MAR ou le nouveau défi imposé aux émetteurs et aux intermédiaires de marchés
Avec l’entrée en vigueur le 3 juillet 2016 du règlement européen n°596/2014 sur les abus de marché (MAR, pour Market Abuse Regulation en anglais), le droit des abus de marchés constitue plus que jamais, une préoccupation majeure pour les acteurs de marchés.
Fondamentalement, la définition de l’information privilégiée n’a guère évolué : constitue une information privilégiée, « une information à caractère précis qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés » (article 7.1 du règlement MAR). Ce qui change, et qui constitue un sujet d’inquiétude pour les émetteurs et les intermédiaires de marchés, c’est avant tout le formalisme afférant aux obligations pesant sur l’émetteur dès lors qu’il constate l’existence d’une information privilégiée, qui lui s’est considérablement accru.
Ainsi, l’obligation de publication immédiate de l’information privilégiée demeure avec, comme sous l’empire des textes antérieurs, la possibilité pour l’émetteur de différer cette publication à condition pour lui, d’y avoir un intérêt légitime, de garantir la confidentialité de l’information et que la rétention de celle-ci ne soit pas de nature à tromper le marché. En revanche, cette décision de report doit désormais être constatée par écrit dès qu’elle est prise, puis notifiée par email à l’AMF immédiatement après la publication de l’information, l’AMF pouvant en outre réclamer des explications et tout justificatif sur le respect des conditions du report.
Un autre exemple de nouveau formalisme imposé réside dans l’établissement des listes d’initiés : les émetteurs ne pourront plus se contenter d’établir une liste d’initiés permanents ayant un accès régulier à des informations privilégiées et éventuellement des listes d’initiés occasionnels ; ils devront en outre tenir une liste pour chaque information privilégiée, ces listes devant être mises à jour en temps réel et indiquer des informations aussi bien professionnelles que personnelles, telles que le numéro de téléphone privé des intéressés. On notera également le raccourcissement des délais pour signaler les opérations sur titres des dirigeants qui doivent être déclarées dans les trois jours ouvrables suivant la transaction contre cinq jours de bourse auparavant.
Si dans le meilleur des cas, le nouveau dispositif MAR n’entraîne « que » des contraintes supplémentaires en matière de traitement de l’information privilégiée pour des émetteurs qui se croyaient déjà aguerris à l’exercice sous l’empire de l’ancienne directive abus de marché, il n’en créé pas moins, purement et simplement, de nouvelles obligations pour des émetteurs qui jusqu’alors n’étaient pas assujettis à cette réglementation. Le règlement MAR s’applique en effet désormais à tout émetteur dont les titres financiers sont admis aux négociations sur un marché réglementé, un système multilatéral de négociation ou un système organisé de négociation, ce qui vise en France, Euronext, Alternext et le Marché Libre.
Et tout cela est sans compter la mise en place d’un dispositif de signalement des abus de marchés et de protection des lanceurs d’alerte combinée à l’aggravation des sanctions en cas de non-respect d’une réglementation d’autant plus complexe qu’elle résulte tout à la fois des dispositions du règlement MAR et de ses différents règlements délégués et d’exécution (tous d’application directe) que du Code monétaire et financier, du règlement général de l’AMF et des positions et recommandations de l’AMF et de l’ESMA.
Pour aider les émetteurs et les intermédiaires de marchés à se retrouver dans ce dédale réglementaire, et surtout les accompagner dans la mise en œuvre de nouvelles procédures internes de traitement de l’information privilégiée, des documents à vocation pratique et pédagogique tels que le guide de l’AMF , le guide de l’ANSA ou les questions-réponses de l’AMAFI seront sans aucun doute d’une utilité précieuse.
La réforme avait notamment pour objectif une meilleure uniformité de la réglementation des abus de marchés au niveau communautaire et l’adaptation du droit aux évolutions de marchés et des comportements qui ont pu y être observés. Après quelques mois d’application, il est sans doute encore trop tôt pour juger de l’efficacité du nouveau dispositif, mais force est de constater qu’il pose bon nombre de questions et de difficultés d’interprétation, et qu’il génère des complications et des coûts de mise en conformité souvent perçus comme inutiles et excessifs par les acteurs de marchés. En d’autres termes, autant de freins aux potentiels nouveaux entrants sur les marchés financiers que de motifs de retrait pour les émetteurs actuels.
Auteur
Rosetta Ferrère, avocat Counsel, Marchés de capitaux.