur relatifs à l’utilisation effective d’un ou plusieurs des moyens de déplacement prévus, dont le covoiturage.
Le forfait est exonéré d’impôt sur le revenu et de cotisations sociales dans la limite de 500€ par an et par salarié, limite portée à 600€ euros en cas de cumul du forfait mobilités durables et de la prise en charge obligatoire par l’employeur de l’abonnement de transport en commun.
Enfin, la loi de 2019 a mis en place le « titre-mobilité » qui est une solution dématérialisée et prépayée du « forfait mobilités durables ». Le décret n°2021-1663 du 16 décembre 2021 a précisé ses conditions d’utilisation, notamment auprès des entreprises de covoiturage.
L’application de ces règles aux déplacements professionnels et aux déplacements entre le domicile et le lieu de travail appelle quelques points de vigilance
Covoiturage autorisé
Une société peut mettre à disposition des salariés des véhicules de fonction et/ou des véhicules de service, dont elle est le propriétaire (ou le locataire).
Si le véhicule est de service, son usage est strictement professionnel. A l’inverse, un véhicule de fonction octroie au salarié la possibilité d’un usage privatif en sus d’un usage professionnel, lequel donne lieu à un avantage en nature.
Dans les deux cas, rien n’interdit au salarié de proposer un covoiturage dès lors que le propriétaire du véhicule (l’employeur ou le loueur) l’autorise.
La Cour d’appel de Rennes a jugé que le fait pour un salarié de pratiquer le covoiturage à titre onéreux avec un véhicule de fonction, à l’insu de son employeur, était constitutif d’une faute pouvant justifier le licenciement (CA Rennes 31-août 2018 n° 16/6462).
Covoiturage et frais professionnels
Le remboursement des frais de déplacements professionnels au salarié par la société conduit à ce que le salarié n’assume personnellement aucune quote-part des frais engagés (condition de non-fiscalisation) alors que la société, qui assume entièrement les frais, ne bénéficie d’aucune participation des passagers.
Le covoiturage devient alors rémunérateur pour le salarié qui se fait rembourser par la société les frais engagés et perçoit une indemnisation des passagers (idem pour le salarié utilisant son véhicule personnel pour un déplacement professionnel).
C’est pourquoi, le site de covoiturage Mobicoop prévoit que le conducteur s’engage à « utiliser son véhicule personnel ou, si c’est une voiture de fonction dont les frais sont pris en charge par l’employeur, à ne pas faire payer à son profit les passagers pour les frais du trajet […] ».
Covoiturage et accident de trajet
Conformément à l’article L. 411-2 du Code de la sécurité sociale, est considéré comme un accident du travail, l’accident survenu à un travailleur pendant le trajet d’aller et de retour entre la résidence principale […] et le lieu du travail.
Cet article précise expressément que « Ce trajet peut ne pas être le plus direct lorsque le détour effectué est rendu nécessaire dans le cadre d’un covoiturage régulier ».
Il ressort de ces dispositions que seul le covoiturage régulier, ce qui exclut le covoiturage ponctuel, constitue le cadre autorisé pour la reconnaissance d’un accident de travail.
Relevons par ailleurs que dans le cas d’un covoiturage régulier, il n’est pas exigé, pour la reconnaissance d’un accident de travail, que le conducteur et le passager appartiennent à la même société.
Covoiturage et assurance
Le propriétaire du véhicule doit souscrire au minimum une assurance de responsabilité civile qui couvre les dommages susceptibles d’être occasionnés à des tiers lors d’un sinistre.
Le dédommagement du passager en covoiturage au titre de l’assurance de responsabilité civile suppose toutefois de de vérifier que l’assurance souscrite couvre bien le covoiturage.
(1) Bofip-Impôts n°BOI-IR-BASE-10-10-10-10 relatif à la base d’imposition de l’IR (Partie II : « Non-imposition des revenus perçus dans le cadre d’une activité de co-consommation)
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