Loyer : la régularisation des charges en question
La question posée à la cour d’appel de Paris était celle de savoir si le bailleur qui n’a pas procédé à la régularisation annuelle des charges pendant plus de cinq ans peut être déchu de son droit à demander cette régularisation.
En l’occurrence, un bail renouvelé antérieurement à la loi n°2014-626 du 18 juillet 2014 stipulait qu’un apurement des comptes aurait lieu au moins une fois par an. Le locataire prétendait que le manquement à cette obligation d’apurement annuel des comptes privait le bailleur de toute possibilité de régularisation. La Cour d’appel n’a pas suivi le locataire dans son argumentation et a jugé que, si le bail faisait la loi des parties, ni cette convention ni la législation applicable à celle-ci ne prévoyaient d’autres sanctions en cas de manquement à cette obligation de régularisation que l’application de la prescription quinquennale de droit commun prévue à l’article 2224 du Code civil.
Le défaut de régularisation annuelle des comptes de charges ne pouvait donc pas constituer une contestation sérieuse au droit du bailleur d’obtenir, dans la limite de la prescription quinquennale, les sommes qui lui étaient dues après avoir communiqué au locataire le décompte et les justificatifs de la régularisation (CA Paris, 14 décembre 2017, n°16/21416).
Cette solution avait déjà été retenue en matière de baux d’habitation : le non-respect de la régularisation annuelle des charges ne prive pas le bailleur du droit de réclamer le paiement des charges dès lors qu’elles sont justifiées (Cass. 3e civ., 20 décembre 1995, n° 93-20.123 ; Cass. 3e civ., 3 avril 1996, n°94-13.891), la seule limite étant la prescription.
On ne peut qu’adhérer à cette décision. Le locataire eut été en l’espèce bien mieux inspiré en sollicitant l’allocation de dommages-intérêts pour régularisation tardive des charges lui causant un préjudice (en ce sens, Cass. 3e civ., 21 mars 2012, n°11-14.174).
L’allocation de dommages- intérêts pour régularisation tardive n’est certes pas automatique mais peut se justifier dans certaines circonstances telles celles faisant ressortir la mauvaise foi du bailleur dans l’exécution du contrat ou le caractère déloyal et brutal de la demande. La Cour de cassation a même jugé, en matière de baux commerciaux, qu’en l’absence de régularisation des charges, le remboursement des provisions versées par le locataire devait être ordonné (Cass. 3e civ., 5 novembre 2014, n°13-24.451 ; Cass. 3e civ., 9 juin 2015, n°14-13.555).
Pour les baux conclus ou renouvelés depuis le 5 novembre 2014, c’est désormais la loi qui fait obligation au bailleur de communiquer tous les ans, avec une date butoir, un état récapitulatif de l’inventaire des catégories de charges répercutées sur les locataires avec la régularisation des comptes de charges. L’article L 145-15 du Code de commerce répute non-écrits les clauses, stipulations et arrangements ayant pour effet de faire échec aux dispositions de l’article L.145-40-2 du même Code, dont sont issues les règles précitées de répercussion et régularisation des charges. Se pose dès lors la question de la sanction applicable en cas d’irrespect de cette clause. A minima, la jurisprudence précitée rendue pour les baux conclus ou renouvelés avant le 5 septembre 2014 s’appliquera, mais l’obligation de restituer des acomptes provisionnels sera-t-elle généralisée ?
Auteur
Brigitte Gauclère, avocat counsel, droit commercial, droit de la distribution et immobilier