De l’usage de la langue française dans les relations de travail
11 mai 2015
L’usage obligatoire de la langue française a d’abord été imposé aux offres et contrats de travail par la loi du 31 décembre 1975 avant d’être étendu à l’ensemble de la législation sociale avec la «loi Toubon» du 4 août 1994.
Source d’un contentieux nourri, revenons sur les principales déclinaisons de l’obligation d’user de la langue française, de la parution d’une offre d’emploi à la rupture du contrat de travail.
Le recrutement et l’embauche
Les offres d’emplois
Selon l’article L.5331-4 du Code du travail, les offres d’emploi doivent être rédigées en français.
Il en est notamment ainsi pour les postes à pourvoir sur le territoire français, peu important la nationalité de l’auteur de l’offre ou de l’employeur, mais également pour les postes à pourvoir hors du territoire français, dès lors que l’auteur de l’offre ou l’employeur est français.
En outre, si l’emploi est désigné par un terme étranger difficilement traduisible, l’employeur devra fournir une description détaillée du poste.
Rappelons que la violation de ces dispositions est passible d’une contravention de troisième classe et de quatrième classe en cas de récidive (article R.5334-1 du Code du travail).
Le contrat de travail
L’article L.1221-3 du Code du travail prévoit que tout contrat de travail établi par écrit est rédigé en français. Plus précisément, le contrat d’un salarié français, qu’il soit exécuté en France ou à l’étranger, doit être rédigé en français.
Toutefois, concernant les salariés étrangers bénéficiant d’un contrat écrit, ces derniers peuvent solliciter la traduction de leur contrat dans leur langue, les deux contrats faisant alors foi au regard de la justice.
La violation des dispositions susvisées n’est pas sanctionnée par la nullité du contrat de travail, mais par la possibilité pour le salarié d’exiger de son employeur la délivrance d’un contrat de travail conforme (Cass.soc., 19 mars 1986, n°84-44.279) et par l’inopposabilité des clauses du contrat non conforme.
L’exécution du contrat de travail
Les documents comportant des obligations ou dispositions nécessaires à l’exécution du travail
L’article L.1321-6 du Code du travail consacre l’usage obligatoire du français pour tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail. Ainsi, dans l’hypothèse où des documents seraient rédigés dans une langue étrangère, une traduction serait nécessaire.
A cet égard, il a été jugé qu’un salarié pouvait se prévaloir de l’inopposabilité de documents fixant les objectifs nécessaires à la détermination de sa rémunération variable contractuelle dès lors qu’ils sont rédigés en anglais (Cass.soc., 2 avril 2014, n°12-30.191).
Par exception, l’alinéa 3 de l’article L.1321-6 du Code du travail précise que ces dispositions ne concernent pas les documents reçus de l’étranger ou destinés à des étrangers.
Or, cet alinéa est source de contentieux puisqu’il est difficile de déterminer ce que recouvre la notion de « document« , d’une part, et ce que signifie l’expression est de « reçu de l’étranger« , d’autre part.
Telles sont les questions qui ont été tranchées dans une première espèce par le tribunal de grande instance de Nanterre. Dans cette affaire, les juges ont estimé que l’obligation de traduction s’appliquait à tout document, matériel ou immatériel, dès lors où ils étaient nécessairement utilisés par les salariés pour exécuter leur travail. Il s’agissait au cas particulier de logiciels et des bases de données, lesquels devaient être mis à disposition des salariés en version française, et ce, peu important le nombre, fût-il faible, de salariés devant les utiliser (TGI Nanterre, 27 avril 2007, n°07-1901).
Rappelons que sont seuls soustraits à cette obligation les documents liés à l’activité de l’entreprise de transport aérien dont le caractère international implique l’utilisation d’une langue commune, dès lors que, pour garantir la sécurité des vols, il est exigé des utilisateurs, comme condition d‘exercice de leurs fonctions, qu’ils soient aptes à lire et à comprendre des documents techniques rédigés en langue anglaise (Cass.soc., 12 juin 2012, n°10-25.822).
Les autres documents
Le règlement intérieur (article L.1321-6 du Code du travail), ainsi que tous les documents assimilés, doivent être rédigés en français, même s’ils peuvent être accompagnés d’une traduction en langue étrangère.
Il en est de même pour les conventions et accords collectifs (article L.2231-4 du Code du travail), pour lesquels toute clause rédigée en langue étrangère serait inopposable au salarié auquel elle ferait grief.
Enfin, la rédaction en français s’impose aussi pour les documents transmis aux représentants du personnel, tel que le comité d’entreprise européen, lesquels doivent au moins comporter une version en français (articles L.2343-17, L.2353-21 et L.2362-8 du Code du travail).
La rupture du contrat de travail
L’entretien préalable au licenciement
L’entretien doit être mené dans une langue compréhensible tant par le salarié que par l’employeur. A défaut, l’employeur et le salarié devront recourir à un interprète accepté par les deux parties (Cass.soc., 8 janvier 1997, n°95-41085).
La démission
La démission doit se manifester par une volonté claire et non équivoque du salarié. Toutefois, des difficultés peuvent s’élever en cas de mauvaise compréhension de la langue française par le salarié. Il convient dans ce cas d’être particulièrement vigilant concernant l’écrit remis par le salarié afin d’éviter ensuite toute remise en cause possible de sa démission.
Le licenciement
La notification du licenciement devra naturellement intervenir en langue française.
Enfin, et concernant la production d’un document en langue étrangère dans le contentieux prud’homal, rappelons d’abord que le juge dispose du pouvoir souverain d’apprécier la force probante des éléments versés aux débats.
Il conviendra de traduire les documents rédigés en langue étrangère (la traduction est valable sauf en cas de contestation), afin que ceux-ci ne puissent pas être écartés des débats.
Auteur
Marie-Laure Tredan, avocat en droit du travail, droit pénal du travail et droit de la protection sociale
*De l’usage de la langue française dans les relations de travail* – Article paru dans Les Echos Business le 11 mai 2015
A lire également
ChatGPT : utilisations et risques en entreprise... 9 mai 2023 | Pascaline Neymond
Recours abusif au statut d’auto-entrepreneur : gare à la requalification en C... 12 avril 2017 | CMS FL
Alcool au travail : à quelles conditions ?... 14 août 2019 | CMS FL Social
Falsification de factures personnelles : le licenciement pour faute grave est ju... 12 mars 2019 | CMS FL
Le salarié créateur de logiciel : l’articulation délicate entre droit d’a... 4 août 2017 | CMS FL
Rupture du contrat de travail du directeur général d’une filiale... 7 novembre 2018 | CMS FL
Protection des lanceurs d’alerte : juges et législateur au diapason... 13 juillet 2016 | CMS FL
Alcool et entreprise ne font pas toujours bon ménage... 26 novembre 2013 | CMS FL
Articles récents
- L’action en nullité d’un accord collectif est ouverte au CSE
- Complémentaire santé : vigilance sur la rédaction des dispenses d’adhésion
- Précisions récentes sur la portée de l’obligation de sécurité de l’employeur dans un contexte de harcèlement
- La jurisprudence pragmatique du Conseil d’Etat en matière de PSE unilatéral : Délimitation du périmètre du groupe (Partie I)
- Détachement, expatriation, pluriactivité : quelques nouveautés en matière de mobilité internationale
- Avenant de révision-extinction d’un accord collectif : « Ce que les parties ont fait, elles peuvent le défaire »
- Dialogue social et environnement : la prise en compte des enjeux environnementaux à l’occasion des négociations collectives d’entreprise
- L’accès de l’expert-comptable du CSE aux informations individuelles relatives aux salariés lors de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise
- Conférence : Sécuriser vos pratiques pour limiter les risques juridiques dans l’entreprise (risque pénal, congés payés, RPS)
- Le recours à un client mystère : une méthode de contrôle loyale à condition d’être transparente