Lorsque l’intérêt du groupe sauve un cautionnement des griffes de la période suspecte
L’efficacité d’un cautionnement ou d’une sûreté hypothécaire donné par une société, en garantie des dettes d’une autre société, est relativement aléatoire, même si la société (souvent une SCI) qui octroie la garantie appartient au même groupe que la société qui bénéficie de cette garantie. On se rappelle en effet que selon la Cour de cassation, un tel « cautionnement même accordé par le consentement unanime des associés n’est pas valide s’il est contraire à l’intérêt social » (arrêts des 8 nov. 2011 et 12 sept. 2012). Cette solution, certes très protectrice des intérêts de la société garante, entraîne une forte insécurité pour le créancier, en général une banque, bénéficiaire de la garantie : la sûreté peut être annulée par un juge qui l’estimerait contraire à l’intérêt social.
Aussi, la solution énoncée dans un récent arrêt apporte-t-elle, un peu, de sérénité (arrêt du 19 nov. 2013). Au cas particulier, une SCI qui avait, selon le schéma classique, délivré une sûreté hypothécaire en garantie d’une ouverture de crédit bancaire consentie à sa société mère, fut soumise à une liquidation judiciaire. La question a alors été de savoir si l’octroi de la garantie était susceptible de tomber sous le coup des nullités de la « période suspecte » laquelle s’écoule de la date à laquelle le tribunal statue à la date, déterminée dans le jugement ouvrant la procédure d’insolvabilité, de la cessation des paiements (qui peut remonter au plus à 18 mois). Parmi ces nullités qui jouent de plein droit, on trouve notamment les « les actes à titre gratuit translatifs de propriété mobilière ou immobilière » (article L. 632-1, I, 1° du code de commerce).
Le cautionnement hypothécaire donné par la filiale en garantie des dettes de la mère est-il consenti à titre gratuit ? Oui d’une certaine manière, puisque la filiale s’engage unilatéralement à payer une dette qui ne lui incombe pas. Et il est arrivé dans le passé à la Cour de cassation de retenir cette qualification, pour en déduire la nullité de la garantie constituée en période suspecte, notamment dans une hypothèse où la caution avait été délivrée par la société mère en garantie d’engagements pris par une filiale (arrêt du 25 févr. 1986).
L’arrêt commenté raisonne différemment. Plus exactement, il valide l’analyse de la cour d’appel tout en se rangeant derrière les constatations relevant du pouvoir souverain des juges du fond. Ces derniers avaient relevé qu’il existait un groupe de deux sociétés ; que la société cautionnée était l’associée majoritaire de la société caution ; et que celle-ci, en tant que filiale, avait un intérêt à favoriser le financement de sa société mère, laquelle pourra ainsi participer à son propre développement. Pour la Cour de cassation, les magistrats d’appel ont pu en déduire que l’acte litigieux avait une contrepartie et décidé que le cautionnement litigieux ne constituait pas un acte à titre gratuit au sens de l’article L. 632-1 précité.
Faut-il voir dans l’arrêt de 2013 un retour à la notion de « communauté d’intérêt » qui, avant les arrêts évoqués plus haut, permettait de valider les cautionnements donnés par les SCI au bénéfice d’une société d’exploitation ?
Sans doute pas. L’arrêt ne tranche pas la question de la validité du cautionnement, mais uniquement celle de son opposabilité à la procédure. Et encore, l’opposabilité n’est envisagée ici qu’au regard de l’une des causes possibles d’annulation d’un acte accompli en période suspecte. Rien ne dit que le cautionnement examiné ne serait pas annulable en arguant qu’il s’agit d’un « contrat commutatif dans lequel les obligations du débiteur excèdent notablement celles de l’autre partie » (article L. 632-1, I, 2°). En d’autres termes, la sécurité apportée par l’arrêt commenté à ce type d’opération n’est que très relative.
A propos de l’auteur
Arnaud Reygrobellet, of Counsel, Doctrine juridique
Analyse juridique parue dans la revue Option Finance du 6 janvier 2014