Mise en place du télétravail en entreprise : une solution pour faire face aux grèves de transport ?
17 février 2020
Si la France reste très largement derrière ses voisins européens s’agissant du recours au télétravail (entre 8 et 17 % de salariés concernés contre 20 à 30, voire 35 % dans les pays du nord de l’Europe), le récent mouvement de grève, très largement suivi à la SNCF et dans les transports en Ile-de-France, a remis ce mode d’organisation du travail au centre des réflexions des entreprises soucieuses de concilier la poursuite de l’activité et la prise en compte des difficultés de transport rencontrées par leurs salariés.
Focus sur un dispositif récemment assoupli pour favoriser l’accès au télétravail du plus grand nombre.
Un dispositif recouvrant une grande diversité de situations
Selon l’article L.1222-9 du Code du travail, le télétravail vise toute « organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication ».
Dans ces conditions, le télétravail peut prendre des formes très diverses, être formalisé ou non, sédentaire (au domicile) ou nomade (en tout lieu), pendulaire (alternance de périodes de travail dans l’entreprise et en dehors de celle-ci) ou permanent (travail effectué uniquement hors de l’entreprise), régulier ou occasionnel.
A cet égard, c’est l’ordonnance du 22 septembre 2017 qui a supprimé dans le Code du travail l’exigence de régularité du travail hors des locaux jusqu’à lors nécessaire pour entrer dans la définition du télétravail prévues par les dispositions légales et les stipulations de l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005.
Ainsi, depuis le 24 septembre 2017, une entreprise peut mettre en place un télétravail régulier ou y recourir de manière occasionnelle, soit à la demande du salarié, soit pour faire face à des situations particulières telles qu’une grève de transport, des intempéries, des pics de pollution, des épidémies, etc.
Une grande souplesse de mise en œuvre du télétravail
Sous l’empire des dispositions antérieures à l’ordonnance du 22 septembre 2017, le télétravail pouvait être mis en place par un accord de l’employeur et du salarié résultant du contrat de travail ou d’un avenant à celui-ci.
Désormais, la mise en place du télétravail, qu’il soit régulier ou occasionnel, doit se faire « dans le cadre d’un accord collectif ou à défaut, dans le cadre d’une charte » élaborée unilatéralement par l’employeur, après avis du comité social et économique.
La loi fixe les mentions que doit comporter l’accord ou la charte : conditions du passage en télétravail, modalités d’acceptation du salarié, de contrôle du temps de travail et de régulation de la charge de travail, détermination des plages horaires auxquelles le salarié peut être joint, ainsi que les modalités d’accès du salarié handicapé à une organisation en télétravail.
Il semble en résulter pour l’entreprise dotée de délégués syndicaux qui souhaite mettre en place collectivement le télétravail, une obligation d’engager des négociations préalables sur ce sujet. Ce n’est donc qu’en cas d’échec des négociations que l’employeur pourrait mettre en place le télétravail par une charte unilatérale.
A première vue, les nouvelles dispositions ont donc rigidifié les conditions de mise en place du télétravail. En réalité, il n’en est rien puisque le législateur a laissé subsister la faculté de mettre en place le télétravail au cas par cas, que celui-ci soit régulier ou occasionnel. Il prévoit en effet que « en l’absence d’accord ou de charte, lorsque l’employeur et le salarié décident de recourir au télétravail, ils formalisent leur accord par tout moyen ».
Une question demeure cependant sur le point de savoir si l’usage de cette faculté suppose qu’une négociation ait été engagée au préalable avec les organisations syndicales représentatives. Il semble possible de retenir que si la mise en œuvre collective du télétravail impose une négociation préalable dans les entreprises dotées de délégués syndicaux, sa mise en place individuelle n’impose pas une telle négociation.
Un dispositif fondé sur le volontariat
La mise en place du télétravail repose sur le double volontariat de l’entreprise et du salarié.
S’agissant de l’employeur, et contrairement à une idée reçue, il n’est pas tenu d’accéder à la demande de télétravail d’un salarié même si celui-ci, compte tenu de la nature de son activité, est éligible à ce mode d’organisation du travail : il n’y a donc pas à proprement parler de droit du salarié au télétravail qui obligerait l’employeur à le lui accorder.
La seule obligation prévue par la loi est celle qui impose à l’employeur de motiver son éventuel refus lorsque le télétravail est mis en place par un accord collectif ou une charte et que le salarié occupe un poste éligible ou lorsque la demande émane d’un travailleur handicapé ou d’un proche aidant.
S’agissant du salarié, le télétravail ne peut lui être imposé. La jurisprudence décide en effet que le fait d’exiger d’un salarié qu’il travaille à son domicile (Cass. soc., 2 octobre 2001, n°99-42.727) ou, au contraire, d’exiger d’un salarié en télétravail qu’il vienne travailler dans les locaux de l’entreprise, constitue une modification du contrat de travail qu’il est en droit de refuser.
Une exception existe cependant à l’obligation de recueillir l’accord du salarié à la mise en place du télétravail lorsque celui-ci est destiné à permettre de faire face notamment à des menaces d’épidémie ou en cas de force majeure.
Hormis ce dernier cas, l’employeur doit donc s’assurer de l’accord du salarié à l’application de ce mode d’organisation du travail. Cet accord sera formalisé de façon différente selon que l’entreprise a ou non conclu un accord mettant en place le télétravail.
Lorsqu’il existe un accord collectif ou une charte, la loi indique que ce document précise les modalités d’acceptation par le salarié du télétravail.
En l’absence d’accord ou de charte, le Code du travail prévoit en revanche que l’employeur et le salarié formalisent leur accord par tout moyen (messagerie, etc.).
Cependant, l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 relatif au télétravail, exige que le passage en télétravail fasse l’objet d’un avenant au contrat de travail. Néanmoins, il est possible, depuis le 1er janvier 2018, de déroger par accord d’entreprise aux stipulations d’un accord national interprofessionnel : en l’absence d’accord collectif prévoyant d’autre modalités d’acceptation, l’exigence formelle d’un avenant au contrat demeure requise.
Ainsi, en cas de mise en œuvre du télétravail de manière individuelle ou en application d’une charte établie unilatéralement par l’employeur, la conclusion d’un avenant reste nécessaire. La portée de cette obligation doit cependant être relativisée puisque dans tous les cas l’employeur doit se ménager une preuve de l’accord du salarié pour un passage au télétravail.
Le télétravailleur, un salarié comme les autres ?
Le Code du travail rappelle que le télétravailleur bénéficie des mêmes droits que les salariés qui exercent leur activité dans les locaux de l’entreprise.
A cet égard, et bien que les dispositions issues de l’ordonnance aient supprimé l’obligation pour l’employeur de prendre en charge les frais exposés par le salarié dans le cadre du télétravail, il semble bien que cette obligation demeure.
En effet, selon une jurisprudence constante, il existe une obligation générale de prise en charge par l’employeur des frais exposés par le salarié dans le cadre de son activité professionnelle (Cass. soc., 25 février 1998, n°95-44.096). L’employeur peut :
-
- soit rembourser au salarié les frais relatifs à l’exercice de son activité en télétravail réellement engagés sur présentation de justificatifs ; ces sommes sont considérées comme des frais professionnels et sont à ce titre exonérées de cotisations et contributions sociales ;
-
- soit lui allouer une allocation forfaitaire. Dans une note publiée récemment sur son site, l’URSSAF admet que l’allocation forfaitaire est réputée utilisée conformément à son objet et exonérée de cotisations et de contributions sociales dans la limite globale de 10 euros par mois pour une journée de télétravail par semaine, de sorte que la fourniture de justificatifs n’est plus systématique pour bénéficier de cette exonération. En revanche, des justificatifs restent nécessaires en cas de remboursement dépassant cette limite.
Par ailleurs, en cas d’accident survenu au salarié au cours d’une journée de télétravail, celui-ci bénéficie de la présomption d’accident du travail attachée aux accidents survenus au temps et au lieu de travail.
Outre ces obligations de droit commun vis-à -vis de ses salariés, l’employeur doit respecter des obligations particulières à l’égard des salariés en télétravail. Il doit ainsi les informer de toute restriction à l’usage d’équipements, d’outils informatiques ou de services de communication électronique et des sanctions en cas de non-respect de telles restrictions ; leur donner une priorité d’accès à la reprise d’un poste sans télétravail et porter à sa connaissance ces postes lorsqu’ils sont disponibles ; enfin, organiser chaque année un entretien portant notamment sur les conditions d’activité du salarié et sa charge de travail.
Rappelons enfin que si le télétravailleur a les mêmes droits que les autres salariés, il a aussi les mêmes obligations ce qui justifie le contrôle par l’employeur de l’exécution du travail.
On le voit, soucieux de tenir compte d’un contexte de forte mutation technologique, le législateur de 2017 a voulu adapter le cadre juridique du télétravail pour en favoriser le développement. Mais quelles que soient les évolutions juridiques, un tel résultat ne pourra être atteint qu’à la condition que soient levés les freins culturels au développement du télétravail qui tiennent principalement à l’existence de schémas traditionnels fondés sur le présentéisme et à la subsistance d’une certaine défiance entre l’employeur et le salarié.
Notons d’ailleurs que le recours au télétravail pendant la grève a permis à certaines entreprises de réduire l’impact du mouvement social sur leur activité.
Article publié dans Les Echos Executives le 17/02/2020.Â
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