Mère-fille : nouveau mode d’emploi
Indispensable au bon fonctionnement des groupes, surtout en présence de filiales qui ne peuvent être intégrées fiscalement (telles que des filiales détenues à moins de 95% ou des filiales étrangères), ce régime a connu au cours du dernier trimestre 2014 une forte zone de turbulence jurisprudentielle et législative. Revue d’actualité.
Le régime mère-fille permet à une société mère d’exonérer les dividendes qu’elle reçoit de ses filiales à hauteur de 95% de leur montant (sous réserve de la réintégration d’une «quote-part de frais et charges» égale à 5% du dividende) dès lors que les titres détenus dans ses filiales le sont sous la forme nominative, représentent au minimum 5 % du capital de la société émettrice et sont détenus pendant une durée minimale de deux ans.
1. Une détention d’au moins 5 % du capital de la société émettrice : qui dit «capital» ne dit pas «droits de vote»
L’administration soutenait jusqu’ici qu’une société mère devait nécessairement, pour prétendre au régime mère-fille, détenir au moins 5% du capital et des droits de vote de sa filiale. Pour considérer que ne pouvaient pas en bénéficier les sociétés détenant 5% du capital mais moins de 5% des droits de vote (situation rendue fréquente par l’introduction dans notre droit des sociétés des actions «de préférence»), elle tirait argument de la lettre du 6-b-ter de l’article 145 du CGI (ainsi que des travaux parlementaires ayant présidé à l’adoption de ce texte) selon lequel le régime mère-fille est réservé aux sociétés mères qui détiennent plus de 5% de droits de vote dans leurs filiales.
Par deux arrêts récents (CE 5 novembre 2014 n°370650, Sté Sofina ; CE 3 décembre 2014 n°363819, Sté Financière Pinault), le Conseil d’Etat a remis en cause cette position et introduit une distinction entre la définition des dividendes éligibles au régime mère-fille et le champ d’application dudit régime. Il a en effet considéré que l’article 145 du CGI n’exige pas pour l’appréciation du seuil de détention de 5% que des droits de vote soient attachés à chacun des titres ni que les droits de vote afférents soient strictement proportionnels au capital.
En d’autres termes, on savait déjà que les participations inférieures à 5% du capital n’étaient pas éligibles au régime mère-fille, mais aussi que celles supérieures à 5% du capital et des droits de vote étaient éligibles à ce régime, y compris pour les titres privés de droits de vote.
L’apport de ces deux arrêts est de confirmer l’éligibilité au régime de participations représentant plus de 5% du capital mais moins de 5% des droits de vote. Dans une telle hypothèse, deux alternatives doivent être distinguées:
- l’ensemble des titres détenus sont assortis d’un droit de vote (par exemple dans le cas d’une filiale dont certains titres détenus par d’autres actionnaires disposent de droits de vote doubles) : dans ce cas, la totalité des dividendes perçus bénéficie du régime mère-fille ;
- certains titres détenus sont privés de droits de vote : dans ce cas, seuls les dividendes reçus à raison des titres disposant du droit de vote bénéficient du régime mère-fille.
2. Une détention d’une durée minimum de deux ans : qui peut le moins peut le plus…
Le régime mère-fille ne s’applique qu’aux titres détenus pendant au moins deux ans. Par deux décisions, le Conseil d’Etat a apporté certaines précisions quant à l’appréciation du respect de cette obligation de conservation.
Dans une affaire concernant une opération de prêt de titres (CE 26 septembre 2014 n°363555, Sté Artémis Conseil), le Conseil d’Etat a rappelé qu’un prêt de titres financiers ne pouvait être considéré comme un simple motif de suspension du délai de conservation de deux ans posé par l‘article 145 du CGI. Dès lors, le prêt de titres ayant bénéficié du régime mère-fille mais intervenant moins de deux ans après leur acquisition méconnaît l’obligation de conservation prévu et fait perdre rétroactivement le bénéfice de l’exonération à 95 % des dividendes reçus avant la réalisation du prêt.
L’affaire Technicolor (CAA Versailles 18 mars 2014 n° 13VE00873 et CE 15 décembre 2014 n°380942) concernait, quant à elle, la question du champ d’application de l’obligation de conservation des titres de la société filiale. Dans un cas où la société mère prend soin de toujours conserver un «socle» de titres représentant une participation d’au moins 5% du capital de sa filiale, peut-elle bénéficier du régime mère-fille à raison des dividendes reçus de titres qui ne sont pas conservés pendant deux ans ? Autrement dit, l’intégralité des titres pour lesquels une exonération à 95% est demandée doit-elle être conservée pendant la durée minimum de deux ans ou cette exigence ne concerne-t-elle que les 5% minimums ?
Solution très favorable retenue par le Conseil d’Etat (censurant ainsi l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles) qui juge que l’exigence de conservation ne s’applique qu’aux titres nécessaires pour rendre éligibles la participation au régime mère-fille (soit le fameux «socle» de 5%) et non titre par titre.
Pour arriver à cette solution, la Haute assemblée a considéré qu’il convenait d’interpréter l’article 145 du CGI à la lumière de la directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990, et ce tant dans des situations internationales que purement internes, dans la mesure où ce texte assure la transposition des objectifs de la directive.
3. Une détention directe des titres de la société filiale : fille vs. petite-fille
Dans quelle mesure peut-on considérer que des titres détenus par une société mère dans une société filiale par l’intermédiaire d’un véhicule interposé transparent fiscalement constituent une participation éligible au régime mère-fille ?
La question a été posée au Conseil d’Etat (CE 24 novembre 2014 n° 363556, Sté Artémis SA) dans le cas d’une société française détenant, par l’intermédiaire d’un partnership américain, une participation dans une société américaine. Si cette participation avait été détenue directement par la société mère française, les dividendes afférents auraient été éligibles au mère-fille.
La société requérante soutenait qu’il convenait de tirer l’ensemble des conséquences en France de la transparence fiscale du partnership interposé. Le Conseil d’Etat ne l’a pas entendu de cette oreille et a rappelé sa jurisprudence qui ne reconnaît pas la «transparence» fiscale des sociétés de personnes mais ne leur concède qu’une «translucidité» semblable à celles des sociétés soumises à l’article 8 du CGI.
Si l’on considère qu’une société étrangère transparente doit être traitée comme une société translucide française, quelle conclusion peut-on en tirer pour l’application du régime mère-fille ? Tout d’abord que ce régime ne peut trouver à s’appliquer à raison d’une participation détenue indirectement, fût-ce par l’intermédiaire d’une société de personnes, tant française qu’étrangère. En effet, s’il est vrai que l’article 238 bis K du CGI pose le principe selon lequel le résultat d’une société de personnes doit être déterminé en fonction du régime fiscal appliqué à ses associés, le régime mère-fille ne s’applique qu’à des entités soumises à l’impôt sur les sociétés ce qui n’est pas le cas d’une société de personnes (quand bien même le résultat déterminé à son niveau le serait selon les règles applicables en matière d’impôt sur les sociétés).
Cette solution, applicable à toutes les sociétés de personnes ou assimilées quelle que soit leur nationalité, remet en évidence l’une des contraintes fortes du régime de translucidité (et fait regretter le projet de réforme avorté de 2010 du traitement fiscal des sociétés de personnes qui avait notamment pour finalité de permettre l’application du régime mère-fille à des dividendes reçus par l’intermédiaire d’une société transparente fiscalement).
On notera en revanche une avancée appréciable introduite par la loi de finances rectificative pour 2014 : le régime mère-fille peut désormais s’appliquer aux participations détenues par l’intermédiaire d’une fiducie1.
4. Les dividendes éligibles : haro sur les produits «hybrides» !
Le législateur est intervenu en fin d’année dernière pour transposer en droit interne la directive 2014/86/UE du 8 juillet 2014 visant à exclure du bénéfice du régime mère-fille les revenus, considérés comme des dividendes chez la société mère française mais qui seraient déductibles du résultat imposable de la filiale étrangère.
Le projet de loi de finances rectificative tel qu’adopté par le Parlement allait encore plus loin en privant de l’exonération mère-fille les dividendes prélevés sur les bénéfices d’une filiale qui n’ont pas été soumis à l’impôt sur les sociétés ou un impôt équivalent. Cette disposition a cependant été censurée par le Conseil constitutionnel qui l’a trouvée trop imprécise.
Enfin, d’un point de vue prospectif, il faut noter que le Conseil de l’Union européenne a adopté le 27 janvier dernier la directive 2015/121/UE visant à encadrer l’application du régime mère-fille dans des situations transfrontalières.
Aux termes de ce nouveau texte, les Etats membres ne devront plus accorder le bénéfice du régime mère-fille aux dividendes reçus de filiales étrangères dans le cadre d’un montage ou d’une série de montages «qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité de la présente directive, n’est pas authentique compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents». La directive définit un montage comme non authentique lorsque celui-ci «n’est pas mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique».
Ce texte, dont la transposition en droit interne français doit intervenir avant la fin de l’année 2015, fait écho au plan d’action BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) de l’OCDE. On observera avec intérêt la façon dont le législateur français apportera les précisions nécessaires à l’interprétation de cette disposition communautaire dont la limpidité n’est pas flagrante.
Note
1. cf. M. Collet et A. Bordenave, «La fiducie après la loi de finances rectificative pour 2014 : enfin neutre ?», Option Finance, 9 février 2015.
Auteurs
Laurent Hepp, avocat associé, en droit fiscal.
Florian Burnat, avocat, en droit fiscal
*Mère-fille : nouveau mode d’emploi* – Article paru dans le magazine Option Finance le 2 mars 2015