Loi Sapin II (publiée) – Volet Relations commerciales
Au terme d’une procédure accélérée, engagée par le Gouvernement le 30 mars 2016, la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin II », vient d’être publiée après un passage devant le Conseil constitutionnel.
Ce texte comporte un ensemble de mesures destinées à renforcer une fois encore l’encadrement des relations commerciales. Certaines sont de portée générale (délais de paiement, convention unique et pratiques restrictives de concurrence), d’autres spécifiquement dédiées à la filière agroalimentaire. Leur version définitive est très proche de celle présentée après la première lecture du texte (voir notre Flash info concurrence de juillet 2016).
Parmi ces dispositions, seules celles intéressant les délais de paiement étaient visées par le contrôle de constitutionnalité ; elles ont été déclarées conformes à la Constitution (décision n°2016-741 DC du 8 décembre 2016).
Délais de paiement interentreprises (articles 123 et 100)
► Renforcement des sanctions
- Le plafond de l’amende administrative encourue pour non-respect de la réglementation sur les délais de paiement est ainsi porté de 375 000 euros à 2 millions d’euros.
Sont concernés à la fois les manquements aux règles régissant les délais de droit commun (respect des délais de paiement, présence de mentions obligatoires dans les conditions de règlement, modalités conformes de fixation du taux et des conditions d’exigibilité des pénalités de retard et respect des modalités conventionnelles de computation des délais ; art. L.441-6 VI modifié C. com.) et ceux relatifs aux délais spécifiques à certains produits (art. L.443-1 C. modifié com.). En cas de récidive dans les deux ans d’une première décision de sanction devenue définitive, le montant maximal de l’amende encourue sera de 4 millions d’euros.
Le même niveau de sanctions s’appliquera au non-respect des délais de paiement applicables aux entreprises publiques (art. 40-1 modifié de la loi n°2013-100 du 23 janvier 2013).
Soulignons que l’amende susceptible d’être infligée pourra même atteindre 5 millions d’euros en cas d’obtention ou de tentative d’obtention de conditions de paiement manifestement abusives sous la menace d’une rupture brutale totale ou partielle de relations commerciales (L.442-6 I 4° C. com.). En effet, la loi porte à ce même niveau le plafond de l’amende encourue en matière de pratiques restrictives de concurrence (voir infra pratiques restrictives de concurrence).
Les nouveaux plafonds d’amende ne seront applicables qu’aux manquements commis après l’entrée en vigueur de la loi (soit le 11 décembre 2016). Les manquements commis antérieurement, mais constatés postérieurement à cette entrée en vigueur, resteront soumis au dispositif de sanctions antérieur. C’est en effet à la date de la commission de l’infraction et non à celle de sa constatation par procès-verbal qu’il convient de se placer, conformément au principe de non-rétroactivité de la loi plus sévère, applicable classiquement en matière pénale. Rappelons que le Conseil constitutionnel a considéré que ce principe de non-rétroactivité (art. 112-1 du Code pénal) « ne [concerne] pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais [s’étend] à toute sanction ayant le caractère d’une punition » (CC 17 janvier 1989, DC n° 88-248). Il a donc vocation à s’appliquer, à l’égard tant des sanctions pécuniaires que des deux autres sanctions présentées ci-dessous.
- La loi supprime, pour les manquements en concours, la limitation du cumul du montant des amendes administratives au maximum légal le plus élevé (art. L.465-2 VII C. com.). Celle-ci avait été introduite par la loi Hamon du 17 mars 2014 lors de la substitution des sanctions administratives aux anciennes sanctions civiles et pénales.
Dans un souci de cohérence, le même déplafonnement s’appliquera au cumul des amendes prononcées à l’occasion de manquements en concours relevant du Code de la consommation (art. L.552-7 modifié C. cons.).
Combinée au relèvement concomitant du plafond de l’amende encourue pour chaque manquement, cette nouvelle mesure pourrait avoir une portée sensiblement accrue.
- La publication des sanctions prononcées pour non-respect de la règlementation sur les délais de paiement prévue par le Code de commerce, jusqu’ici facultative, devient systématique, avec pour conséquence la divulgation au public du nom des entreprises contrevenantes (« name and shame »).
Remarque : saisi de la conformité de ces dispositions aux principes de proportionnalité des peines et de légalité des délits et des peines, le Conseil constitutionnel a écarté tout grief d’inconstitutionnalité, estimant que :
– en réprimant d’une amende de 2 millions d’euros les manquements à la réglementation sur les délais de paiement, le législateur n’a pas institué une peine manifestement disproportionnée « au regard tant des conséquences de ces manquements pour les créanciers que des avantages pouvant en être retirés par les débiteurs » ;
– les dispositions prévoyant la publication obligatoire des décisions de sanction ne font pas obstacle à ce que la durée de la publication, ainsi que les autres modalités de cette publicité, soient fixées en fonction des circonstances propres à chaque espèce. Le Conseil d’Etat avait lui aussi estimé pour les mêmes raisons que le caractère obligatoire de cette publication ne contrevenait pas au principe d’individualisation des peines (avis n°391-262 du 24 mars 2016) ;
– en tout état de cause, les dispositions contestées définissent les obligations qu’elles édictent et les sanctions encourues avec une précision suffisante pour satisfaire au principe de légalité des délits et des peines.
► Dérogation en faveur du « grand export »
En dépit de l’hostilité persistante du Sénat, l’Assemblée nationale a réussi, après deux échecs (lors de l’adoption de la loi Hamon de 2014 et dans le cadre d’une proposition de loi n° 2216 rejetée par le Sénat), à assouplir, avec l’aval du Conseil constitutionnel, la réglementation sur les délais de paiement en faveur des activités du « grand export » (art. L.441-6, I et art. L.443-1, 4° modifiés C. com. ; art. 123).
Le dispositif retenu autorise les parties à convenir, pour les achats effectués en franchise de TVA (art. 275 du CGI) de biens destinés à faire l’objet d’une livraison en l’état hors de l’Union européenne (UE), d’un délai de paiement de 90 jours à compter de la date d’émission de la facture. Cette dérogation devra être expressément prévue par le contrat et ne pas constituer un abus manifeste à l’égard du créancier. Elle ne concernera pas les achats effectués par les grandes entreprises et ne bénéficiera donc qu’aux micro et petites et moyennes entreprises. En revanche, elle s’appliquera sans distinction selon la taille de l’entreprise créancière. En cas de non-respect de la condition d’exportation des biens, des pénalités de retard seront dues dans les conditions de droit commun.
Dans ses observations présentées devant le Conseil constitutionnel, le Gouvernement a précisé que ces règles ne s’appliqueront qu’en cas d’export direct effectué sans intermédiaire. En cas de commercialisation à l’« export indirect », c’est la société de commerce international, chargée par le négociant exportateur de la prospection et de la commercialisation de son produit, qui pourra, le cas échéant, bénéficier du délai de paiement dérogatoire.
Pour justifier ce traitement dérogatoire des acteurs du « grand export », les députés se sont fondés sur l’argument, plusieurs fois formulé, selon lequel les entreprises concernées « sont sujettes, pour leur trésorerie, à un effet de ciseau résultant d’un décalage significatif entre les délais dans lesquels elles doivent payer leurs fournisseurs et les délais dans lesquels elles sont elles-mêmes rémunérées par leurs clients installés hors de l’Union européenne ». Selon eux, les clients situés hors de l’UE pratiqueraient en effet des délais de paiement supérieurs à ceux prévus par le droit français. L’existence de délais différents serait préjudiciable à la compétitivité des entreprises françaises exportatrices et constitutive d’un frein à l’exportation.
Remarque : le Conseil constitutionnel a considéré que cette dérogation ne méconnaissait pas le principe d’égalité dans la mesure où les entreprises bénéficiaires « étant soumises à des délais spécifiques pour obtenir le paiement des biens qu’elles vendent à leurs clients établis hors de l’UE, elles sont dans une situation différente des autres entreprises ».
En légitimant une intervention législative en amont sur le crédit-fournisseur, qui risque d’avoir pour effet de décaler le problème de trésorerie des entreprises du « grand export » vers leurs fournisseurs, le Conseil constitutionnel paraît sous-entendre que l’encadrement des délais de paiement n’était pas jusqu’ici applicable aux entreprises exportatrices dans leurs relations avec des clients situés en dehors de l’UE.
On peut s’étonner que le test de la rupture d’égalité n’ait pas été également éprouvé à l’égard des entreprises effectuant des livraisons dans d’autres Etats de l’UE dès lors que les délais de paiement pratiqués dans ces derniers ne sont pas forcément uniformes, comme l’autorise la directive européenne 2011/7/UE du 16 février 2011 (art. 3 §5).
Convention unique (art. 107)
Depuis la LME du 4 août 2008, les fournisseurs et les distributeurs ou prestataires de services doivent conclure, avant le 1er mars de chaque année, une convention écrite (convention unique ou contrat-cadre) pour récapituler les obligations auxquelles se sont engagées les parties en vue de fixer le prix à l’issue de la négociation commerciale (art. L.441-7 C. com.). Depuis la loi Macron du 6 août 2015, la même obligation s’impose dans les relations entre fournisseurs et grossistes (art. L.441-7-1 C. Com).
Dès le 1er janvier 2017, ces conventions récapitulatives pourront être conclues pour une durée d’un an, de deux ans ou de trois ans. Concrètement, ce sont d’ores et déjà les négociations commerciales en cours qui pourront déboucher sur ces contrats pluriannuels. L’Assemblée nationale a estimé qu’il n’y avait pas lieu de différer l’entrée en vigueur d’un dispositif facultatif.
Les conventions biennales ou triennales devront fixer les modalités de révision du prix convenu, lesquelles pourront prendre en compte un ou plusieurs indices publics reflétant l’évolution du prix des facteurs de production (art. L.441-7, I al. 5 et art. L.441-7-1, I al. 6 modifiés C. com.).
Toutefois, afin d’éviter certaines dérives dans le choix des indices, le fait d’imposer une clause de révision de prix par référence à un ou plusieurs indices publics, sans rapport direct avec les produits ou les prestations de services qui sont l’objet de la convention, sera constitutif d’une nouvelle pratique restrictive de concurrence (voir infra pratiques restrictives de concurrence ; art. L. 442-6, I 7° nouveau C. com.).
Soulignons que la date butoir de conclusion de la convention écrite, dont l’avancement au 1er février avait été un temps envisagé, reste inchangée au 1er mars de l’année pendant laquelle la convention prend effet. Par ailleurs, a également été abandonnée l’idée d’une insertion obligatoire dans la convention unique du nom du négociateur de l’acte.
Pratiques restrictives de concurrence (articles 101, 102, 109 et 110)
La loi Sapin II étend le périmètre des pratiques restrictives de concurrence tout en renforçant leur dispositif de sanction.
► Nouvelles pratiques abusives
Deux nouvelles pratiques restrictives de concurrence sont créées :
– le fait de « soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des pénalités de retard de livraison en cas de force majeure« (art. L.442-6 II, f nouveau C. com. ; art. 101). Il s’agit ici de sanctionner les pratiques de la grande distribution, tendant à imposer des pénalités pour non-respect du taux de service, même lorsque celui-ci résulte d’un cas de force majeure, laquelle est une cause exonératoire de responsabilité civile ;
– le fait d’imposer, comme on l’a vu (cf. supra convention unique ; art. 107), une clause de révision de prix, en application de l’article L.441-7 modifié ou L.441-7-1 modifié, par référence à un ou plusieurs indices publics sans rapport direct avec les produits ou les prestations de services qui sont l’objet de la convention. La même interdiction vaut pour les clauses de renégociation du prix, en application de l’article L.441-8 C. com., figurant dans les contrats inférieurs à trois mois de vente de produits agricoles (ou de production de produits agricoles destinés à être vendus sous marque de distributeur) dont le prix de production est considéré comme fluctuant (art. L.442-6, I 7° nouveau C. com. ; art. 107).
Par ailleurs, la liste des avantages identifiés comme ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionnés est étendue à la participation, non justifiée par un intérêt commun et sans contrepartie proportionnée (art. 442-6 I, 1° modifié C. com. ; art. 109) :
– d’une part, au financement d’une opération de promotion commerciale ;
– d’autre part, à la rémunération de services rendus par une centrale internationale regroupant des distributeurs, quelle que soit l’activité de celle-ci (achat, prestation auprès des affiliés ou référencement).
► Renforcement des sanctions
La loi nouvelle porte de 2 millions à 5 millions d’euros le plafond de l’amende civile susceptible d’être prononcée à l’encontre de l’auteur d’une pratique restrictive de concurrence (art. L.442-6, III al. 2 modifié C. com. ; art. 110).
Rappelons que depuis la loi Macron, l’amende, qui pouvait déjà être fixée au triple du montant des sommes indûment versées, peut également l’être à 5 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France par l’auteur des pratiques lors du dernier exercice clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Ces éléments ont été considérés comme insuffisamment dissuasifs par le législateur.
La loi impose par ailleurs la publication, la diffusion ou l’affichage de toute décision constatant une pratique restrictive de concurrence ou d’un extrait de cette décision, alors que le prononcé de cette peine complémentaire est aujourd’hui facultatif pour le juge (art. L.442-6 III al. 3 modifié C. com. ; art. 102). Cette publicité systématique renforcerait la portée d’une décision en mettant en cause « l’image de marque » des entreprises sanctionnées.
Dispositions intéressant la filière agroalimentaire (articles 94, 95, 100 et 106)
Plusieurs dispositions nouvelles intéressent spécifiquement la filière agroalimentaire, avec un renforcement de la contractualisation des contrats et, tout particulièrement, des obligations de transparence pesant sur les industriels opérant dans ce secteur. Parmi celles-ci méritent d’être signalés :
– l’obligation d’indiquer, dans les conditions générales de vente des produits alimentaires comprenant un ou plusieurs produits agricoles non transformés soumis à la contractualisation obligatoire (notamment les fruits et légumes frais ; cf. art. L.631-24 du Code rural et de la pêche maritime), le « prix prévisionnel moyen« proposé par le vendeur au producteur agricole. Les critères et modalités de détermination de ce prix prévisionnel pourront faire référence à un ou plusieurs indicateurs publics de coûts de production en agriculture et à un ou plusieurs indices publics de prix des produits agroalimentaires. Ces indices, qui devront être fixés de bonne foi, pourront être spécifiques au contrat ou établis par accord interprofessionnel (art. L. 441-6 I al. 6 modifié C. com. ; art. 100) ;
– la mention obligatoire, dans les contrats d’une durée inférieure à un an concernant les produits vendus sous marque de distributeur, du « prix » ou des « critères et modalités de détermination du prix d’achat » des produits agricoles non transformés entrant dans la composition des produits alimentaires, lorsque ces produits agricoles font l’objet d’un contrat écrit obligatoire. Cette obligation vaut aussi lorsque le vendeur est une coopérative agricole (art. L.441-10 nouveau C. com. ; art. 100) ;
– le plafonnement du montant des avantages promotionnels (NIP) à 30 % de la valeur du barème des prix unitaires, frais de gestion compris, pour les produits agricoles mentionnés à l’article L.441-2-1 C. com. ainsi que pour le lait et les produits laitiers (art. L.441-7 al. 9 nouveau C. com. ; art. 106) ;
– l’obligation de faire figurer, dans les contrats de cession de produits agricoles conclus entre producteurs et acheteurs en vue de la revente ou de la transformation, la référence parmi les critères et modalités de détermination du prix à des indices publics de coûts de production agricole reflétant la diversité des conditions et des systèmes de production et de prix agricoles ou alimentaires. Ces indices pourront être régionaux, nationaux ou européens (art. L.631-24 I al. 4 modifié du Code rural et de la pêche maritime ; art. 94) ;
– la subordination de la conclusion de ces mêmes contrats, lorsque cette conclusion est obligatoire et qu’une organisation de producteurs (ou une association d’organisations de producteurs) est mandatée pour négocier les contrats au nom et pour le compte de ses membres, à une négociation préalable entre cette organisation de producteurs et l’acheteur, dont la conclusion devra être formalisée par un accord-cadre écrit, signé par les intéressés et répondant à un certain formalisme (notamment fixation des modalités de négociation périodique sur les volumes et le prix ou de détermination du prix entre les intéressés) (art. L.631-24 I al. 13 modifié du Code rural et de la pêche maritime ; art. 94). Le fait pour l’acheteur de remettre à un producteur une proposition de contrat non conforme à cet accord-cadre est passible d’une amende administrative de 75 000 euros (art. L.631-25 al. 6 modifié du Code rural et de la pêche maritime ; art. 94) ;
– le recours obligatoire à un mandat écrit et séparé du contrat de vente lorsque l’établissement de la facturation est délégué à un tiers par le producteur agricole. Ce mandat de facturation est renouvelable annuellement par tacite reconduction, le producteur pouvant y renoncer à tout moment, sous réserve d’un préavis d’un mois (art. L.631-24 al. 12 modifié du Code rural et de la pêche maritime ; art. 94) ;
– l’interdiction pour une durée de sept ans à compter du 10 décembre 2016, sous peine de nullité, de toute cession à titre onéreux, totale ou partielle, des contrats d’achat de lait entre producteurs et acheteurs soumis à contractualisation obligatoire. Cette incessibilité, qui est d’ordre public, concerne non seulement les contrats mais aussi les obligations qui en découlent (art. L.631-24-1 nouveau du Code rural et de la pêche maritime pour les achats de lait de vache et art. L.631-24-2 nouveau pour les achats d’autres laits ; art. 95).
Auteurs
Nathalie Pétrignet, avocat associée en droit douanier, droit de la concurrence, droit européen, droit de la consommation et de la distribution, CMS Bureau Francis Lefebvre Paris
Denis Redon, avocat associé en droit de la concurrence, CMS Bureau Francis Lefebvre Paris
Virginie Coursière-Pluntz, avocat counsel, CMS Bureau Francis Lefebvre Paris, en droit de la concurrence et en droit européen tant en conseil qu’en contentieux.
Elisabeth Flaicher-Maneval, avocat Counsel au sein du département de doctrine juridique, CMS Bureau Francis Lefebvre Paris
Vincent Lorieul, avocat en droit de la concurrence et de la distribution