Loi El Khomri : l’instance de dialogue et de représentation au sein des réseaux de franchise validée dans son principe par le Conseil constitutionnel
26 octobre 2016
La loi n°2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite « loi El Khomri », instaure une instance de dialogue et de représentation des salariés au sein des réseaux de franchise (article 64). Ce dispositif, qui a catalysé les critiques tout au long des débats parlementaires (voir notamment notre article : « Les innovations malheureuses de la loi El Khomri en matière de franchise », dans les Echos business du 18 juillet 2016), a été examiné en profondeur et validé, en grande partie, par le Conseil constitutionnel.
Cette nouvelle instance de dialogue concerne les réseaux de franchise qui remplissent les trois conditions suivantes :
- le réseau doit compter au moins 300 salariés, employés par le franchiseur et les sociétés franchisées ;
- les contrats de franchise par lesquels les membres du réseau sont liés doivent contenir des clauses ayant un effet sur l’organisation du travail et les conditions de travail. Cette exigence est particulièrement floue. En effet, toute franchise imposant, par exemple, des horaires d’ouverture minimale et une présentation type du magasin pourrait être concernée, au motif que cela a un effet sur les conditions de travail des salariés du franchisé. Il reviendra donc au pouvoir réglementaire ou, à défaut, à la jurisprudence, de cadrer ce point ;
- la constitution de cette instance doit avoir été demandée par une organisation syndicale représentative ou ayant constitué une section syndicale au sein d’une des sociétés du réseau.
Cette instance doit être informée :
- des décisions du franchisé de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail, les conditions d’emploi et de formation des salariés des franchisés ;
- des entreprises qui entrent et sortent du réseau.
Elle peut aussi formuler des propositions dans les domaines ci-dessus ainsi qu’en matière de retraite et de prévoyance.
Les griefs contre ce dispositif étaient nombreux, ainsi qu’en attestent les saisines des sénateurs et des députés. La majorité d’entre eux sont rejetés (décision n°2016-736 DC du 4 août 2016).
Ainsi, il est considéré que ces dispositions ne méconnaissent pas le droit des salariés à la détermination collective de leurs conditions de travail, garanti par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. En effet, l’instance de dialogue et de représentation a pour seul objet de permettre aux représentants des salariés franchisés d’être informés des décisions du franchiseur de nature à affecter leurs conditions de travail. Elle ne se substitue aucunement aux instances représentatives du personnel existant, le cas échéant, au sein de chaque structure. Le considérant 33 de la décision relève à cet égard : « Cette instance peut uniquement recevoir des informations relatives à l’action du franchiseur et formuler des propositions de nature à améliorer les conditions de travail, d’emploi et de formation professionnelle des salariés du réseau, sans participer par elle-même à la détermination des conditions de travail des salariés, qui relève de l’employeur et des instances représentatives du personnel propres à chaque entreprise franchisée ». Par là, le Conseil constitutionnel précise que le rôle de proposition de l’instance serait distinct de la participation à la détermination des conditions de travail. La différence pratique entre ces deux notions reste à déterminer.
Par ailleurs, le Conseil considère que la création de cette instance ne constitue pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre du franchiseur ou des franchisés. La question se posait pourtant légitimement dans la mesure où le modèle économique de la franchise repose justement sur l’indépendance entre le franchiseur et les franchisés. Chaque franchisé devrait ainsi être libre d’exploiter son entreprise et de gérer son personnel et le franchiseur devrait être libre de piloter son réseau comme il l’entend. Le Conseil constitutionnel précise toutefois que les franchisés doivent pouvoir participer à la négociation de l’accord instituant l’instance de dialogue.
L’existence d’une rupture d’égalité entre les systèmes de franchise et les autres modèles appliqués dans le secteur de la distribution (concession, notamment) est également réfutée : à situations différentes, traitement différent. Quand bien même le modèle de développement des uns pourrait être déséquilibré au profit des autres, il ne saurait y avoir de rupture d’égalité entre différentes formes de réseaux de distribution, contrairement à ce que soutenaient les sénateurs.
Si la globalité du dispositif n’est pas invalidée, deux dispositions ont toutefois subi la censure du Conseil constitutionnel.
Les Sages considèrent tout d’abord que le législateur ne pouvait, comme il le fait dans l’article 64, poser le principe, en l’absence d’accord, de l’existence d’heures de délégation spécifiques à l’instance de dialogue sans en préciser le nombre. En effet, une telle précision ne saurait relever du pouvoir réglementaire dans la mesure où la participation des salariés à la vie de l’entreprise constitue un principe fondamental du régime de la propriété et du droit du travail (considérant 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946). Ainsi, aucune heure de délégation spécifique ne pourra être accordée par décret tant que le législateur n’aura pas retouché le dispositif, ce qui pourrait limiter les velléités de demander la création de cette instance.
Ensuite, le Conseil constitutionnel considère qu’à défaut d’accord, mettre à la charge du franchiseur les dépenses et frais nécessaires à la réunion de l’instance de dialogue et de représentation porterait une atteinte excessive à la liberté d’entreprendre. Les employeurs franchisés devront également en être tributaires, de ce fait. Nul doute que cela constituera un point complexe lors des négociations pour la mise en place de cette instance.
Auteurs
Alain Herrmann, avocat associé en droit social.
Stéphanie de Giovanni, avocat, membre du Barreau de New York, droit commercial et contrats internationaux.
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